Une rentrée musicale majestueuse à l’Opera Bastille ce 8 septembre pour la première de La Traviata. La salle est comble, on entend murmurer que la Générale était formidable. L’enthousiasme est à son summum, les spectateurs attendent, impatients, l’ouverture. Dan Ettinger se révèle, dès les premières mesures, vivifiant à la Direction Musicale. Malgré quelques décalages quasi-imperceptibles avec le choeur, Dan Ettinger, original, ose quelques accélérations ambitieuses. Il dirige avec dynamisme l’ orchestre, rien n’est laissé au hasard, la ligne instrumentale porte avec ardeur le chant.
Avant de parler des artistes et de leurs interprétations respectives, la rédaction tient à mentionner un autre aspect esthétique. Les décors de Sylvain Chauvelot ajoutent une interprétation très symbolique de l’œuvre, qui crée un lien intéressant avec l’oeuvre de Dumas fils. Dans l’acte I, le décor est très épuré, on perçoit tout de même quelques éléments sur scène, permettant de diviser l’espace en deux. Quand un espace s’anime avec le duo Alfredo- Violetta, l’autre apparait pétrifié. Le temps semble se figer en attendant que le choeur s’anime. Cet aspect épuré des décors ne manque pas d’originalité. Il semble être mis en place de façon à ne pas déconcentrer les spectateurs par de vains artifices. Un arbre immense surplombe un côté la scène de l’acte II, magnifique et très symbolique. De l’autre côté de la scène, un escalier imposant façon vieille demeure aristocratique, orné de son grand tapis quasi-cannois, accueille l’ultime fête de Violetta. Cette dualité esthétique se révèle très riche. Opposant d’une part, l’arbre : essence même de la nature, symbole de vie, de la romance et d’autre part l’escalier : luxueux, glamour, emblème mondain par excellence. L’arbre apporte une dimension élégiaque aux échanges amoureux entre Alfredo et Violetta, ainsi qu’au duo entre l’héroïne et Giorgio Germont. Cet instant clef de l’oeuvre, emprunt de sagesse et déclencheur du moteur tragique. Les éclairages de Diot enrichissent considérablement la mise en scène, avec un jeu de clair-obscur à couper le souffle. Dans l’acte III, l’imposant baldaquin de la chambre de Violetta annonce un final particulièrement douloureux.
Quant à la performance vocale, celle d’Ermonela Jaho est éblouissante. Elle se révèle dans des couleurs chaque fois plus expressives au fil des actes. Dans les mezzi, les trilles sont techniquement impressionnantes, et lorsque Violetta pose sa voix dans les aigus avec des nuances pianissimi, elle nous déchire le coeur. La soprano a une véritable carrure de tragédienne. Francesco Meli incarnait un Alfredo charismatique et passionné. Néanmoins quelques petites maladresses techniques ont rendu son interprétation un soupçon inégale. Dmitri Hvorostovski était une des plus belles surprises de cette rentrée musicale. En Giorgio Germont, sa voix boisée dans des graves bien profondes, bouleverse. Il porte avec prestance le duo de l’acte II, et ne laisse après le Di Provenza… Pour tout mot à l’audience, qu’une ovation explicite! Antoine Garcin, nous a livré une formidable prestation du Dottor Grenvil dans le III, avec sa voix de basse et sa grande puissance vocale.
Le final, autour du baldaquin est prenant: la voix de Violetta, s’affaiblit progressivement en un râle ( très précis et virtuose techniquement) qui illustre à merveille la phtisie qui l’emporte loin d’Alfredo. Une prouesse, musicale et émotionnelle, qui nous laisse ce constat évident : Ermonela Jaho est ici la réincarnation d’une héroïne antique d’Euripide !
(Photo à la une © E. Bauer)