En ce 14 juillet, jour de notre fête nationale, revenons sur ce classique de la littérature que sont Les 3 mousquetaires, rebaptisé pour la BBC The Musketeers.
Publié sous forme de feuilleton à partir de 1848, Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas est un chef-d’œuvre de la littérature française, devenu un incontournable de la culture populaire. Tout le monde connaît les aventures de D’Artagnan et de ses acolytes, qui ont notamment fait l’objet d’une multitude d’adaptations cinématographiques : de Douglas Fairbanks à Gérard Philippe en passant par Gene Kelly, Jean-Paul Belmondo, Jean Marais ou plus récemment Hugh Dancy, Justin Chambers ou Chris O’Donnell, tous ces acteurs ont prêté leurs traits au célèbre Gascon. Que valent vraiment ces mousquetaires version british ? [youtube id= »J9xVd_T_xPA »]
La mise en place de The Musketeers suit globalement la trame de l’œuvre de Dumas. Rappelons qu’en romançant largement les faits historiques, l’auteur situe son action à la cour de Louis XIII. Il y raconte les intrigues politiques ourdies par le Cardinal de Richelieu, en suivant les aventures du jeune D’Artagnan. Monté à Paris de sa Gascogne natale, celui-ci rejoint les rangs de la prestigieuse troupe des mousquetaires du roi, sous le commandement du capitaine de Tréville. Il fait la connaissance de la jolie Constance Bonacieux dont il devient l’amant, et se lie avec les mousquetaires Athos, Porthos et Aramis. Ensemble, les quatre hommes vont contrecarrer les plans machiavéliques du Cardinal et affronter ses âmes damnées, Milady de Winter et Rochefort. Autant d’éléments que l’on retrouve dans la série britannique – à quelques différences près. Nous y reviendrons…
Si la base est à peu près similaire, Les Mousquetaires s’éloigne complètement de l’intrigue classique. Oubliez les ferrets de la Reine, le Duc de Buckingham et le siège de la Rochelle : les mousquetaires de la BBC vivent des aventures que vous ne lirez pas sous la plume de Dumas. Nos quatre héros partent à la recherche d’un prisonnier évadé, escortent la cousine de Louis XIII depuis l’Italie, enquêtent sur un meurtre, libèrent un général retenu captif en Espagne, déjouent des attentats contre la Reine… A chaque fois, ils se heurtent évidemment aux hommes de Richelieu puis de Rochefort, dont les manigances visent systématiquement à affaiblir le Roi de France et à se rapprocher davantage du pouvoir, sur fond de relations diplomatiques et de menaces de guerre avec l’Espagne.
L’idée est séduisante, en dépit de scenarii parfois rocambolesques, voire totalement délirants. (Louis XIII, déguisé en homme du peuple et enlevé par un marchand d’esclaves ?!! Seriously ?!) Cependant, la majeure partie de ces intrigues aurait très bien pu sortir de l’imagination d’Alexandre Dumas himself, et en s’écartant du modèle, Les Mousquetaires parvient à réinventer une histoire que le spectateur connaît par cœur tout en respectant l’esprit du roman. Il ne s’agit pas d’une énième adaptation, mais plutôt de chapitres intercalaires que Dumas aurait omis d’écrire.
Le choix de précipiter nos héros dans de nouvelles péripéties permet aussi à la série de s’octroyer un peu de liberté en optant pour des intrigues modernisées, transposées au film de cape et d’épée mais traitées selon des thématiques de genre beaucoup plus actuelles. D’Artagnan infiltre les gardes du Cardinal et joue les agents doubles – nous voilà dans une série d’espionnage ; les mousquetaires prennent d’assaut le manoir où Louis XIII est retenu en otage – on croit voir le SWAT en action ; Athos défend des paysans contre un Baron qui veut les déposséder de leurs terres – nous sommes plongés en plein western ; les héros enquêtent sur la disparition d’un enfant – la série policière n’est pas loin ; Aramis retrouve un ancien compagnon d’armes qui accuse Tréville d’avoir couvert l’assassinat de plusieurs mousquetaires pour raison d’état – on bascule dans le thriller politique. Le tout est parsemé de scènes de combats épiques et de dialogues enlevés, et si les intrigues sont prévisibles et fourmillent de clichés, la série n’en demeure pas moins addictive.
Les épisodes sont en général complètement indépendants les uns des autres et les intrigues principales, respectivement axées autour des machinations du Cardinal de Richelieu puis de Rochefort, courent en filigrane sans pour autant constituer une ossature solide. L’aspect feuilletonnant est quasiment absent de la première saison, et il ne s’impose véritablement qu’à la fin de la saison 2, qui se clôture sur un double épisode. C’est à la fois un avantage et un inconvénient : en adoptant à chaque fois un nouvel angle, les épisodes sont assez variés et évitent de tomber dans la monotonie ; mais l’ensemble manque un peu de cohésion.
Cela dit, ce manque de vision d’ensemble est assez cohérent avec une série qui, loin de chercher à réinventer l’univers dumasien, se veut avant tout un bon divertissement familial. The Musketeers est à mille lieues d’un Black Sails ou d’un Vikings : on meurt proprement, on ne torture pas les ennemis, les scènes de combat sont spectaculaires mais tiennent davantage de la chorégraphie que du bain de sang, et on s’embrasse sous les draps sans dévoiler plus de peau que nécessaire… Même le Mentalist est plus violent ! Et c’est finalement assez réjouissant et rafraîchissant.
Dans le même ordre d’idée, Les Mousquetaires aborde au fil des épisodes des thèmes de société, propres au XVIIème siècle mais qu’elle essaie de faire résonner avec ceux de notre époque. Ils apparaissent de façon sous-jacente ou plus explicite mais toujours consensuelle. Le racisme, l’esclavage, la fracture socio-économique, la liberté d’expression, l’obscurantisme religieux, la condition féminine dont présentés de manière simpliste et même un peu naïve. La question raciale, par exemple, se résume à des propos bien-pensants, dans une perspective actuelle qui oublie de la remettre dans le contexte de l’époque et considère uniquement l’aspect humaniste, sans se soucier de l’enjeu économique que représentait par exemple l’esclavage. Elle est aussi omniprésente, au point d’en devenir un peu lassante. Malgré tout, certaines initiatives sont absolument formidables, à l’image du choix d’un acteur métis (Howard Charles) pour interpréter le rôle de Porthos, puisqu’on peut y voir une allusion malicieuse aux origines haïtiennes d’un Alexandre Dumas dont on a souvent dit qu’il s’identifiait au personnage.
Série constituée d’épisodes d’une heure, Les Mousquetaires peut justement s’offrir le luxe de développer encore davantage les personnages et de s’étendre sur leur passé et leur psychologie. Dans la trilogie (rappelons que Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne font suite aux Trois Mousquetaires), Dumas s’était surtout concentré sur son héros D’Artagnan et sur la figure d’Athos, alias le Comte de la Fère, personnage en clair-obscur dont les relations troubles avec la belle intrigante Milady de Winter offraient quelques-unes des pages les plus intenses. La BBC reprend cet axe, délaisse quelque peu D’Artagnan, mais s’étend davantage sur Aramis, Rochefort, et surtout Porthos. Particulièrement mis en avant tout au long de la série, il est au centre de plusieurs épisodes; bâtard métis, abandonné et élevé à la cour des Miracles, la recherche de ses origines constitue la trame d’un bel épisode de la saison 2.
Un récit complètement différent de celui de Dumas. Ce n’est qu’une des nombreuses modifications opérées par la série, qui réécrit des passages entiers du roman original. Nous découvrons par exemple que D’Artagnan monte à Paris pour venger la mort de son père, assassiné par un faux-mousquetaire prétendant s’appeler Athos ; Milady de Winter n’est plus une prostituée portant l’infâme marque de la fleur de lys, mais elle a tué son beau-frère alors qu’il tentait de la violer ; Rochefort n’apparaît plus aux côtés du Cardinal, mais il surgit en saison 2 sous les traits d’un agent secret espagnol infiltré à la cour de France… Anecdotiques ou plus profondes, ces variations répondent parfois à un impératif scénaristique évident. Ainsi, revisiter le passé de Milady de Winter rend le personnage moins sulfureux et permet de la faire évoluer vers une figure plus positive, jusqu’à en faire l’alliée des mousquetaires. De même, Rochefort prend la place de Richelieu, l’acteur Peter Capaldi ayant quitté l’habit pourpre pour rejoindre la cabine téléphonique du Doctor Who. Enfin, on devine que Constance Bonacieux ne sera pas assassinée dans un couvent…
Ce choix assumé est en revanche extrêmement dérangeant lorsqu’aucune raison ne semble le justifier : pourquoi faire d’Aramis l’amant de la Reine, ou de Rochefort son ami d’enfance et amoureux transi ? Pourquoi Milady devient-elle la favorite d’un Louis XIII, que l’on sait davantage intéressé par les garçons ? Qu’est-il arrivé au pauvre Planchet ? Tout cela est d’autant plus étrange qu’un certain nombre de répliques ou de situations sont clairement des références au roman – le père de Porthos dans la garde d’Henri IV ou la future vocation de Jésuite d’Aramis en sont d’excellents exemples.
Si la série prend des libertés avec l’intrigue, elle se lâche encore plus avec l’Histoire de France, victime collatérale des passes d’armes entre mousquetaires et gardes du cardinal. La crédibilité était apparemment le cadet (de Gascogne ?) des soucis de son co-créateur Adrian Hodges, et les erreurs grossières et les anachronismes se multiplient. Une fois encore, certains choix sont compréhensibles : les mousquets ont par exemple la puissance de feu des armes modernes, mais imagine-t-on nos héros recharger tous les trois coups ? Les costumes sont superbes mais laissent sceptiques, à l’image des tenues de cuir portées par des mousquetaires apparemment réfractaires à l’uniforme ; on passera sur le bandana de Porthos (!!) ou sur le langage actuel, qui contribue à moderniser le propos et ne choque pas tant que cela (dès lors qu’on a admis que les mousquetaires parlent avec l’accent britannique …) Comme nous savons être indulgents, nous nous contenterons de hausser un sourcil lorsque Anne d’Autriche est par exemple accusée d’avoir tenté d’empoisonner son époux.
En revanche, le récit des évènements historiques attestés est un non-sens total : la mort de Richelieu survient bien trop tôt, la Guerre de Trente Ans est déclarée trop tard, l’âge du couple royal n’est pas cohérent, Rochefort n’a (à ma connaissance) jamais été premier ministre, la naissance de Louis XIV survient avec des années d’avance (ou de retard, on ne sait plus…) et Aramis se prend pour un révolutionnaire en citant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! Encore une fois, ces contre-sens sont sidérants, dans la mesure où la série intègre d’autres éléments beaucoup plus pointus – comme la fracture religieuse faisant suite au siège de la Rochelle, ou le contexte géopolitique entre la France et l’Espagne, qui aboutira à la guerre en 1635.
A l’image de l’ensemble de la série, le casting est très inégal. Autant Porthos (Howard Charles) et Aramis (Santiago Cabrera) sont excellents, autant Athos (Tom Burke) et surtout D’Artagnan (Luke Pasqualino) manquent cruellement de charisme. Peter Capaldi est évidemment impeccable dans le rôle du Cardinal de Richelieu, tout comme Maimie McCoy dans celui de Milady de Winter, qu’elle interprète avec une ambiguïté intéressante. Deux personnages posent véritablement problème : Louis XIII (Ryan Gage) et Rochefort (Marc Warren). Le premier est ridicule au point d’en devenir un personnage comique, tandis que le second surjoue atrocement chaque scène, en caricature du traître retors. Leur jeu est tellement forcé qu’on en vient à se demander s’ils sont réellement en cause, et s’il ne s’agit pas plutôt d’un choix délibéré. La caricature des « méchants » est d’ailleurs si outrancière (regard torve, mine sombre et moustaches qui frisent) qu’elle plaiderait en faveur de cette hypothèse.
Devant ces Trois Mousquetaires revisités, certains crieront à la trahison. On ne saurait totalement les contredire, comme on ne peut nier les innombrables entorses à l’œuvre de Dumas. Mais peut-on reprocher à la série d’avoir pris autant de libertés avec le roman quand son auteur lui-même n’hésitait pas à détourner les événements pour mieux les mettre en scène, assurant : « Si j’ai violé l’Histoire, je lui ai fait des beaux enfants » ? En précipitant nos quatre héros dans de nouvelles aventures, la série est parvenue à saisir quelque chose de l’œuvre originale, et on aime à croire que Dumas aurait approuvé.
En prenant en compte toutes les qualités et les défauts de la série, deux possibilités s’offrent à vous: si vous êtes un obsédé de l’exactitude historique et/ou un intégriste du roman original, passez votre chemin car vous risqueriez la crise cardiaque dès le deuxième épisode; en revanche, si vous cherchez avant tout une série addictive et familiale, avec des scènes d’action, de la romance, de beaux costumes et une trame narrative qui tient la route, nul doute que vous serez séduits par The Musketeers. Car tout le paradoxe de la série vient de là : en se revendiquant de l’œuvre de Dumas tout en s’en écartant, elle incite à une comparaison qu’elle ne saurait soutenir puisqu’elle n’a pas lieu d’être.
Crédit: BBC