Vous avez ouvert cet article et vous espérez maintenant, face à votre écran, que l’on vous livre tous les secrets pour briller en société face à une oeuvre à laquelle vous ne comprenez rien. Il faut d’abord se débarrasser de vos idées reçues : non, l’art contemporain n’est pas réservé à une élite intelligente. Non, poser un stylo sur une canette de bière n’est pas de l’art, et oui, vous pouvez vous asseoir sur la chaise dans le musée, ce n’est pas une œuvre.
Qu’est-ce que l’art contemporain ? Pour briller, il faut montrer que vous vous y connaissez. Pour définir l’art contemporain il vous suffit de convoquer deux principes : l’intention et la reconnaissance. Une œuvre est définie comme œuvre d’art si quelqu’un, l’artiste, ayant la reconnaissance de ses pairs, la désigne comme telle. L’art contemporain fait rupture avec ce qui a été fait avant, mais n’oublions pas que le terme même de contemporain est inexact : on considère l’art des années 60 à nos jours mais il s’agit d’un anachronisme qui témoigne de la pensée du futur et du passé dans le présent. Littéralement, c’est la création artistique qui se fait de notre vivant. Or, Lucian Freud est considéré comme un artiste contemporain alors qu’il est mort en 2012. Il ne faut pas oublier que l’art contemporain n’a pas passé l’épreuve du temps : les artistes aujourd’hui encensés par certains médias seront peut-être tombés dans l’oubli demain et ne représentent pas l’intégralité de ce qui est produit.
1- Le statut de l’oeuvre d’art
Aujourd’hui, on ne fait plus des œuvres à la gloire d’un souverain, pour adorer son Dieu ou pour espérer qu’elles nous protègent ; du moins, ce ne sont pas les motivations qui dominent dans les propositions des artistes. L’art existe pour lui et en tant que tel. De plus, on mélange les pratiques : peinture, sculpture, collage, photographie, films, voir jeux vidéo…
2- La remise en question de l’outil et des matériaux
Avec l’art contemporain, les outils de prédilection ne sont plus le pinceau et le trépan. Tous les matériaux rentrent dans le champ de l’art. La peinture en tube et la photographie avaient déjà permis aux impressionnistes de se libérer du réalisme. Aujourd’hui, les artistes utilisent aussi les logiciels techniques, les objets du quotidien jusqu’aux corps humains avec Yves Klein qui demandait à des femmes de tremper leurs corps nus dans la peinture avant d’aller s’étendre sur une toile.
3- Le format de l’œuvre
Il faut toujours interroger le format de l’œuvre. Pour cela, le seul référent, c’est vous. Si l’œuvre est monumentale, elle vous impose une certaine domination. A l’inverse, si elle est petite et préhensible, vous vous sentez en position de supériorité. Oldenburg choisit de bouleverser notre perception en créant un gigantesque cendrier plein de mégots de cigarettes : la trivialité devient monumentale et menace de nous écraser. Beaucoup d’artistes cherchent le spectaculaire et créent des oeuvres de plus en plus imposantes. Peut-être faut-il regarder du côté de la perte d’intérêt du public pour l’art ? Les artistes essaient de provoquer une réaction.
4- La forme de l’œuvre
Avec l’art moderne, la statue avait déjà perdu son socle et la peinture son cadre. Giacometti continue d’utiliser le matériau classique du bronze et parfois le socle, mais il le disproportionne ou au contraire le supprime. Duchamp n’est pas le premier, mais marque le vrai point de rupture en exposant un urinoir (Fontaine, 1919) et d’autres objets « déjà faits » dans un musée. L’art contemporain propose de nouvelles attitudes pour le spectateur : les artistes créent des environnements, des performances et de plus en plus de demandes participatives émergent. Ils nous intègrent à leur œuvre. Rikrit Tiravanija avec Pad Thai en 1990, produit une oeuvre qui consiste à cuisiner et servir des pâtes thaïes aux visiteurs dans un musée. L’art contemporain peut alors être vu comme un art du « faire-raconter » (Heinich), un art du récit voire de l’interprétation. La circulation des textes devient capitale et les médiations essentielles ce qui a des conséquences institutionnelles : il faut assurer le lien entre les œuvres et le public.
5- Le lieu de l’œuvre
L’art contemporain ne se déploie plus uniquement dans les musées, il sort dans la ville à la rencontre du spectateur. La réception du public est fondamentale dans l’œuvre : le Tree de Paul McCarthy a choqué et a été dégonflé.
6- La qualité du travail de l’artiste
Vous ne pouvez plus appréhender l’art en regardant simplement sa qualité d’exécution. Avec sa technique de l’action painting, Pollock jette des coulures de peintures sur une toile. Oui, vous êtes capable de le faire aussi, mais l’idée qu’il défend et ce qui se cache derrière priment : il cherche à libérer son inconscient avec une peinture spontanée alors nouvelle dans l’art. C’est la signification de l’œuvre qui importe.
7- L’importance du titre
Souvent, le titre vous donne une direction pour la compréhension de l’œuvre. Par exemple, Damien Hirst nomme son requin plongé dans le formol The physical impossibility of the death in the mind of someone living : on vous laisse y réfléchir.
8- La libération de l’artiste
L’artiste s’affranchit des limites tant techniques qu’au niveau des sujets et des styles. Tout peut être art. Cela permet l’émergence de créations comme le street art. Avec les jeux vidéo, l’art conceptuel ou les performances on observe même une dématérialisation de l’art.
9- L’artiste devient entrepreneur
Certains artistes comme Koons ou Wim Delvoye développent des entreprises et délèguent la production de leurs œuvres. Ils s’entourent de professionnels dans certains domaines et dirigent la création artistique à la manière d’un chef d’entreprise. Ils s’insèrent dans la logique de production de notre époque et utilisent le marketing, parfois à outrance.
10- La beauté d’une œuvre
Le caractère beau d’une oeuvre peut rester d’actualité. Les artistes cherchent parfois des effets de matière et de couleurs mais ce n’est pas ce qui les anime. Il ne faut pas limiter une oeuvre à cela. Le but des œuvres d’art n’est pas de décorer votre salon mais de vous procurer une sensation ou une réflexion. Le beau, qui reste une idée récente, n’est plus la valeur de référence. L’art essaie d’expulser cette question. L’art contemporain se construit avec un ensemble de distances : distance d’avec les matériaux, les règles de la vie en société, le bon goût, les critères habituels de l’art… En art contemporain, c’est le concept qui compte : Monet s’intéresse à l’impression que la nature a sur nous plutôt qu’à sa représentation fidèle. Quand Sierra refuse l’entrée du pavillon de l’Espagne à la Biennale de Venise en 2003 aux personnes ne possédant pas de passeport espagnol, il propose une réflexion sur les conditions d’immigration.
En résumé : ce qui importe c’est votre réception de l’œuvre, le plaisir que vous en tirez. Il faut accepter la découverte de choses nouvelles. Duchamp disait : « c’est le regardeur qui fait le tableau ». A vous de jouer !