Depuis quelques mois, on sait la volonté du CIO (Comité International Olympique) de constituer une délégation d’athlètes « réfugiés ». Ce projet s’est précisé fin janvier lors d’une visite de Thomas Bach dans un camp de réfugiés dans la banlieue d’Athènes.
En marge de cette visite, il avait présenté cette initiative comme permettant « d’envoyer un message d’espoir et de confiance aux réfugiés et d’attirer l’attention du monde sur le sort et le problème des 60 millions de réfugiés dans le monde ». Une démarche concrétisée ces derniers jours avec la présentation des premiers athlètes présents au sein de cette délégation
Pour le mouvement olympique, l’enjeu posé par les personnes qui obtiennent l’asile dans un autre pays est qu’elles fuient leur pays d’origine et donc qu’il est donc difficile de les voir représenter sportivement ce même pays. Dès lors, comment voir ces athlètes de haut niveau concourir dans la plus grande compétition au monde ?
Lorsque l’on parcourt la charte du mouvement olympique, nulle mention explicite de ce cas de figure mais néanmoins l’affirmation d’un « droit humain à la pratique sportive », et la volonté de participer à la promotion d’une « société pacifique » où « la dignité humaine » puisse être « préservée ». De belles et bonnes intentions qui comme souvent trouvent leur contradiction dans des pratiques douteuses de la part des dirigeants de l’olympisme mondial.
Si aujourd’hui c’est la FIFA et l’IAAF qui se trouvent dans l’œil du cyclone, le CIO a connu lui aussi son lot de scandales. A l’instar des polémiques qui entourent l’attribution des Coupes du Monde 2018 et 2022, le CIO a été éclaboussé par des affaires de corruption en lien avec l’attribution des Jeux d’hiver organisés à Salt Lake City en 2002. Le président du CIO de l’époque, Juan Antonio Samaranch, était par ailleurs connu pour avoir été un partisan zélé du régime franquiste en Espagne. Un passé qui ne l’a pas empêché de se faire élire à la tête du CIO et de diriger le mouvement olympique pendant une vingtaine d’années (1980-2001).
Si le CIO cherche assurément à redorer son blason au travers de cette opération, cela participe également à un mouvement de fond au sein du mouvement sportif en faveur des réfugiés qui sont arrivés en nombre sur le continent européen. Pour mémoire, les supporters et les clubs de football à travers l’Europe qui se sont mobilisés à l’automne dernier en faveur des réfugiés.
Une tradition olympique méconnue
Au-delà de l’actualité « chaude » et du contexte immédiat où la situation des réfugiés est sous le feu des projecteurs, l’initiative du CIO n’est pas une première. Dans l’histoire récente des Jeux Olympiques, quatre olympiades ont vu la participation d’athlètes sans affiliation à une fédération reconnue par le CIO. Ils se retrouvent alors à participer sous la bannière olympique sans le drapeau de leur pays d’origine.
Ce cas de figure s’est présenté lors des dernières olympiades à Londres avec trois athlètes. La première était originaire du Sud-Soudan, Etat en cours de reconnaissance internationale à l’époque, après son indépendance en juillet 2011. Les deux autres athlètes représentaient Curaçao, une île des Antilles sous l’autorité des Pays-Bas et qui reste l’un des trois Etats constitués rattachés à la métropole européenne après la dissolution des Antilles néerlandaises en 2010.
En 2000, ce sont quatre athlètes originaires du Timor oriental, dont l’Etat ne sera officiellement reconnu et constitué que deux ans après, en mai 2002, qui participent. Ils prirent part aux épreuves de marathon, de boxe et d’haltérophilie lors des Jeux disputés cette année-là à Sydney, en Australie. Le géant d’Océanie était intervenu militairement sous mandat de l’ONU au Timor. Un déploiement de force sur place en réaction aux affrontements qui suivirent le référendum d’indépendance organisé au Timor Oriental et qui ouvrit la voie à la séparation du pays avec l’Indonésie à laquelle il était rattaché jusqu’alors.
Des « vrais » athlètes ou de simples faire-valoir ?
Les J.O de Barcelone ont été l’autre exemple d’athlètes concourant sous la bannière olympique. Ces olympiades se déroulaient dans le contexte de la dislocation de deux géants européens, l’URSS et la Yougoslavie. Du côté soviétique, les pays baltes détachés de l’Union dissoute en 1991 concouraient sous leur propre bannière tandis que les pays de la CEI (Russie, Kazakhstan, Biélorussie…) concourent ensemble au sein d’une délégation appelée « Équipe unifiée de l’URSS ».
Du côté yougoslave, la Slovénie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine présentent leurs propres délégations tandis que les athlètes de Yougoslavie (Serbie, Monténégro, Kosovo) doivent concourir sous la bannière olympique. De son côté, la Macédoine indépendante depuis 1991 ne présentera pas d’athlètes à ces Jeux.
Ils seront 58 athlètes à concourir dans 13 sports. Parmi eux, trois athlètes (Jasna Sekaric, Aranka Binder et Stevan Pletikosic) parviendront à remporter des médailles, deux en argent et une en bronze, les trois dans la discipline du… tir (pistolet et carabine). Un détail pour le moins insolite, la guerre faisant rage à l’époque en Bosnie entre les forces serbes, croates et bosniaques.
Au moment des Jeux, la ville de Sarajevo, aujourd’hui capitale de la Bosnie-Herzégovine, est assiégée et soumise à un blocus par les forces serbes. Un siège qui a débuté en février 1992 et qui s’est poursuivi pendant la durée des Jeux, et ce jusqu’en 1996, se terminant quelques mois avant les J.O suivants, organisés cette fois-ci à Atlanta aux États-Unis.
En 1992, la Yougoslavie est en guerre et fait par ailleurs l’objet d’un boycott international voté au conseil de sécurité de l’ONU, qui inclut un volet sportif. Un boycott voté le 30 mai 1992 et qui aura notamment pour conséquence immédiate l’exclusion de l’équipe yougoslave de l’Euro 1992 en Suède, qui devait débuter quelques jours plus tard.
Cette situation relativement inédite va permettre au CIO et à Juan Antonio Samaranch de restaurer un caractère « universaliste » aux J.O après quatre olympiades (1976 à 1988) marquées par des boycotts politiques. En effet, Samaranch va obtenir via des négociations à la fois avec les dirigeants espagnols, européens et américains, la participation des athlètes yougoslaves sous une bannière neutre.
Une décision qui fait apparaître les Jeux Olympiques et les athlètes qui concourent « à titre individuel » à ces olympiades comme ne prenant pas part aux conflits et aux guerres et en cours, mais au contraire participant à véhiculer un message de paix et de fraternité… Vous connaissez la suite.
C’est probablement le même type de démarche qui anime Thomas Bach, l’actuel président du CIO, au travers de l’initiative de constituer une délégation de réfugiés participant aux compétitions des prochains Jeux. Les profils des athlètes annoncés pour cette délégation correspondent à ceux de sportifs de haut niveau.
On compte deux judokas congolais (Popole Misenga et Yolanda Mabika – RDC) qui ont participé aux championnats du monde de Rio en 2013 et fui leur pays à cette occasion. Ysra Mardini est, elle, une nageuse syrienne qui détient le record national du 400 mètres en petit bassin, une performance réalisée lors des championnats du monde 2012 à Istanbul. De son côté, Raheleh Asemani (photo en une) est une taekwondoiste iranienne qui a obtenu son billet pour les Jeux à l’issue d’un tournoi de qualification disputé en janvier à Istanbul. Elle avait déjà obtenu une médaille d’argent aux Jeux Asiatiques en 2010 sous les couleurs de l’Iran, toujours en taekwondo. Elle travaille désormais comme postière en Belgique.
D’autres athlètes devraient grossir les rangs de cette sélection concoctée par le CIO et qui devrait, quelques soient les résultats obtenus par ces athlètes, constituer l’une des attractions de ces Jeux Olympiques.