Mardi dernier, le Super Tuesday a marqué l’accélération de la campagne des primaires américaines et a ouvert en fanfare un mois de mars surchargé pour les candidats des deux partis.
Pour rappel, c’étaient douze Etats, plutôt dans la moitié est du pays, qui votaient pour une grande fournée de délégués (voir graphique). Trump et Clinton dominaient leur scène respective dans les prévisions et les sondages ; ils ont concrétisé cette domination dans la nuit de mardi à mercredi. Avec quelques bémols du côté républicain, où 5 candidats s’affrontaient et devaient se partager les voix au sein d’un champ politique de plus en plus fracturé.
Les Démocrates : Clinton creuse l’avance
Mardi 1er mars a été, comme prévu, une très bonne nuit pour Hillary Clinton. Elle a remporté sept Etats contre quatre pour Sanders. Dans la plupart de ces Etats, Clinton l’emporte avec une marge plus que décisive : presque 60% en Alabama, plus de 40% en Géorgie, 35% dans l’Arkansas et en Virginie, 30% dans le Tennessee et au Texas. Dans ces Etats du Sud, elle a encore beaucoup profité du vote noir. Les choses ont été plus difficiles au nord-est, où l’électorat se compose davantage de blancs, d’étudiants, d’une classe moyenne paupérisée qui se tourne plus volontiers vers le compétiteur socialiste Bernie Sanders : ainsi, Clinton ne prend le Massachusetts qu’avec 2% d’avance (50,1%), et le Vermont a préféré Bernie à 86%, contre 13% pour Hillary (différentiel de 73%). Sanders l’emporte aussi, avec des marges assez réduites, dans l’Oklahoma (51,9%), dans le Minnesota (61,6%) et le Colorado (59%).
Cette tendance de vote a été confirmée les 5 et 6 mars, où Sanders a remporté le Kansas et le Nebraska (dans le Midwest) et le Maine (nord-est), et Clinton la Louisiane, l’un des Etats du Sud par excellence.
Mais il faut surtout regarder le nombre de délégués obtenus pour mesurer l’avance de Clinton : 1 147 à ce jour (mardi 8 mars), là où Sanders n’en a que 498. Il faut un minimum de 2 383 délégués pour obtenir une majorité et remporter la nomination. Clinton semble bien partie.
Ce mardi 8 mars, ce seront les démocrates du Michigan et du Mississippi qui se prononceront.
MISE A JOUR 08/03/16 : Le milliardaire et ancien maire de New York Michael Bloomberg, qui laissait planer la possibilité d’une candidature indépendante, a annoncé lundi soir renoncer à une telle éventualité : le contenu de sa déclaration ressemble à un soutien quasi-officiel à Clinton.
Les Républicains : Trump conforté et guerre ouverte
Le Super Tuesday n’a pas arrangé l’ambiance chez les Républicains. Comme prévu, Trump a été le grand vainqueur mardi dernier, remportant sept Etats. Mais le raz-de-marée a été contenu, et ce fut la surprise de la soirée : Ted Cruz, sur sa ligne de chrétien conservateur, a remporté l’Oklahoma, l’Alaska, et son Etat du Texas, gros vivier à délégués.
Marco Rubio, sur lequel l’establishment républicain avait placé ses espoirs pour contrer Trump, a remporté sa toute première primaire, le Minnesota — un Etat de très faible valeur pour les Républicains. Un échec : l’étoile de Rubio a fortement pâli. Lundi soir, certains au sein de sa campagne se demandaient tout haut s’il ne devait pas se retirer avant la primaire du 15 mars en Floride, dont il est sénateur et où les sondages le donnent largement battu par Trump. John Kasich, gouverneur de l’Ohio, a surpris en se plaçant second derrière Trump dans le Massachusetts. Avec des résultats au ras du sol, Ben Carson, le neurochirurgien à la retraite, s’est rendu à l’évidence et a annoncé son retrait le 4 mars.
Les 5 et 6 mars, Trump et Ted Cruz se sont partagé les gains, le premier remportant la Louisiane et le Kentucky et le second le Kansas et le Maine.
A ce jour (mardi 8 mars), Trump peut compter sur 391 délégués, suivi de près par Cruz avec 304, 154 pour Rubio et 37 pour Kasich. Il leur faudra un minimum de 1 237 délégués pour s’assurer une majorité et remporter la nomination.
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Romney à la rescousse du Parti
Le barrage anti-Trump, inauguré fin février, s’est consolidé toute la semaine de la part des élites républicaines. Mitt Romney, républicain défait par Obama à la présidentielle de 2012, a pris la parole depuis son fief de l’Utah jeudi avec un discours offensif, d’une assez rare violence venant d’un ancien candidat, traitant Trump de « charlatan », d’« imposteur » qui « prend les américains pour des pigeons ». Romney a également appelé à un vote stratégique pour l’un des trois autres candidats. Un indice supplémentaire que l’élite républicaine vise une convention négociée en juillet : abattre Trump en famille par des tractations de couloirs.
Le sortie de l’ancien candidat devait peser lourd ; elle avait été annoncée bien en amont et les médias tournaient dessus avant même qu’elle eut été prononcée. Finalement elle n’a pas peut-être pas servi à grand chose. Romney est l’incarnation typique d’un certain Parti Républicain — celui de Reagan et surtout de Bush père et fils, fait de libéralisme économique ancré dans la mondialisation, d’immigration choisie, de politique étrangère néoconservatrice et de politique intérieure et sociétale bien marquée à droite — mené par des hommes riches, en apparence hautains et déconnectés de leur base. Exactement le genre de ligne politique que Trump dénonce pour mener à bien son OPA populiste sur le parti de l’éléphant. Très peu probable donc que les leçons de morale de Mitt Romney aient convaincu un seul fan de Trump.
Certains ont vu dans la sortie de Romney une manière de se positionner comme un compromis en cas de convention négociée. Assez peu probable, et pour les raisons citées plus haut. Le vrai challenger pourrait être John Kasich, qui tient fermement la barre, appelant même Rubio — qui il y a trois semaines se voyait bientôt rattraper Trump et le désarçonner — à quitter la course pour faire de la place. Kasich compte sur les primaires de l’Ohio, dont il est gouverneur, le 15 mars. Et on parle même de lui comme d’un potentiel vice-président pour Trump — une manière pour les Républicains de s’assurer de la présence d’un professionnel au côté de Trump si celui-ci devenait inévitable. Mais à ce stade il ne s’agit que de rumeurs.
En attendant, Trump, fort de ses victoires, s’élève progressivement au dessus de ses concurrents. Dans son discours du Super Tuesday, il pensait à l’avenir, se posant comme un « unificateur », arrondissant ses propos, se faisant — toute proportion gardée — plus technique, plus précis, plus mesuré. Dans tous les Etats il attire un nombre de votants républicains en augmentation par rapport à 2012 (hausse de plus de 100% au Texas, par exemple), preuve éclatante de l’enthousiasme qu’il suscite. Et il s’en félicite à chacune de ses apparitions. Il parle de sa campagne comme d’un « mouvement » (proche, en cela, de Sanders qui appelle à une « révolution »). Il est clair que son regard se pose de plus en plus sur l’élection générale. S’il est candidat il jouera au centre à sa manière, allant chercher les voix des indécis et même de certains démocrates. Le camp Clinton commence à prendre la mesure du danger.
Après des primaires à Hawaï, dans l’Idaho, dans le Michigan et le Mississipi ce mardi 8 mars, les candidats républicains se dirigent ce mois-ci vers une série de primaires « winner-take-all », au cours desquelles les délégués ne sont pas accordés proportionnellement à chaque candidat mais d’un seul coup à l’unique vainqueur. Ce sera la deuxième date décisive du mois avec le Super Tuesday.