Comme dans bon nombre de sports, la Formule 1 n’échappe pas à la règle du débat sur le meilleur pilote de tous les temps, le « GOAT » en anglais. Pourtant plus qu’ailleurs, il semble bien difficile de déterminer un pilote qui restera comme au-dessus des autres, compte tenu de la diversité des critères et de l’évolution de ce sport. Lewis Hamilton n’échappe pas à la règle…
70 ans d’histoire et une barrière mythique. Dimanche, en cette année très particulière pour tout le monde et si spéciale pour la F1 qui fête ses 70 bougies, Lewis Hamilton (Mercedes) pourrait devenir le pilote le plus titré de tous à égalité avec Michael Schumacher et ses 7 titres de champion du monde. Et même si ce n’est pas le cas dimanche, il est difficile d’envisager avec 78 points d’avance sur son coéquipier et 104 points encore à offrir que le titre puisse lui échapper. Alors qu’il est déjà détenteur du plus grand nombre de poles positions (97) et du plus grand nombre de victoires (93), il serait très tentant de désigner l’Anglais comme le meilleur pilote de tous les temps en Formule 1.
Il est vrai que le Britannique a su franchir tous les obstacles depuis le début de sa carrière. Jusqu’ici, que ce soit ses coéquipiers, Fernando Alonso double champion du monde pour sa première année en F1, Nico Rosberg son ex-ami allemand dans une écurie allemande, que ce soit des années difficiles, il est le seul pilote à s’être imposé chaque année au moins une fois depuis le début de sa carrière il y a maintenant 13 ans, ou que ce soit en terme d’images, il est aujourd’hui incontestablement, l’homme fort de son sport en terme de charisme, étant le porte-parole et le leader du paddock sur des sujets de sociétés importants comme la lutte contre le racisme et les discriminations.
Et puis bien évidemment, il reste de l’Anglais des exploits, des coups de volants magnifiques ancrés dans la légende, plus que n’importe lequel de ses adversaires aujourd’hui encore présent en F1. Ainsi comment ne pas citer sa victoire avec plus d’1 minute d’avance sous la pluie de Silverstone (Grande-Bretagne – 2008), celle de Hockenheim en partant de la 14e place (Allemagne – 2018) ou encore une magnifique victoire tactique avec 1 arrêt au stand de plus en Hongrie en 2019 sur Max Verstappen, qui a aussi permis de souligner une fois de plus son exceptionnel esprit de corps et de communion avec l’écurie Mercedes, avec laquelle il forme l’un des plus fabuleux duo de l’histoire du championnat du monde de F1 depuis 2013. Pourtant, il existe encore des limites à ce concept de « Greatest Of All Time » qui s’appliquent à Hamilton mais aussi à tous les autres…
La F1, un sport en perpétuelle évolution, bien trop pour rentrer dans le cadre de cette notion temporelle de GOAT
Pour qu’il y ait un homme au-dessus du reste, sur l’ensemble de l’histoire de son sport, il faut aussi cependant, que chacun puisse jouer et combattre avec les mêmes critères et les mêmes règles. Or, la Formule 1 contient deux points très importants qui empêchent d’affirmer que tous les grands champions depuis 1950 ait eu a faire face aux mêmes règles. D’abord la question de la voiture, qui sur le plan technique et technologique a très largement évolué. Il suffit de regarder et de comparer une Alfa Romeo de 1950, la voiture championne du monde, avec la Mercedes de 2020 pour constater qu’hormis quatre roues et un volant tout a changé ou presque sur les voitures de courses.
Chaque pilote en fonction des générations a dû faire fi de ces adaptations techniques mais aussi réglementaires puisqu’en 70 ans, les règles sportives ont également changées. Pour citer un exemple, les moteurs pouvaient être remplacés à n’importe quel moment du week-end sans que l’on puisse prendre une pénalité. Aujourd’hui seuls quatre ou cinq moteurs sont autorisés pour l’ensemble d’une saison de F1, qu’il faut donc savoir ménager. Les ravitaillements en essence ne sont plus autorisés depuis 2009 et ne l’était pas avant 1994. Les monoplaces roulent donc avec le plein là où sur une certaine période, elles ont tournés à vide ou presque. On pourrait presque estimer qu’un Juan Manuel Fangio, quintuple champion du monde dans les années 50 faisait non seulement une course d’endurance, puisqu’elles duraient 3h mais aussi devait parfois se muer en mécanicien. Les voitures étaient très peu fiables et il fallait parfois partager avec ses coéquipiers, les résultats durant les GP.
A l’inverse, Michael Schumacher, septuple champion du monde entre 1994 et 2004 dû composer avec une F1 en mode sprint. 1h20-1H30, 70 tours d’attaque à vide ou presque et parfois quatre ou cinq passages dans les stands avec bon nombre d’inventions stratégiques de lui et son équipe. Lewis Hamilton quant à lui, se retrouve dans une époque où la F1 recherche encore parfois son identité depuis la réglementation des moteurs hybrides de 2014. Nous ne sommes plus à l’époque où les voitures étaient typées endurance ou presque dans les années 50, même nous ne pouvons catégoriser non plus, la F1 d’aujourd’hui comme une véritable course de sprint qu’elle fût dans les années 2000. Le Britannique doit composer avec un sport aujourd’hui de gestionnaire, avec des règlements qui tendent en ce sens sur le plan financier mais aussi sur le plan sportif. Une gestion qui doit être vue à long terme sur l’ensemble d’une saison. Il existe une part politique aussi non négligeable aujourd’hui en F1.
Enfin, il est également important d’insister sur les critères statistiques. Car si le sport change, l’argument pionnier de bon nombre de fans pour placer son favori au-dessus historiquement reste ce critère statistique qui resterait le même pour tous. Comme le dirait une expression malgré tout souvent malvenue ou mal-utilisée, « Les hommes mentent mais pas les chiffres ». Cependant en F1 il convient d’interpréter avec une extrême prudence les différents chiffres statistiques. Prenons par exemple le nombre de victoires en Grand Prix, et prenons les 3 hommes les plus titrés à l’échelle de la F1. Lewis Hamilton est à 93 victoires, Michael Schumacher à 91, et Juan Manuel Fangio a 24. La différence entre les 2 premiers et Fangio est monstrueuse, mais qui peut dire que Fangio qui a disputé des saisons à 8 GP, là où Hamilton a participé à deux saisons à 21 courses et Michael Schumacher lui était sur des saisons en moyenne à 15 ou 17 GP, a fait moins bien que les deux autres.
Sur le plan du pourcentage de victoires, il est même largement devant, mais à l’inverse, il faudrait aussi nuancer par son faible nombre de départs (51) contre 306 et 265 pour Schumacher et Hamilton. Une comparaison statistique semble plus tenable entre l’Allemand et l’Anglais. L’ex-pilote Ferrari a signé sa 91e victoire à sa 249e course. Pour Hamilton il a fallu attendre le 261e départ, même si là encore la comparaison est extrêmement serrée entre les deux hommes. Et ne parlons pas d’autres grands champions comme Jim Clark dans les années 60 (double champion du monde) ou Ayrton Senna à la fin des années 80 (triple champion du monde) qui ont aussi démontré à maintes reprises leur coup de volant exceptionnel mais se sont tristement tués en course payant la dangerosité de leur sport.
Rien ne dit que l’un de ces deux hommes par exemple, n’auraient pas plus aller chercher un plus grand nombre de titres que ce qu’ils avaient déjà. Finalement, seul le nombre de titres de champion du monde est une statistique qui n’a pas évolué au fil des années (contrairement aussi par exemple au nombre de point marqués en carrière) et permet d’établir une comparaison viable où le Baron Rouge et le Maestro à la Flèche d’Argent sont ici au-dessus du reste. Mais ce seul critère est ici bien faible au regard de l’évolution de la Formule 1.
Alors, où classer Hamilton dans l’histoire ?
Bien évidemment, il reste indéniable que Lewis Hamilton fait partie de cette quinzaine des plus grands champions qu’ait connu la Formule 1 dans son histoire. L’Anglais dispose de tous les éléments permettant d’entrer dans cette catégorie. La constance et la régularité sur plusieurs années, l’intelligence de course à la Niki Lauda ou à la Alain Prost, des qualités indéniables sous la pluie comme Ayrton Senna, comme Michael Schumacher, un esprit d’équipe et une communion forte avec son écurie comme Vettel avec Red Bull, Alonso chez Renault ou bien sûr Schumacher aussi chez Ferrari. Et une rapidité sur un tour notamment en qualifications, mais aussi en course au moment fatidique de l’arrêt au stand qui elle est peut-être inégalable et qui reste la plus grande qualité du Britannique.
A ses éléments, il convient d’ajouter que face aux autres grands champions de sa génération, Alonso (2007), Button (2010 et surtout 2012), Rosberg (2014 et 2015) ou Vettel (2017 et plus encore 2018), tous ont été battus par l’Anglais ,que ce soit en interne ou dans une écurie différente, à un moment même oà ces derniers avaient le talent et la capacité d’offrir une véritable opposition durable a Hamilton. Les raisons pour lesquelles ces derniers ont été battus sont diverses il est vrai, mais il faut reconnaître qu’ils ont terminé derrière le Britannique et parfois même été usés mentalement par cet affrontement. Ceci peut permettre de reconnaître que Hamilton est sûrement le plus grand champion de sa génération, même si on peut toujours nuancer par le fait que la qualité de sa monoplace depuis 2014, quasi sans faille, l’aide dans ce combat. Cependant, il fait aussi partie de la force d’un champion de savoir choisir la bonne écurie au bon moment et de réussir à fédérer une équipe derrière soi.
A l’échelle de l’histoire en revanche le débat est plus complexe. Peut-on déterminer le pilote anglais comme plus fort, comme plus important pour son sport qu’un Fangio respecté par tous ses adversaires, comme le champion fair-play par excellence, plus important qu’un Jackie Stewart qui a longtemps fait bouger les lignes de son sport en matière de sécurité, qu’un Niki Lauda combattant comme jamais pour revenir de son terrible accident du Nurburgring 1976, puis d’une retraite anticipée avant de devenir une 3e fois titré. Plus important qu’un Alain Prost et un Ayrton Senna qui ont participé à la plus grande rivalité de l’histoire de ce sport, ancré même dans la culture populaire entre un professeur et un artiste. Plus important enfin qu’un Michael Schumacher qui a professionnalisé la F1 comme jamais avant lui. Sans doute pas.
Malgré tout l’Anglais, à une époque où la Formule 1 n’a plus la popularité internationale qu’elle eut dans les années 90-2000 (même si attention le nombre de fans reste très fort) a su s’imposer dans le coeur du public. Des courses qui resteront gravées dans les mémoires, des performances d’anthologies, il a su lui aussi importer sa patte à l’histoire de la F1 par sa capacité à relier son sport avec des sujets de société, et sur un plan sportif, avec sa science de la gestion de la course. Sa carrière, que ce soit en terme d’image ou de politique n’avait encore été jamais vue auparavant. Si il n’est donc pas « THE GOAT », surtout que sa carrière n’est pas terminée, ce qui ne nous permet pas encore de prendre du recul, il aura malgré tout su marquer son époque. Oui, dans 50 ans les passionnés de F1 et même de sport se retourneront avec l’envie d’apprendre de Lewis Hamilton, de regarder quelques unes de ses anciennes courses et l’auront même peut-être pour idole. Et ceci vaut bien plus que tous les records et tous les titres de « GOAT » que chacun peut décerner…
Image de fond (crédits : Autoblog.com)
BOGEARD Thomas