Ce lundi 18 avril au Théâtre du Gymnase, se tenait la première interprétation de « La vie de Toulouse-Lautrec ». Auteur et rôle principal de la pièce, Maurice Lamy livre les confidences poignantes du peintre emblématique de Montmartre à travers monologues, correspondances épistolaires et discussions avec sa mère. Immersion dans l’intimité d’un génie rongé par l’alcool et la maladie.
L’agencement est minimaliste, aucun tableau ni décoration dans l’appartement qui lui sert d’atelier. Seulement un fauteuil où il arrive au peintre de somnoler, une chaise face au chevalet sur laquelle il passe le plus clair de sa sombre vie. Mélodies moroses et monologues sinistres mettent en scène la solitude d’un artiste retranché sur lui-même.
Maurice Lamy interprète un homme fatigué à la recherche d’une chose qui n’existe pas : la perfection. Toujours habité par la farouche réticence de suivre les méthodes conventionnelles dictées par l’Académie, ses débuts suscitent l’incompréhension de la presse et du public, peu enclins à ce style pictural fougueux et coloré, loin du conformisme de l’époque. Sa mère Adèle, symbole de la bourgeoisie maniérée avec qui il entretient une relation épistolaire, lui rend régulièrement visite à Paris dans l’intention de lui faire oublier son orgueil artistique, le convaincre d’adopter un genre plus traditionnel, plus commercial. L’auteur confronte alors deux êtres du même sang que tout oppose, un artiste marginal qui trouve réconfort dans les jupes des péripatéticiennes et une génitrice grégaire outrée par le libertinage, la vie de bohème.
L’homme aux multiples facettes
Derrière l’homme à cabaret montmartrois, fidèle client des maisons closes connu de tous pour sa vie de débauche, son goût excessif des femmes et des boissons fortes, se cache un artiste meurtri par la pycnodysostose, une maladie génétique qui altère le développement des membres, lui vaut trois fractures du fémur et le contraint à se déplacer avec une canne. C’est pourquoi le petit boiteux de Paris déambule sur scène en traînant avec lui sa patte gangrenée et sa mine triste. Entre discours fatalistes et généreuses gorgées de gnôle, d’absinthe, ou de n’importe quel spiritueux qui lui tombe sous la main, il confie son désarroi au public et le mal-être qui l’accable avec une poésie délicate. Si la pathologie n’a guère affecté sa libido, sa descente et son adresse devant une toile, elles, causent en lui d’incurables blessures psychologiques auxquelles il ne trouvera aucune thérapie, seulement des remèdes éphémères comme la peinture, le dessin, l’alcool, le sexe. Henri de Toulouse-Lautrec est un fornicateur alcoolique, un travailleur talentueux, un passionné humaniste, un précurseur de l’Art moderne qui puise son imagination en admirant les demoiselles impudiques voltiger dans les bordels parisiens.
Son combat solitaire
Jamais satisfait de ses oeuvres mais convaincu que son style est le bon, il lutte seul contre tous, essuie les critiques vénéneuses des journaux que lui lit sa mère à voix haute. Les deux personnages sont en désaccord constant. Elle assure qu’il fait fausse route, lui est persuadé de devoir poursuivre dans cette voie, que le travail à forte dose finit par payer. Elle souhaite le marier à une bourgeoise standardisée du sud de la France, lui préfère les créatures érotiques des hauts lieux nocturnes de Montmartre.
Quelques joutes verbales donnent du tempo à la pièce, qui s’anémise souvent en une morosité excessive et des dialogues mélancoliques. Dans cette pénible atmosphère, le metteur en scène retranscrit la douleur d’un incompris victime de son génie avant-gardiste et de son physique disgracieux. Toute sa vie, Henri de Toulouse-Lautrec s’est battu contre l’Académie et les styles préconçus au risque de l’impopularité. C’est seulement à quelques années de sa mort que le public prend conscience de son talent. Comme beaucoup d’artistes, il connaîtra l’apogée du succès au fond de son cercueil. Malgré sa courte existence, dont la fin est précipitée à 37 ans d’une crise cardiaque, le petit homme au chapeau melon laisse derrière lui 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies, environ 5 000 dessins et l’image d’un prodige dont la nature n’a pas voulu, un marginal résolu à reproduire celle-ci telle qu’il la voyait.
Maurice Lamy propose une comédie touchante à la prose poétique, mais qui hélas, tend parfois à la longueur et n’admet aucune révélation historique. En revanche, son jeu d’interprétation et son physique identique à celui du personnage contribuent grandement à l’attractivité de la pièce et compensent son rythme monotone. Isa Mercure offre une prestation dans le rôle maternel à la hauteur de sa réputation. La pièce vaut le coup d’oeil, et gagnera certainement en fluidité au fil des interprétations. La vie de Toulouse-Lautrec est à l’affiche tous les lundi soirs, jusqu’au 27 juin.