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Rasquera (Espagne) : « Les plants » de sortie de crise

Pour effacer une ardoise de plus de 1,3 millions d’Euros, le troisième village le plus endetté de Catalogne a choisi de miser sur la culture du cannabis. Un projet adopté par référendum en Avril 2012, mais toujours pas appliqué dans les faits. 

A 100 Km au sud de Barcelone, des maisons de villages colorées surplombent des champs d’oliviers. Des boules de pétanques claquent, quelques enfants courent les rues, et brisent un silence quasi-permanent. A première vue, Rasquera a tout d’une petite ville paisible, tranquille, sans histoires. A première vue.

Il y a un peu plus d’un an, qui aurait pu penser que cette petite bourgade, qui compte plus de tracteurs que de voitures, puisse à ce point déchaîner les polémiques et faire les choux gras de la presse espagnole ?

Un « plan anti-crise » inédit

Bernat Pellisa, le maire du village catalan, est à l’origine de cette cacophonie. Soucieux d’éponger la dette colossale qui asphyxie les finances de la commune, il propose à son conseil municipal, le 29 Février 2012, de louer des terres à l’Association Barcelonaise de Consommation Privée de Cannabis (ABCDA) pour y cultiver des plants de chanvre. L’organisation, qui disposerait de sept hectares, s’engage à verser 550 000 euros par an à la ville de Rasquera.

Bien qu’étant inédit, le nouveau « plan anti-crise 2012 » est aussitôt approuvé par la mairie. Dès lors, un nouveau défi s’impose à Bernat Pellisa : il doit convaincre les habitants du village du bien-fondé et de la faisabilité de sa proposition. Pas une mince affaire. Il lui faut d’abord prendre la température. Le maire sort de son bureau, retrousse ses manches, et va confronter les habitants. Il se heurte à quelques réticences, et sent la polémique poindre le bout de son nez. C’est décidé, son projet sera soumis à un référendum local.

Incohérences troublantes

Pour mesurer la crédibilité de sa politique, Bernat Pellisa fixe à 75 % de « oui » le seuil nécessaire à la mise en route du programme. Mieux encore, si moins des trois quarts des habitants valident l’initiative du conseil municipal, le maire s’engage à quitter son poste. L’enjeu est de taille pour l’équipe dirigeante, qui risque sa peau dans l’affaire.

Le 10 Avril au soir, le verdict tombe. Et il tombe mal : avec 57% de voix favorables, le projet est en suspens. Le maire élude la question de son départ, et préfère se féliciter du score : « c’est un résultat magnifique. Les gens ont désormais une opportunité de sortir de la crise ».

Rasquera est désormais sous le feu des projecteurs. Les habitants favorables à l’application de cette mesure controversée arborent des tee-shirt, où l’on peut y lire l’inscription « we love Rasquera », avec une feuille de cannabis en guise de cœur. Le maire verrait-il dans l’application potentielle de sa proposition un argument commercial ? Touristique, peut-être ? « Non » affirme la serveuse de l’unique restaurant de village. Soudain, la jeune fille se braque : « Et puis, la proposition de Monsieur Pellisa ne m’intéresse pas. Je préfère ne pas en parler. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai des enfants, et que je ne veux pas de cannabis dans mon village. Vous ne devriez pas vous y intéresser. Vos parents n’aimeraient pas vous savoir ici ». Le malaise s’installe. Elle tourne les talons, et trouve refuge dans la cuisine. Un point sensible aurait-il été touché ? Peut-être la serveuse est-elle agacée par les questions incessantes des visiteurs interpellés par le projet du maire ? Son comportement est étrange. Voir incohérent. Car cette jeune femme portait elle aussi un tee-shirt « we weed Rasquera ».

 Un projet tué dans l’œuf ?

Retournement de situation. Visiblement consciente que nous n’étions venus jusqu’à Rasquera pour « acheter », la jeune femme rebrousse chemin, et nous conseille, tout sourire : « Si vous souhaitez obtenir des réponses, allez voir le gérant du restaurant, il n’est pas là aujourd’hui mais c’est le frère du maire ». Initialement confuse, la situation tend maintenant à l’ironie : cette femme est réticente au projet du maire, pourtant elle porte un tee-shirt qui l’approuve. Qui plus est, dans le restaurant tenu par le frère de l’élu. L’obligerait-il à porter ce vêtement contre son gré, pour diffuser plus largement le message de Pellisa ?

Mais que le maire souhaite, ou non, en faire un argument touristique, le « plan-anti crise 2012 » risque de ne jamais voir le jour. Le gouvernement, et surtout la police espagnole, sont sur leurs gardes. Et pour cause : l’accord entre ABCDA et la commune de Rasquera joue sur l’ambiguïté du code pénal espagnol qui autorise la culture et la consommation privée de cannabis, mais interdit sa commercialisation. De son côté, l’association garantit que le chanvre cultivé dans le village catalan ne sera destiné qu’à la consommation de ses membres, et qu’elle n’a pas l’intention de vendre à des particuliers. Problème : en Mars 2012, la police a interpellé une responsable de l’association pour trafic de drogue, après la découverte d’1,3 kilo de cannabis au siège de l’organisation, à Barcelone. Pour les autorités, l’affaire brouille les véritables intentions de l’ABCDA dans son projet de culture à Rasquera.

Aujourd’hui, la concrétisation de la mesure polémique est plus qu’incertaine. Mais si elle est appliquée, la bourgade deviendra le plus grand producteur légal de cannabis en Europe. Les habitants du petit village catalan, eux, auront plus que jamais la main verte. Et ça ne sera pas grâce aux oliviers.

 

Tristan Molineri

Reportage réalisé pour Cosmopol, le magasine des étudiants en journalisme de Sciences Po Aix

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