Comédie grinçante, Russian Doll précipite son héroïne dans une boucle temporelle fatale où elle ne cesse de mourir. Jusqu’à ce que …
C’est quoi, Russian Doll ? Nadia Vulvokov (Natasha Lyonne) célèbre ses 36 ans lors d’une fête organisée par des amies. En rentrant chez elle, elle est renversée par une voiture et meurt sur le coup. Mais immédiatement, elle se retrouve en vie, dans la salle de bain de l’appartement qu’elle a quittée quelques heures auparavant… Consciente d’avoir déjà vécu cette soirée qui s’achève par sa mort, Nadia va tenter d’agir différemment pour survivre. Encore. Et encore. En vain. Frappée par plusieurs morts successives, la jeune femme cherche à comprendre ce qui lui arrive afin de sortir de la boucle temporelle dans laquelle est elle piégée.
La fiction s’est souvent emparée du thème de la boucle temporelle, condamnant ses héros à revivre inlassablement la même journée – l’exemple le plus connu étant sans doute le film Un jour sans fin avec Bill Murray (1993). Avec en vedette Natasha Lyonne (Nicky de Orange is the New Black), qui a créé la série avec Leslye Headland (Bachelorette) et Amy Poehler (Parks and Recreation), Russian Doll s’appuie à son tour sur cette idée, sans rien apporter de nouveau a priori. Jusqu’au moment où le récit prend des airs de parcours introspectif et psychologique. Il faut dire que c’est une série très personnelle pour Lyonne, qui en parle presque comme un récit autobiographique, puisqu’elle a frôlé la mort à plusieurs reprises à cause de son passé marqué par la toxicomanie.
Charismatique et intense, l’actrice incarne Nadia, programmatrice informatique qui fume deux paquets par jour et distille de sa voix rauque des réflexions sarcastiques. Tout commence le soir de ses 36 ans, lors d’une fête d’anniversaire organisée par un couple d’amies. Après avoir enchaîné les verres et fumé un joint, Nadia décide de quitter la soirée. Victime d’un accident en rentrant chez elle, elle meurt… et se retrouve immédiatement dans la salle de bains de l’appartement qu’elle vient de quitter.
Commence alors une boucle temporelle, qui se répète inlassablement à quelques détails près : la chanson Gotta Get Up de Harry Nilsson résonne en arrière-plan, Nadia sort de la salle de bain, salue son amie Maxine (Greta Lee) qui lui propose un joint, quitte l’appartement, meurt… et revient au point de départ. S’en suit une myriade de décès (électrocution, asphyxie, chute dans les escaliers, explosion, accident dans un ascenseur…) tandis que notre héroïne s’interroge sur sa santé mentale et commence à chercher les raisons de cette mystérieuse répétition. Au fil des huit épisodes d’une demi-heure qui composent la série, elle tentera d’aider un SDF (Brendan Sexton III), se tournera vers sa tante psychothérapeute (Elizabeth Ashley), croisera son ex (Yul Vasquez).
Au premier abord, on peut penser que la série se borne à reprendre les conventions du genre. Mais à la fin du troisième épisode, quand nous pensons avoir saisi le mécanisme, l’histoire prend une tournure inattendue lorsque Nadia rencontre Alan (Charlie Barnett). Il se trouve dans la même situation, revit sans cesse cette journée et meurt constamment. Radicalement différents, ces deux personnages vont chercher ensemble la clé qui les libérera de cette répétition infinie, suivre un parcours différent et prendre d’autres décisions pour essayer de changer leur destin. Alerte, spoiler : comme dans Maniac, c’est en s’aidant mutuellement qu’ils peuvent espérer accéder à une forme de résilience.
Au fil des huit épisodes de 30 minutes, Russian Doll distille des éléments de comédie, de drama, de thriller et de science-fiction, dosant ses ingrédients pour composer un cocktail surprenant. Progressivement, la série aborde en outre des questions plus riches sans pour autant se montrer pesante ou sentencieuse. Blindée de références et de easter eggs, elle emprunte au cinéma (The Game), à la littérature (Dune de Jodorowky), à la mythologie (Ariane, titre du dernier épisode), la physique (la théorie de la relativité d’Einstein) ou la philosophie (le concept de relativisme moral cher aux sophistes grecs… et à Chidi de The Good Place). La réflexion qui peut en découler n’est toutefois que suggérée, de sorte que Russian Doll reste avant tout une série divertissante dont on peut se contenter ; elle ne se révèle plus profonde que si l’on veut regarder au-delà.
En psychanalyse, il existe un concept appelé compulsion de répétition : le patient répète à son insu le même comportement qui l’amène à revivre régulièrement la même expérience pénible, en vertu d’un mécanisme inconscient souvent lié à un traumatisme du passé. La clé consiste à se confronter au traumatisme en question pour le surmonter et sortir de cet engrenage. C’est exactement le sens que prend la boucle temporelle dans laquelle est enfermée Nadia, marquée par une lourde histoire familiale. Comme dans une matriochka, il lui faut ouvrir les poupées les unes après les autres, jusqu’à arriver au cœur de sa tragédie personnelle et affronter ses démons. Ce n’est pas un hasard si, dans son métier, Nadia travaille sur un jeu vidéo où un bug la piège dans une boucle, l’obligeant à réécrire le code et relancer le programme jusqu’à ce qu’il soit corrigé…
La boucle temporelle, d’où un personnage ne peut s’extirper qu’en modifiant ses actions, est un sujet toujours intrigant. Portée par Natasha Lyonne, Russian Doll ne déroge pas à la règle et parvient à susciter a minima la curiosité d’un spectateur qui voudrait bien connaître le fin mot de l’histoire. Et il sera satisfait, le final semblant conclure l’histoire de Nadia et Alan. Prise au premier degré, Russian Doll est une série légère et sympathique ; on peut aussi y trouver davantage de profondeur à mesure qu’elle transforme le parcours de son héroïne en quête initiatique aux accents existentialistes. Mais dans les deux cas, on préfère vous avertir : vous risquez de devenir obsédé par la chanson Gotta Get up…
Russian Doll (Netflix)
8 épisodes de 30′ environ.
Disponible depuis le 1er Février.