Alors que la saison 1 de Double Je s’est terminée hier soir sur France 2, on dresse le bilan de ces épisodes avec son showrunner, Camille Pouzol.
C’est quoi Double Je ?La capitaine de police Déa Versini travaille avec Jimmy. Ils sont inséparables depuis toujours, et aucune affaire criminelle ne leur résiste. Mais l’arrivée du séduisant lieutenant Matthieu Belcourt va bouleverser leur duo si parfait? Car Jimmy a une particularité : il n’existe pas ! C”est l’ami imaginaire de Déa.
Après cette première saison de Double Je qui s’achève, quel bilan vous en tirez ?
Camille Pouzol : Que le foot féminin marche bien finalement, non ? Sans rire, et même sans amertume, en grande fan de foot, oui, il faut saluer ces audiences de folie pour nos bleues si talentueuses… même si on en a souffert 🙂 Après, en terme de bilan, j’ai envie de retenir mille choses positives de cette première saison. Des retours extrêmement touchant, enthousiastes, inspirés, aussi bien de gens du métier que de téléspectateurs. On nous a parlé de la lumière, de la musique, de la fraîcheur, du rythme, de l’originalité, du côté solaire, joyeux, décalé… C’est infiniment touchant quand le travail est salué. Quand ceux qui te regardent comprennent et apprécient pile ce que tu avais envie de faire passer. Et puis, c’est vrai qu’on est tous fiers dans l’équipe du chiffre atteint sur les « femmes de moins de 50 ans », jusqu’à 11% pour l’avant dernière soirée, du rarement vu sur cette case. Bien sûr que cela me touche particulièrement de plaire aux femmes… On ne peut pas nier que c’est une série très féminine. Tout comme je trouve cela chouette que l’audience ait rajeunie par rapport à d’habitude, ou encore que nos bons chiffres du replay permettent à l’audience d’augmenter de 20% ! Ce sont des signaux qui montrent que les choses bougent, ou peuvent bouger en tout cas…
Vous avez fait des choix radicaux, osés dès le départ et jusqu’au bout comme les faire succomber dès le début, ou encore comme ce soir « casser » l’élan en faisant partir le pioupiou (plutôt que de continuer sur une formule). Pourquoi de tel choix ?
Je ne sais pas si ce sont des choix « radicaux » ou même « osés »… cela me semble être des mots très forts ! Mais ce sont des choix d’auteur avant tout. J’avais envie d’explorer « autre chose » que le jeu chat/souris du binôme d’enquêteurs qui hésitent à se frôler pendant 678 saisons… J’ai tellement adoré ce « modèle » dans X-Files par exemple, mais aussi dans Castle, Bones, Cherif, Clair de Lune… que je ne me voyais pas refaire la même chose. Un truc de fan, de respect pour les réussites et les idées des autres. Je suis persuadée qu’avoir envie de refaire est tout aussi fort qu’avoir envie de faire… La tension sensuelle est aussi puissante, elle est juste différente. A mon sens, l’attirance charnelle de Déa et Matthieu est évidente. Mais leur « relation amoureuse » beaucoup moins. Dans l’expression de leur désir, tout est « simple », mais lorsqu’il faut vivre une histoire plus classique, tout se complique. Je n’ai pas voulu évacuer un truc, genre « ça c’est fait », j’ai voulu poser d’autres bases et pouvoir jouer avec… autrement !
Quant à la disparition de Matthieu Belcourt en fin de saison de Double Je… on peut se dire logiquement qu’elle était programmée. Il le dit plusieurs fois : agent à la DGSI, il est en « pause » dans ce commissariat, et il sait qu’un jour, ils le rappelleront. Il dit même texto « je disparaitrais sans prévenir ». Est-ce vraiment ce qu’il s’est passé ? Va-t-il revenir ? Là… je n’ai pas du tout envie de spoiler la suite… Par contre, son départ déclenche chez Déa une véritable crise d’angoisse et de désespoir, pas seulement liée à Matthieu, mais aussi et surtout à la répétition de son pire trauma, l’abandon de sa maman qui est partie lorsqu’elle avait 6 ans. Pour elle, ça recommence et ça la fragilise infiniment… Cet abandon maternel est la clé de mon héroïne. Résiliente et solaire, oui, elle a réussi à construire sa vie, mais sur une faille. Elle a des zones rouges comme je dis souvent, où elle a trop peur de s’aventurer… Quand celle qui incarne l’amour inconditionnel qu’on devrait vous porter toute votre vie CHOISIT de vous laisser, comment imaginer aimer et être aimé ? Comment faire confiance ? Comment ne plus avoir peur ? C’est aussi le jour où sa mère est partie que Jimmy est apparu dans sa vie, et c’est parce que Déa n’a jamais vraiment réussi à surmonter ce chagrin et cette blessure qu’il n’est jamais parti… ou qu’elle ne le laisse pas partir, comme on veut… Une capitaine de Police qui enquête avec son ami imaginaire, et a donc accès à son inconscient incarné, c’est super, mais pour moi, ça ne suffit pas. Il faut un socle émotionnel et puissant à tout ça.
Comme dans Double Je, la question du « vont-ils coucher ensemble » n’a pas lieu, est-ce que c’est « Jimmy » qui la remplace. Pour faire simple, la série peut-elle survivre à la révélation de son existence ?
Ça voudrait dire que dans X-Files par exemple, la seule question qui compte c’est : vont-ils coucher ensemble ? C’est dur ! 🙂 Chris Carter ne serait pas content ! Non, plus sérieusement, la vraie question pour moi c’est : comment Déa va-t-elle trouver le bonheur, ou tout au moins, l’équilibre dans sa vie ? Elle y était plus ou moins parvenue avec son duo avec Jimmy: un super job qu’elle adore, un ex avec qui elle est pote, sa petite cellule familiale qu’elle chérit (son papa et son fils), ses collègues sympas etc… Mais pour moi, il lui manquait quelque chose. Sa maman, certes. Cette absence a créé un gouffre sous chacun de ses pas, et même si elle donne le change, elle est en défense, les « bras devant » comme je dis souvent. Elle a peur de s’engager émotionnellement à tous les niveaux (sauf dans ses enquêtes où l’on sent à chaque fois une implication empathique excessive, Déa est flic pour réparer. Toujours. Les drames des autres… face au sien qu’elle subit…) … en gros, elle se surprotège. Jusqu’à l’arrivée de Matthieu. Le duo devient trio. Et à partir de là, tout est possible. La vraie question pour moi, c’est: doit-elle forcément choisir ? Serait-il possible de garder les deux ? Et si oui, en sont-ils tous les trois capables ? Le chemin de Déa me semble passionnant à explorer. Son ouverture aux autres, au monde, et surtout à l’amour, la manière qu’elle aura (ou pas) d’oser assumer qui elle est, et de faire de ses failles, une force indestructible.
Que peut-on attendre en saison 2 de Double Je ?
Difficile aujourd’hui d’en parler… Nous sommes en écriture en attendant le OK (ou pas) de la chaîne. Je ne veux rien anticiper, je ne veux rien spoiler, alors, c’est délicat… En tant qu’auteur, purement dans le travail d’élaboration de la suite, je dirais qu’on a eu à cœur de faire mieux. On a décrypté la Saison 1 et on s’est dit: montons d’un étage (ou même deux !!). Soyons encore plus exigeants, à tous les niveaux. D’abord sur le polar: c’est un plaisir décuplé d’imaginer les « affaires » de la Saison 2, désormais, on connaît bien mieux tous nos personnages, et on leur concocte des intrigues sur mesure… J’adore relancer les dés d’une nouvelle enquête à chaque épisode, et tenter d’emmener les gens dans des univers et des trajectoires humaines qui les bouleversent et les étonnent… Le procédural, c’est ça: ciseler chaque enquête pour qu’elle soit unique et passionnante, ne jamais se relâcher (genre: bon celle-là, elle est moins forte mais tant pis y’en a d’autres…). Et puis une Saison 2 c’est la possibilité merveilleuse d’aller plus loin pour tous nos personnages. De les faire évoluer, mais aussi se révéler, tout en restant fidèle à qui ils sont. Enfin, ce que je peux dire, c’est que je me suis appliquée à réfléchir à des arches narratives au plus proche de cette série, mais aussi de tenter des choix différents. Je réfléchis en me disant: qu’est-ce qui serait évident, là ? Et puis je me dis: oui, mais qu’est-ce que ferait Déa et Jimmy ou Matthieu, ou Fred, ou Jeanne… qu’est-ce qu’ils feraient EUX ? Et je tente d’écrire pour mes personnages avant tout, pas pour suivre une logique quelconque ou être différente à tout prix. Pour être vraie.