Ce 12 juillet 2020 la Pologne, la terre de la grande promesse, a choisi de réélire son président face au maire de Varsovie, Rafał Trzaskowski. Si cette élection se solde par une victoire serrée, il reste qu’avec 51% des voix le parti Droit et Justice (le PiS) s’enracine comme la force politique la plus importante du pays. C’est alors l’occasion rêvée de revenir sur le premier mandat et de dresser le portrait de celui qui semble être le visage de cette mouvance, le président Andrzej Duda.
La campagne présidentielle de 2015 prend place dans un contexte d’une Pologne à deux vitesses. Comme souvent, cette Pologne est divisée et mérite son ancienne appellation de « République des Deux Nations ». Si le mandat du président libéral Bronisław Komorowski est marqué par une bonne santé économique, cette croissance est mal répartie. Les habitants de l’Est du pays, historiquement plus à droite, se sentent délaissés et portent le PiS au pouvoir.
Si Duda, investi le 6 août 2015, constitue le visage de cette Pologne, le cerveau n’est autre que le fondateur historique et président du PiS : Jaroslaw Kaczynski. Ainsi, la victoire du parti conservateur souligne la revanche des frères Kaczynski. Ces frères se sont partagés le pouvoir lors de la « République monozygote » de 2005 à 2007, Jaroslaw occupait le poste de Président du Conseil des ministres et son frère Lech celui de président de la République Polonaise jusqu’à sa mort lors de l’accident d’avion de Smolensk le 10 avril 2010. Ainsi Duda, tout comme ses trois Premiers ministres, tient sa place grâce à son caractère plus modéré que le fondateur ultra-conservateur. L’opposition ne se garde pas de considérer Duda comme un simple pantin du PiS, la réalisatrice Agnieszka Holland le qualifie d’une « marionnette qui ne décide de rien ».
Un duopole positif…
Si la victoire du PiS aux élections présidentielles puis parlementaires en 2015, le plaçant comme le premier parti à remporter la majorité absolue au Parlement polonais depuis la fin du communisme, ne cesse d’inquiéter Bruxelles qui craint de voir surgir une deuxième « démocratie illibérale » sous le modèle de la Hongrie de Viktor Orbán. Force est de constater que le premier mandat de Duda est marqué par certaines avancées sociales.
C’est en soutenant une politique sociale visant à établir un « État-providence à la polonaise » que le PiS s’assure d’un fort soutien de la population. L’État met alors en place la gratuité des médicaments pour les plus de 75 ans, la taxation des institutions financières, la renationalisation de banques et surtout l’abaissement de l’âge de la retraite à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes alors même que les libéraux avaient repoussé l’âge de départ à 67 ans.
Cette stratégie Bismarckienne ne se fait pas dans la dichotomie social/économique. En effet, la Pologne maintient un niveau de croissance à 5 % en 2019 (que l’État s’efforce de bien répartir pour conserver son électorat). Le niveau de chômage est à hauteur de 3,8 % soit le plus bas depuis la fin du communisme, de quoi satisfaire Kaldor. Du reste, le déficit public est stabilisé à 1,6 % du PIB et la dette publique demeure sous les 50 % du PIB. Enfin, Duda s’efforce de favoriser le développement des entreprises polonaises avec pour objectif de mettre fin au contrôle étranger sur son économie depuis la sortie du communisme.
… mais une Pologne de plus en plus isolée
Pour autant, il s’avère que les inquiétudes de Bruxelles sur l’ascension d’une nouvelle « démocratie illibérale » ne sont pas infondées. Si Duda n’est pas résolument anti-européen, au contraire de nombreux membres du PiS, son mandat est marqué par la détérioration de nombreuses relations diplomatiques y compris avec des partenaires historiques de la Pologne à l’image de l’annulation du triangle de Weimar de novembre 2016, sommet franco-germano-polonais. Résolument atlantiste, Duda place Donald Trump comme un modèle à suivre. Cette tendance s’observe par le nombre de rencontres entre ces derniers, jamais un président polonais n’avait autant rencontré un président américain. Si Duda vente ouvertement la politique de Trump sur la Covid-19, il reste que leur relation n’est pas sans faille. Début 2018, le pays met en place un projet de loi mémoriel visant à reconnaître la Pologne comme une nation uniquement victime et non pas complice des crimes commis par l’Allemagne sur son territoire et permettant la condamnation de ceux qui évoquent la complicité de l’État polonais dans le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce projet, ayant pour but de faire passer la Pologne comme seule victime et les militants anticommunistes comme seuls héros de l’histoire polonaise, provoque l’indignation internationale et plonge la Pologne dans un isolationnisme moral peut-être encore plus important.
La guerre contre Bruxelles se modèle surtout autour des volontés réformistes du gouvernement. Les projets des conservateurs sont vivement critiqués par la Commission européenne, en particulier ceux sur la réforme du Tribunal constitutionnel et des médias publics. La loi sur la Cour suprême arrive juste après deux autres textes votés le 12 juillet 2017. Le premier porte sur le Conseil national de la magistrature et mentionne que ses membres seront désormais choisis par le Parlement. Le deuxième modifie le régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents seront nommés par le ministre de la Justice. L’opposition crie alors au coup d’État et à la violation de la séparation des pouvoirs. La Commission européenne a déclenché le mercredi 20 décembre 2017 l’article 7 du traité pour « violation grave » à l’État de droit.
Quo vadis ?
Si ces derniers éléments sont particulièrement inquiétants pour la démocratie polonaise, il semble que la Pologne ne soit pas encore la Hongrie. En effet, les libertés sont encore présentes et Jaroslaw Kaczynski n’est pas populaire comme peut l’être Viktor Orban, pour preuve il doit s’appuyer sur une personnalité plus modérée. D’autant que si Bruxelles a eu du mal à contenir les actions hongroises elle ne fera pas deux fois la même erreur. Que faut-il alors espérer de l’avenir ? Difficile de savoir si les prises de position de Duda pendant sa campagne sont des fers de lance ou des simples stratégies d’élection. La question LGBT, que Duda n’hésite pas à qualifier « de nouvelle norme de communisme », en ligne de mire. Reste à savoir si des mesures comme la limitation de la pilule du lendemain de 2017 vont être reconduites. Enfin la Pologne post-élections de 2020 est profondément divisée, la formule de la République des Deux Nations semble une nouvelle fois appropriée. L’élection sur le fil est un avertissement certain pour le parti Droit et Justice, l’opposition libérale s’est trouvé un leader, en la personne de Rafał Trzaskowski, et il pourrait bien le faire savoir lors des élections législatives de 2023. Le maire de Varsovie aura alors intérêt à exploiter le clivage ville/campagne à son avantage. En revanche, il peut craindre un essor du vote des plus de 60 ans, majoritairement conservateurs, enracinant encore plus le parti dans le paysage polonais.