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Anis Rhali : « Paris j’y fais juste un stage, une fois toutes les possibilités exploitées je retournerai dans mon 93 »

Le créateur de contenus Anis Rhali met en avant la conception de son art, en réaction à la scène actuelle. À l’initiative de la série de vidéos Les français savent-ils rapper ?, il entend bien représenter la banlieue autrement que sous « les prismes traditionnels de l’ultra-misérabilisme ou de l’ultra-comédie ».

Désormais dans le 18e arrondissement de Paris, il s’illustre par des sketchs et des courts-métrages, presque tous trouvables sur sa chaîne YouTube et sur celle du collectif Golden Moustache où il a été directeur artistique de 2018 à 2020. Adepte des contraintes de création, il est très actif sur les formats courts de la plateforme Instagram, anciennement celle de Vine et récemment celle de TikTok. Scénariste, réalisateur et comédien, Anis Rhali se confie sur la naissance de sa fibre artistique et sur la place de son 93 dans ses créations.

Où as-tu grandi et combien de temps as-tu passé dans le 93 ?

Anis Rhali : J’ai grandi au Bourget, soit la ville sûrement la moins « ghetto », mis à part Pavillons-sous-bois, du Val-de-Marne. J’ai donc eu une enfance assez paisible mais étant une ville globalement de droite et orientée pour les plus vieux, elle n’avait pas les activités sympas des villes « ghettos » comme des gros ateliers théâtres, c’était un peu injuste pour la jeunesse. J’y ai passé 70 % de ma vie, aujourd’hui j’ai 30 ans et j’y étais encore il y a deux ans. Maintenant j’habite à Paris.

Ça te manque ? Tu te vois y retourner vivre un jour ?

Même si c’est juste à côté, tout à l’air loin depuis Paris. Mais pour moi j’y fais juste un stage, j’y habite un peu mais je sais que je vais retourner dans mon 93 quand j’aurai fini d’exploiter à fond la vie parisienne et ses possibilités. Je sais que la situation au Bourget s’améliore mais je ne me vois pas forcément revenir là-bas. En revanche comme j’ai 30 ans je commence à avoir des réflexions de vieux. Si j’ai des enfants je veux qu’ils bénéficient des activités sympas à la Courneuve ou à Aubervilliers. C’est peut-être un peu plus « ghetto » mais ma vision optimiste me fait penser que si tu entoures et éduques bien tes enfants, il n’y a pas de raison pour qu’ils ne s’épanouissent pas dans ce genre d’environnement.

D’où vient ta fibre artistique alors ?

Le cliché de la famille arabe veut qu’elle ne soit pas encourageante quand tu veux faire de l’art mais comme ma mère est chanteuse, c’était une situation différente. On m’a toujours donné confiance en moi même si c’est un métier incertain qui peut rémunérer peu. Le peu de fibre artistique que j’avais en moi s’est développé dans des villes voisines. J’ai commencé le théâtre au centre culturel de la Courneuve au lycée parce que je voulais des points pour le bac. J’en avait fait un peu avant après la claque de la sortie de Prison Break en 2005, je voulais jouer et performer comme eux, alors je me suis inscrit dans un cours à Saint-Denis. Comme quoi ce n’était toujours pas au Bourget.

Et après le baccalauréat ?

Après ça j’ai fait des écoles de théâtres tout en remplaçant l’intervenante qui organisait l’atelier théâtre pendant mes années bac. Si je refusais l’atelier fermait, il y a trop de jeunes qui en ont besoin alors j’ai accepté. Je me suis retrouvé prof de théâtre à 22 ans dans mon ancien lycée. Au premier cours, j’avais 30 élèves qui attendaient devant moi que je fasse un cours mais je n’en savais rien. La matinée j’avais un cours dans une école de théâtre, le soir j’en donnais un. En plus d’être intervenant-prof, j’étais metteur en scène parce qu’on devait jouer une pièce devant le centre culturel de la Courneuve. J’avais pris les Fourberies de Scapin pour son côté lutte des classes ce qui fait écho avec les milieux sociaux pas forcément aisé des élèves.

Tu te voyais plus comme un comédien ou comme un metteur en scène ?

Tout est parti de mon envie de jouer la comédie, de faire du théâtre. Je ne voyais pas du tout le théâtre comme une étape vers le cinéma, la discipline est vraiment belle et j’espère y retourner un jour. La hasard a fait que j’ai écrit des choses parce qu’on ne me proposait pas de les jouer mais je ne m’étais jamais vu comme un scénariste. De manière générale, j’ai l’impression qu’on ne t’autorise pas à l’être quand tu es arabe. À Golden Moustache des personnes étaient invitées dans des jurys de courts-métrages après 6 mois en tant que scénariste, je l’étais pendant 4 ans avec des gros succès et on me proposait du stand-up alors que j’en ai jamais fait. Quand tu es un jeune de banlieue, tu es plus vu comme comme quelqu’un de marrant mais pas comme quelqu’un qui pense et dirige un film.

Comment tu en es venu à la création sur Internet ?

Elle est d’abord arrivée parce que ça s’est mal passé avec les gens du théâtre. On va croire que je ne parle que de ça mais on me regardait comme l’arabe de service. Dans ma première école, une petite, je n’avais pas eu de problèmes parce qu’on était tous des espèces de parias de la société. J’ai voulu faire une meilleure école pour préparer les grands concours et une prof avait un comportement un peu raciste, notamment avec un autre élève ce qui m’a un peu dégouté. J’y allais de moins en moins et Vine (N.D.L.R. : une application d’hébergement de vidéos de 6 secondes) sort au même moment. Plus il y a de contrainte de création, plus je suis excité, c’est naturellement que Vine a bien fonctionné pour moi. On m’a alors proposé de m’occuper de la Skizz Family, un collectif de Vineurs voulant se lancer sur YouTube. À partir de là, j’ai eu beaucoup de propositions, même si j’ai l’impression d’être en fin de cycle avec eux par rapport à la belle émulsion du début, je suis aussi créateur de contenu pour Konbini depuis cette époque.

Et Golden Moustache dans tout ça ?

Ce qui est marrant c’est que les deux gros studios de YouTube Studio Bagel et Golden Moustache sont venus vers moi au même moment. Les deuxièmes sont venus me voir avec le projet du « LAB », soit la possibilité de faire des courts-métrages en une demi-journée et plein de contraintes, tout ce que j’aime. C’est à ce moment là, que l’alchimie du groupe de Multiprise avec Freddy (Gladieux) et Aurelien (Prévaux) s’est formé. Pour éviter de faire la queue dans un Golden Moustache rempli de créateurs comme McFly et Carlito, Florent Bernard ou Adrien Ménielle, on a lancé cette filiale. Sauf que tout le monde est parti à ce moment là et on a dû alimenter les deux chaînes. Si on avait su on n’aurait jamais créé multiprise. Vers 2018, je voulais quitter le projet parce que je ne me reconnaissais plus trop dans les personnages d’hommes blancs, de 30 ans, à Paris. Après une discussion avec le boss, il m’a proposé de devenir directeur artistique pour changer ça, ce qui m’avait aidé c’était la vidéo Old Rap vs New Rap, le plus gros succès de la chaîne avec 19 millions de vues. Depuis décembre je ne le suis plus car ils veulent arrêter de sortir des vidéos sur la chaîne YouTube mais je trouvais ça inspirant de cueillir des nouveaux profils d’acteurs, d’auteurs ou de réalisateurs.

Est-ce que tu estimes qu’avoir vécu et grandi en banlieue a été ou aurait pu être un frein à la fibre artistique ?

Je ne sais pas si c’est lié au fait d’être dans le 93, d’être une minorité ou le mélange de tout ça mais s’il y a un frein c’est bien celui de ne pas se sentir légitime. La légitimité on ne te la donne pas, il faut que tu ailles la chercher. Moi j’ai encore un fort syndrome de l’imposteur qui fait que quand je dois rendre un projet pour le 21, je le rends le 17 pour pas qu’on me dise que je suis moins bon que les autres. J’ai encore peur qu’en plein tournage ma CPE du lycée arrive pour me dire de retourner en cours. Mais à part ça, je pense que c’est là ou il y a le plus de richesses comme tous les milieux cosmopolites du type New York ou des gros centres-villes. Quand tu as vécu plein d’expériences, tu as des choses à dire.

Dans une interview donné au média Brut, Eddy de Pretto, né à Créteil, souligne que la seule barrière qu’il a pu connaître en banlieue c’est celle du virilisme et de la masculinité qui s’oppose parfois à la fibre artistique. Tu es d’accord avec lui ?

Je sais que ça existe mais ça ne me touchait pas, moi j’ai une barbe. Peut-être qu’on me l’a dit mais je n’y ai pas fait attention du fait de ma famille super aimante qui m’a rempli de confiance en moi. C’est horrible à dire mais même quand je ne savais pas quoi faire je sentais avoir une destinée de fou. Pas parce que c’est vrai, mais parce qu’ils m’ont inculqué ça. Même si j’ai été très pauvre, dans un milieu pas facile avec des membres de ma famille en prison, la confiance transmise m’a permis de ne pas faire attention à ça.

Dans tes créations, comme Vaudou, le super héros du 93 ou Un monde sans rap, l’intrigue prend place dans l’Île-de-France, et plus particulièrement dans la Seine-Saint-Denis, s’agit-il d’une volonté de démystifier, et donc dédiaboliser, la banlieue ou tu parles juste de ce que tu connais ?

Tout artiste parle de ce qu’il connaît donc c’est forcément un peu des deux mais c’est vrai que mes créations se font en réaction de ce qu’il se fait. On traite souvent la banlieue par les deux prismes de l’ultra-misérabilisme ou de l’ultra-comédie, mais pas par le policier ou le fantastique comme j’ai pu le faire. En ce moment, j’écris une série qui se passe en banlieue mais où les personnes vivent dans un pavillon. J’ai du mal à faire passer cette idée alors que c’est ce qui représente environ 70 % de la banlieue. Je parle d’une écriture en réaction à la scène actuelle parce que je pense que c’est le bon terme mais je ne me force pas pour autant. Je fais une grosse différence entre le spectateur et le réalisateur, j’aime beaucoup quand la fiction très proche de la réalité. J’aimerai bien faire un jour quelque chose de très psychologique mais je pense surtout a apporter de la nouveauté dans le milieu de l’humour et de l’action.

Dans ta série de vidéos Les français savent-ils rapper, tu arpentes les rues d’une ville ou d’un département d’Île-de-France à la recherche de personnes pouvant rapper sur une instrumentale, comment l’idée est venue ?

L’idée est d’abord venue du constat que je n’avais rien sur ma chaîne YouTube alors que je travaille sur cette plateforme depuis 5 ans. Des personnes me qualifiait de Youtubeur mais je ne me sentais pas proche de cette description, au delà de ce que cela connote. Alors j’ai lancé ce qui devait être un one-shot, un début d’autres expériences sociales, mais comme ça a tellement marché ça me gênait de faire les français savent-ils rapper seulement à Paris, le titre aurait été injuste. Pour moi le rap et la théâtre c’est la même chose, ce sont des arts populaires destinés à prendre place dans l’espace public. Quand je vois le tournant que le théâtre a pris, je me dis qu’il y a un problème à un moment, il devrait parler à tout le monde. Au théâtre de la Commune d’Aubervilliers, ils ont un concept extraordinaire de « pièce d »actualité », dans laquelle le metteur de scène doit parler d’un thème lié à la ville et faire intervenir les spectateurs d’une manière ou d’une autre. J’ai pu voir Les Chinois à Aubervilliers de Franck Dimech sur l’histoire de la communauté chinoise de la ville, ou Du Sale ! De Marion Siefert où Laetitia Kerfa, qu’on pourra voir dans la saison 2 de Validé, raconte comment elle s’est retrouvée à moitié dans la rue. Au delà de ce théâtre très réel, l’universalité qui s’en dégage me touche beaucoup.

Quels sont tes projets à venir ?

En plus de ce que j’ai dit, je suis en train d’écrire une série d’horreur qui se passe en banlieue qui s’appelle Anthologie. Je pars du constat que les gens de banlieues sont les plus gros consommateurs de films d’horreur, alors que c’est même pas eux au centre de l’histoire. Dans ma note d’intention résume ma vision : « Si on a pu tous être effrayé et se reconnaître dans une japonaise qui sort d’une télé, je pense qu’on peut se reconnaître dans quelqu’un du 93 qui se fait chasser par un monstre». Après je ne sais pas si ça va se faire, je suis en train d’écrire 3 voire 4 scenarios mais je ne sais ps si un d’entre eux va se transformer en série, je reste une personnalité d’internet.

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