Les 12 et 13 juin dernier s’est tenue à l’Institut Pasteur, une conférence internationale sur les risques potentiels des bactéries miroirs, l’occasion de nous demander ce que c’est et pourquoi le monde scientifique est si inquiet.
Mon ADN est droitier?
Nous avons, vous et moi, une main gauche et une main droite, l’une en principe le reflet parfait de l’autre. Eh bien, c’est pareil pour les molécules. Lors de son évolution, la vie sur Terre a choisi de ne travailler qu’avec des « mains gauches », et il n’existe pas de molécules capables de se multiplier qui aient une structure de « main droite ». Ou plus scientifiquement : lorsqu’elle est apparue, la vie sur Terre a évolué en privilégiant une certaine structure ; elle a choisi de ne travailler qu’avec un seul des deux types d’arrangements géométriques moléculaires possibles.

En l’occurrence, toute la vie terrestre utilise de l’ADN composé de molécules « droitières » et des protéines constituées d’acides aminés « gauchers ». Il n’existe donc pas d’acides aminés « droitiers », tout comme il n’existe pas d’ADN « gauchers ». Un cas à part, semble-t-il, puisque, en dehors du vivant, quelle que soit leur forme, les sucres, les alcools, possèdent deux configurations possibles, images l’une de l’autre. Concrètement, ce concept s’appelle la chiralité, du grec kheir, signifiant « main », et ses conséquences pourraient être absolument dramatiques, tant, pour une molécule, la forme définit le fond. Lorsqu’il découvre cette propriété des molécules, au milieu du XIXe siècle, Louis Pasteur l’appelle « dyssymétrie moléculaire » et la définit comme telle :
« J’appelle toute figure géométrique, ou groupe de points, « chirale », et je dis qu’elle est chirale si son image dans un miroir plan, idéalement réalisée, ne peut pas être amenée à coïncider avec elle-même. » – Louis Pasteur
Une bombe nucléaire de la biologie?
Puisqu’elles sont un reflet l’une de l’autre, les deux mains ne sont pas identiques : on ne peut pas utiliser un gant de main droite pour une main gauche. Et c’est là tout le problème.
A priori, on ne voit pas le problème, mais imaginons maintenant que la main miroir (disons la main gauche), est une bactérie, par exemple E. coli (Escherichia coli).
Maintenant, imaginons que cette main gauche entre en contact avec votre organisme. En temps normal, votre système immunitaire reconnaîtrait le danger et pourrait le détruire, en lui donnant (pour continuer notre métaphore) un gant adapté.
Mais maintenant, votre système immunitaire se trouve face à une main gauche, et il n’a que des gants de main droite. Il ne reconnaît alors pas le danger, et donc la moindre bactérie, la moindre infection devient fatale. Puisqu’en effet, la vie sur Terre n’avait, par le passé, développé que des « mains droites », elle s’était donc adaptée en conséquence, en produisant des gants de main droite (oui oui, on parle toujours du système immunitaire, restez accrochés).
Alors, si une molécule pouvant se multiplier était libérée dans la nature, ce serait tout simplement une hécatombe, puisqu’aucun être vivant de notre côté du miroir ne serait armé pour se défendre.
Situation aujourd’hui et opportunitées
Ce danger, heureusement, de nombreux scientifiques l’ont compris, et un collectif de trente-huit biologistes a appelé à un débat mondial, à une surveillance internationale et à une collaboration interétatique. Néanmoins, la recherche dans le domaine continue d’avancer, car bien que potentiellement très dangereuses, les bactéries miroir présentent aussi des opportunités en termes de remèdes, en recourant à des principes actifs « miroirs » que les systèmes de défense ne reconnaîtraient pas.
Dès lors, le remède pourrait atteindre sa cible sans être arrêté. Par exemple, deux ensembles d’acides aminés (peptides), fabriqués en version « droite », ont déjà été approuvés comme régulateurs du calcium.