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En misant sur son rayonnement culturel, la Thaïlande entend imposer son style

Il y a quelques jours, du 8 au 11 juillet, le salon SPLASH 2025 avait investi les halls du parc Queen Sirikit à Bangkok. À première vue, l’événement ressemble à une foire culturelle nationale comme il en existe ailleurs. Mais ne nous y trompons pas : ce rassemblement marque l’un des temps forts d’une stratégie concertée de soft power menée tambour battant par le gouvernement thaïlandais.

À la manœuvre, la ministre de la Culture Paetongtarn Shinawatra, héritière d’une dynastie politique aussi clivante qu’influente, entend faire de la culture un levier d’influence, mais aussi de croissance.

Une diplomatie par les arts : les 13 piliers d’un style national

Depuis deux ans, la Thaïlande structure sa politique culturelle autour d’un programme ambitieux baptisé « One Family, One Soft Power ». Ce plan vise à former des millions de Thaïlandais pour faire de chacun un relai culturel : artisan, chef, masseur, joaillier, créateur numérique… Treize secteurs artistiques ou traditionnels ont été identifiés comme leviers stratégiques. L’ambition affichée est simple : replacer l’identité esthétique thaïlandaise dans les circuits mondiaux de l’influence culturelle.

Un programme que l’on pourrait croire inspiré de la « K-culture » sud-coréenne, mais qui s’en distingue par son ancrage artisanal, sa volonté de codifier un art de vivre thaïlandais — sensuel, méditatif, composite.

Gastronomie, spa, Muay Thai : une grammaire sensorielle

La cuisine thaïe, emblème de cette esthétique, est propulsée comme vecteur d’image. Le label Thai Select, conçu pour distinguer les restaurants authentiques, est renforcé. Dans la même veine, la médecine traditionnelle, les massages, les pratiques de bien-être deviennent instruments de rayonnement — un soft power par les sens, où la main et le goût importent autant que l’image.

Le Muay Thai, art martial ancien, est quant à lui stylisé, codifié et promu à l’international comme un rituel corporel à forte valeur identitaire. Des camps internationaux, mêlant apprentissage sportif et immersion culturelle, sont proposés aux touristes et aux curieux. Loin de l’exportation d’un sport brut, il s’agit d’une mise en scène du corps thaïlandais, entre tradition et puissance maîtrisée.

Une ministre stratège

Au cœur de ce projet : Paetongtarn Shinawatra, toujours ministre de la Culture malgré sa suspension du poste de Première ministre. Fille cadette de Thaksin Shinawatra, elle dirige cette politique culturelle avec une rare constance. Dans son discours d’ouverture du salon SPLASH, elle a décliné les cinq piliers prioritaires du soft power thaïlandais : la gastronomie, le Muay Thai, les bijoux, le cinéma et les soins du corps. Son objectif est affiché : générer 25 milliards d’euros d’ici cinq ans grâce à cette nouvelle économie culturelle.

Son style est sobre, technique, mais résolument moderne : elle ne cherche pas à folkloriser, mais à styliser le patrimoine, à lui donner une lisibilité contemporaine. On y retrouve une logique curieuse, presque française : celle qui consiste à faire de la culture un ministère stratégique, capable d’agir sur l’image, les alliances, le tourisme et même l’emploi.

Un cinéma et des industries culturelles en quête de reconnaissance

Dans ce projet global, les arts visuels ne sont pas oubliés. Le Bangkok International Film Festival est relancé, tandis qu’un programme fiscal très généreux (30 % de remboursement des dépenses) attire des tournages étrangers dans le pays. Des labs d’écriture sont mis en place pour stimuler la production nationale. Mode, artisanat d’art, arts numériques sont également intégrés à cette nouvelle grammaire culturelle.

Le pari est audacieux : faire émerger une esthétique thaïlandaise mondiale, tout en formant localement des artistes et artisans capables de dialoguer avec les standards internationaux. La démarche n’est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, les années Mitterrand, quand la France avait fait de la culture une ligne de front diplomatique.

Une stratégie à suivre de près

Pour les amateurs d’art et les observateurs de la diplomatie culturelle, le cas thaïlandais mérite l’attention. Rarement un pays d’Asie du Sud-Est aura mis autant d’énergie à conceptualiser son influence culturelle. Si les défis restent nombreux — bureaucratie, cohérence des formations, diffusion internationale encore balbutiante —, l’ossature intellectuelle et politique est bien là.

La Thaïlande ne vend pas seulement des vacances et des plats épicés : elle propose un récit, une gestuelle, une douceur — et peut-être même, une idée du beau.

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