À l’occasion de la sortie du Dracula de Luc Besson, ce 30 juillet, le vampire le plus célèbre de la littérature revient sur le devant de la scène. Mais derrière ce personnage illustre se cache un écrivain irlandais, dont les obsessions et les influences demeurent largement méconnues.
Une enfance recluse et une imagination libérée
Bram Stoker naît en 1847 à Clontarf, dans la banlieue nord de Dublin. Dès ses premiers jours sa santé fragile le contraint à une vie sédentaire. Jusqu’à l’âge de sept ans, il est incapable de marcher. Cet isolement physique aiguise son regard sur le monde. Privé de mouvements et de sorties, il se réfugie dans la lecture et développe son observation. C’est sa mère Charlotte Thornley, qui lui transmet une grande partie de sa culture. Rescapée de l’épidémie de choléra de 1832, elle nourrit son imagination d’histoires terrifiantes, mêlant légendes celtiques et superstitions populaires.
Ces histoires forment les premières couches de l’univers de Bram Stoker. Il développe un goût profond pour le récit et les atmosphères sinistres. À l’adolescence, sa santé s’améliore presque miraculeusement. Il devient un athlète accompli, passionné de marche et d’haltérophilie. Ce contraste entre faiblesse et force le guidera constamment dans ses oeuvres et notamment celle de Dracula, où se dévoile une tension entre le corps et l’esprit, les vivants et les morts qui irrigue chaque page.
De la bureaucratie au théâtre
Stoker poursuit ses études au Trinity College de Dublin, où il obtient un diplôme en mathématiques et sciences. Il entre ensuite dans la fonction publique, en tant que greffier au château de Dublin. Derrière l’image d’un fonctionnaire sérieux, il nourrit un imaginaire intense, inspiré par une figure littéraire singulière. Walt Whitman. Le poète américain devient pour Stoker une sorte de modèle intime et intellectuel. En 1876, il lui écrit une lettre bouleversante de sincérité. Whitman lui répond et une amitié épistolaire s’installe.
Mais c’est en 1878 que sa vie bascule réellement. Bram Stoker quitte l’administration pour suivre l’acteur Henry Irving à Londres, devenant son secrétaire personnel. Pendant près de 25 ans, il gère les tournées, rédige les discours et planifie les moindres détails de la vie artistique d’Irving. Cette relation, faite de fascination et de dépendance, marque profondément Stoker. Irving, personnage charismatique et ambigu, inspire sans doute certains traits du comte Dracula. Un homme à la fois hypnotique et insaisissable.
Le théâtre donne aussi à Stoker certains outils narratifs. Le sens du rythme, de la scène et du crescendo dramatique. Dracula n’est pas un roman linéaire, mais une mosaïque de journaux, lettres et témoignages.
Mythe et vérité : la genèse d’un vampire
Contrairement à ce que l’on croit souvent, Dracula ne naît pas d’un seul trait d’inspiration. L’écriture du roman, entamée dans les années 1880, est le fruit d’un travail documentaire rigoureux. Stoker plonge dans l’histoire de l’Europe de l’Est, s’intéresse à Vlad III, dit l’Empaleur, prince valaque du XVe siècle. Mais c’est dans les textes d’Emily Gerard, écrivain écossaise mariée à un officier austro-hongrois, qu’il trouve la substance de son univers.
Dans The Land Beyond the Forest (1888), Gerard décrit les croyances populaires de Transylvanie : l’usage de l’ail, les rituels funéraires et même le nom de « Nosferatu« . Ces éléments, Stoker les reprend quasiment tels quels sans aucunes modifications. Il déplace même l’action de base de son roman d’Autriche à la Transylvanie, plus mystérieuse. Dès lors, presque l’ensemble de l’environnement qu’il a crée ne provient pas de sa plume mais de celle d’Emily Gerard.
Toutefois, la légende de Dracula, souvent perçue comme pure fiction gothique est bel et bien enracinée dans un entrelacs de lectures, de frustration personnelles, d’admiration ambiguës et d’influences féminines. Bram Stoker, loin d’être un auteur marginal, fut un observateur de son époque mêlant science et superstition.
Aujourd’hui, alors que le vampire renaît une fois encore sur les écrans, il est plus que jamais temps de redécouvrir celui qui, dans l’ombre l’a fait naître.