Le 14 octobre dernier, Trump a « décertifié » l’accord interdisant à l’Iran de mettre au point la bombe nucléaire. En remettant en question un accord déjà fragile, c’est toute la société iranienne qui s’en trouve ébranlée. De plus, ne risque-t-il pas de relancer la menace nucléaire ? Décryptage d’un pari risqué.
En quoi consiste cet accord historique ?
Entre Washington et Téhéran, l’heure n’est plus au rapprochement. Et ce, malgré la volonté de réconciliation poursuivie lors de l’ère Obama. Le pari semblait gagné le 14 juillet 2015, lorsque le régime iranien consentit à renoncer à la poursuite de son programme nucléaire en échange d’une levée des sanctions. Un embargo pesait sur l’Iran depuis 2006, date à laquelle sa violation du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) fut exposée au grand jour.
Le but de l’accord : stabiliser la région et encourager l’ouverture économique de la République islamique. L’agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargée de son strict contrôle, conclut régulièrement que l’Iran respecte ses engagements. C’est là que Trump entre en scène. Le 14 octobre, il fustige l’Iran, « principal État soutenant le terrorisme dans le monde », qui « répand la mort, la destruction et le chaos » Selon lui, Téhéran ne respecte pas « l’esprit » de l’accord.
La promesse de Trump : « déchirer l’un des pires deals jamais négociés »
Une annonce qui a fait l’effet d’une bombe. Pourtant, le Donald aboie mais ne mord pas. Alors qu’il promettait lors de sa campagne de « déchirer l’un des pires deals jamais négociés », il s’est contenté de le « décertifier » et de s’en remettre au Congrès. Ce dernier dispose de soixante jours pour prendre sa décision. Toutefois, même si les Etats-Unis optaient pour une sortie unilatérale de l’accord, les six autres puissances signataires – le conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne – se maintiendraient, considérant que ce texte porte uniquement sur le programme nucléaire.
Cette décision serait-elle la conséquence de sa volonté obsessionnelle de détruire toute trace de l’héritage Obama ? Ou bien s’agit-il d’une tentative de rapprochement avec les saoudiens et les israéliens dans une lutte contre l’« axe du mal » – composé des états voyous Iran et Corée du Nord – inspiré de Bush ? Le Donald a ses raisons que la raison ignore.
« This vote is a victory for diplomacy … and for the safety and security of the world. » —President Obama on the #IranDeal vote
— Barack Obama (@BarackObama) 10 septembre 2015
La fuite des cerveaux, enjeu méconnu de l’accord
L’artisan iranien de l’accord nucléaire n’est autre que Hassan Rohani, président élu en 2013 et 2017, qui a choisi de mettre le cap sur l’ouverture de son pays. Il incarne le visage souriant d’un Iran fréquentable après des années d’isolement. A la signature de l’accord, 95 % de la population se prononçait en sa faveur. Aujourd’hui, cet optimisme se limite à 60 %, les fruits du deal tardant à venir. Le taux de chômage atteint 30 % chez les jeunes, et même une forte croissance ne pourrait en venir à bout.
Un enjeu méconnu de l’accord refait surface. La fuite des cerveaux fait des ravages en Iran, pays le plus touché par ce phénomène. Cent cinquante mille étudiants hautement qualifiés s’exilent chaque année, soit une perte de 50 à 150 milliards de dollars de bénéfices selon le FMI. L’accord encourage le retour de cette diaspora, un enjeu majeur pour le président iranien.
Kudos to the history-making nation of Iran. Let’s open a new chapter based on domestic talents &global opportunities pic.twitter.com/P24HRkv14t
— Hassan Rouhani (@HassanRouhani) 29 février 2016
Ce revirement américain pourrait-il relancer la course à la bombe ?
Côtés conservateurs iraniens, le retour des intellectuels fait peur. Ils craignent l’émergence d’un secteur privé, source de disparition du clientélisme omniprésent. La société civile avide de liberté s’en trouverait renforcée. En fragilisant l’accord, Trump fait d’une pierre deux coups : il freine l’élan démocratique et favorise l’aile dure du régime de Téhéran. Ce revirement alimente la méfiance des conservateurs. Ils estiment depuis le départ que l’accord est une « trahison » des pragmatiques iraniens se couchant face au Grand Satan.
La « stratégie globale » du président américain visant à « neutraliser son influence déstabilisatrice et contenir son agression » pourrait bien avoir l’effet inverse. Humiliation publique et menace économique, Trump cherche la provocation. Pour Téhéran, ce serait une manœuvre pour affaiblir le régime. Cette perte de confiance envers les signataires pourrait donner des ailes aux conservateurs, au risque de relancer la machine nucléaire par simple anticipation d’une trahison. Ce qui reviendrait à acter l’isolement définitif du pays. De fait, l’avenir de la société iranienne semble plus que jamais dépendre des méandres politiques internationaux et nationaux.