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La reine du crime fait son cinéma

Est-il encore nécessaire de présenter Agatha Christie ? Née en 1890 à Torquay dans le Devon et morte en 1976 à Oxford, cette femme de lettres anglaise, auteur de nombreux ouvrages policiers, fait partie des écrivains les plus connus au monde. Ses œuvres se sont vendus à plus de 2,5 milliards d’exemplaires et arrivent à la troisième place du classement des livres les plus lus après ceux de Shakespeare et la Bible – ces chiffres ne sont qu’une approximation, étant donné que les romans continuent à se vendre par paquet de 4 millions chaque année. Agatha Christie est selon le Livre Guinness des records, le plus grand auteur de best-sellers de l’Histoire, ses ouvrages ayant été au demeurant, traduits dans plus de 100 langues – une performance encore inégalée, même par J. K. Rowling. Agatha Christie a écrit six romances sous le nom de Mary Westmacott, mais elle est surtout connue pour ses 66 romans policiers dont les plus célèbres sont : Le Meurtre de Roger Ackroyd (1926), Le Crime de l’Orient-Express (1934), Mort sur le Nil (1937), Dix petits nègres (1939), Les Vacances d’Hercule Poirot (1941), ou encore Le Train de 16h50 (1957). Elle est également l’auteur de 153 nouvelles et d’une vingtaine de pièces de théâtre incluant La Souricière, pièce la plus jouée au monde avec environ 23 000 représentations à ce jour. La plupart des histoires d’Agatha Christie tournent autour des investigations de personnages récurrents qu’elle a elle-même inventés tels Hercule Poirot, Miss Marple, ou Tommy et Tuppence Beresford. Une partie importante de sa bibliographie a été adaptée au cinéma ou à la télévision, donnant ainsi lieu à la création de grands classiques du 7e art. Cet article aura pour but d’établir une liste non-exhaustive des principaux films adaptés de l’imaginarium de la « duchesse de la mort » et de les présenter succinctement.

Dix petits indiens, René Clair (1945)

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En 1943, Agathe Christie décide d’adapter son roman Dix petits nègres en pièce de théâtre. Pour simplifier l’histoire et la rendre plus compréhensible sur scène, elle élague l’intrigue de base et décide d’ajouter une fin plus « heureuse » – ou en tout cas moins sombre et pessimiste que celle du roman. Malheureusement, la pièce ne trouva pas le succès escompté et la plupart des metteurs en scène la trouvèrent impossible à produire. Elle ne fera l’objet que de quelques représentations avant d’être adaptée au cinéma par René Clair, réalisateur français à la renommée internationale et auteur de Sous les toits de Paris (1930), À nous la liberté ! (1931) et C’est arrivé demain (1944). Le film sort en 1945 sous le titre de And Then There Were None.

Huit personnes qui ne se connaissent pas sont invités à passer un weekend chez un certain Mr. Owen, dans l’unique demeure d’une petite île isolée au large des côtes du Devon en Angleterre. Lorsque les convives se présentent au manoir, ils y font la connaissance de Mr. And Mrs. Rogers, un couple de domestiques récemment engagés par Mr. Owen, qui, contre toute attente, est absent de sa propre maison. Au cours du dîner, les invités notent la présence d’un centre de table constitué de dix petites statuettes d’indiens. Peu après le repas, tous les personnages, invités et domestiques inclus, s’entendent accusés d’un meurtre par un enregistrement sonore et découvrent que Mr. Owen n’existe pas et qu’il s’agit vraisemblablement d’un pseudonyme. Certains convives décident alors de partir immédiatement, mais Mr. Rogers les informe que le bateau qui les a amenés sur l’île ne reviendra pas avant lundi et qu’ils seront donc bloqués tout le weekend. Un à un, les personnages sont assassinés et le coupable est forcément parmi eux. Après chaque meurtre, une statuette disparaît comme dans la comptine Ten Little Indians qui se conclue par « And then there were none… »

S’il n’est pas le film le plus connu de la carrière de René Clair, And Then There Were None n’en demeure pas moins un classique d’une ingéniosité indiscutable et profondément captivant. L’ambiance de l’œuvre initiale est parfaitement retranscrite à l’écran avec une intrigue se déroulant en huis-clos : ce qui confère au film un caractère étouffant et oppressant, relevé de situations et de dialogues typiquement agatha-christiens. Les personnages sont entraînés dans une spirale de suspicion et de paranoïa provoquée par les meurtres, faisant ainsi la part belle aux accusations infondées et aux insultes gratuites. Tous les meurtres sont exécutés hors-champ et figurent l’assassin comme un être invisible, qui apparaît de ce fait comme une entité mystique et intouchable. Ses crimes adoptent un caractère presque surnaturel. En voulant punir des criminels, le meurtrier s’inscrit dans une œuvre justicière, en obtenant par lui-même la réparation de quelque chose, sans recourir à l’institution judiciaire, en estimant être dans son bon droit et en utilisant tous les moyens y compris la violence. On retrouvera un peu cet archétype de « psychopathe », ou du moins de complexe psychanalytique dans le film Saw de James Wan en 2004. La mise en scène et le découpage, par leur démarche suggestive, leur aptitude à créer des séquences pesantes et la manière dont ils s’amusent à jouer avec les nerfs des personnages, se posent en véritables complices de l’assassin. Le méprisable mais néanmoins délicieux petit jeu de cache-cache développé, pousse le suspense à son comble tout au long du film. Certaines séquences flirtent parfois avec le film d’angoisse – pour ne pas dire d’horreur –, notamment lorsque les convives investiguent dans les couloirs ou se retrouvent seuls dans le noir en pleine nuit. Toutefois, René Clair réussit à tirer ce film policier mystérieux vers la comédie en ayant recours à des gags insolites et des situations improbables. Dans sa critique du 16 juin 2007 pour Télérama, Pierre Murat qualifiait même le film de « comédie de meurtres ». Cette version cinématographique des Dix petits nègres n’est pas la plus célèbre et les récentes éditions en DVD souffrent toujours d’une mauvaise qualité d’image. Elle demeure pourtant à ce jour, la meilleure adaptation du roman.

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Témoin à charge, Billy Wilder (1957)

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En juin 1957, alors que Billy Wilder est encore occupé par le montage de Love in the Afternoon, le tournage de Témoin à charge commence à prendre forme. Le film est adapté de la pièce de théâtre du même nom, publiée par Agatha Christie en 1953 – adaptée de sa propre nouvelle de 1925. Témoin à charge n’est bien évidemment pas aussi emblématique que d’autres films du grand Billy Wilder, tels Boulevard du crépuscule (1950), ou encore Certains l’aiment chaud (1959), mais il est à la fois un excellent divertissement et une gymnastique subtile du film de procès, et reste un des films clés du cinéaste.

Sir Wilfried Robarts, avocat vieillissant et à la santé fragile, doit renoncer à s’occuper d’affaires criminelles trop stimulantes suite à une crise cardiaque. Au même moment, un certain Leonard Vole vient lui demander son aide : celui-ci est accusé du meurtre de Mrs. Emily French, une riche veuve qui s’était éprise de lui, à tel point qu’elle en fit le seul bénéficiaire de son testament. Selon les circonstances, tout porte à croire que Vole est le coupable et l’affaire s’annonce passionnante, mais Robarts la refuse pour raisons médicales. Cependant, l’apparition de la femme de Leonard, Christine Vole, change la donne, car elle fournit un alibi à son mari. Son attitude froide et désinvolte ainsi que le rôle crucial qu’elle pourrait jouer pendant le procès poussent Robarts à accepter l’affaire. Une fois au tribunal, à la surprise générale, Christine est appelée à témoigner pour l’accusation, donc contre son mari…

Tout d’abord, Témoin à charge bénéficie d’un excellent casting. Le rôle de Wilfried Robarts revient à l’immense Charles Laughton – réalisateur de La Nuit du chasseur – et le couple Vole est interprété par Tyrone Power dans son dernier rôle au cinéma, et par la superbe Marlene Dietrich. La présence de Charles Laughton change considérablement l’esprit de la pièce d’Agatha Christie. Initialement, Robarts est un personnage autoritaire et dynamique, mais dans le film il devient un homme âgé, d’une grande finesse d’esprit, mais malade et affaibli. Si la pièce se concentre sur l’affaire juridique, le film ajoute une dramatisation propre au personnage de Robarts et permet ainsi d’étoffer l’intrigue de base. Laughton incarne un avocat brillant et méticuleux d’une part, et un bon vivant, espiègle et polisson d’autre part. En outre, un personnage inexistant de la pièce est crée spécialement pour le film, il s’agit de l’infirmière de Robarts, Miss Plimsoll, interprétée par Elsa Lanchester. L’insertion de ce personnage a permis d’appuyer la fragilité et la finesse d’esprit de Robarts, tout en offrant au film des dialogues truculents, relevés de savoureuses répliques. Marlene Dietrich, elle, est profondément investie dans son personnage, à telle point qu’elle ne fait plus qu’un avec l’épouse trompée et humiliée qu’elle incarne à l’écran. Ce rôle de femme glaciale et belliqueuse qu’elle tient dans ce long-métrage est probablement l’un des meilleurs de sa carrière. Dans Témoin à charge, l’influence du théâtre n’est pas moindre. Bien que le film ne soit pas un véritable huis-clos, l’essentiel des scènes se déroulent dans deux lieux principaux, à savoir le cabinet de Robarts et le tribunal. Le cadre spatial du film met ainsi en place cette claustration corporelle et morale que l’on retrouve souvent dans les œuvre d’Agatha Christie. Il est à ce titre indispensable de saluer la performance du décorateur qui a entièrement reconstitué une salle de l’Old Bailey, Cour centrale de la Couronne britannique à Londres. Les décors et la réalisation de Billy Wilder donnent aux scènes de tribunal une intensité plus vraie que nature, dynamisée par des joutes verbales poignantes. Un mélange de polar et de drame juridique passionnant de bout en bout, sublimé par la noirceur des films de l’époque. Agatha Christie reconnaîtra que Témoin à charge était de loin, la meilleure adaptation cinématographique de l’une de ses œuvres.

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Les films produits par John Brabourne et Richard B. Goodwin (1974-1982)

De 1974 à 1982, les producteurs britanniques John Brabourne et Richard B. Goodwin produisent une série de quatre films adaptés des romans d’Agatha Christie. Ces productions audacieuses ont pour la plupart acquis le statut de films cultes et restent aujourd’hui des modèles du genre, inégalables et inégalées. Ces long-métrages furent l’occasion de réunir un nombre impressionnant de célébrités, élaborant ainsi des castings magistraux dignes des plus grandes productions hollywoodiennes. Revenons à présent sur ces œuvres au charme inimitable qui ont immortalisé les personnages d’Agatha Christie au cinéma.

  • Le Crime de l’Orient-Express, Sidney Lumet (1974)

    Avec : Albert Finney, Lauren Bacall, Martin Balsam, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Colin Blakely, Jean-Pierre Cassel, Sean Connery, George Coulouris, John Gielgud, Wendy Hiller, Anthony Perkins, Denis Quilley, Vanessa Redgrave, Rachel Roberts, Richard Widmark, Michael York

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À l’origine Agatha Christie ne voulait plus entendre parler de cinéma, ayant déjà « assez supporté » les précédentes adaptations de ses romans, toujours décevantes selon elle. Cependant, Nat Cohen, président de la maison de production britannique EMI Films, et le producteur John Brabourne requirent l’aide de Lord Mountbatten, membre de la famille royale, qui parvint à convaincre la romancière de les laisser adapter Le Crime de l’orient-Express. La réalisation fut confiée à Sidney Lumet, cinéaste américain précédemment connu pour son chef-d’oeuvre Douze hommes en colère (1957), ou encore pour son film policier Serpico (1973).

Le prologue du film décrit de manière journalistique l’enlèvement d’une petite fille nommée Daisy Armstrong survenu en 1930, ainsi qu’une série d’évènements sinistres ayant fait suite à ce drame. Cinq ans plus tard, sur la rive asiatique d’Istanbul, le célèbre détective belge Hercule Poirot emprunte l’Orient-Express pour rentrer en Angleterre. Le lendemain du départ du train, un riche homme d’affaire américain, Mr. Ratchett, explique au détective qu’il a reçu des menaces de mort et lui propose 15 000 $ en échange de ses services. Mais Hercule Poirot décline son offre, ne jugeant pas l’affaire assez intéressante. Ironie du sort, la nuit suivante alors que le train est bloqué par la neige en plein milieu des Balkans, Mr. Ratchett est assassiné. Sans plus tarder, Hercule Poirot mène l’enquête, assisté de son ami monsieur Bianchi, directeur de la ligne de l’Orient-Express et du Dr. Constantine. Poirot découvre rapidement que Mr. Ratchett n’était pas ce qu’il prétendait être et son passé obscur pourrait être la clé essentielle du meurtre. Les douze autres voyageurs présent à bord du train ainsi que le conducteur sont tous suspectés.

Le Crime le l’Orient-Express de Sidney Lumet, est peut-être l’opus le plus sombre des quatre adaptations réalisées entre 1974 et 1982. Les premières minutes du film rappellent par leur ton grave et inquiétant, les films noirs des années 40-50 et se rapprochent tendancieusement du thriller. Une fois de plus, l’usage du huis-clos fournit le cadre idéal pour une enquête policière oppressante et fait de ce long-métrage un exercice de style parfaitement réussi. Le cadre froid et enneigé de la majeure partie du film participe grandement à entretenir la tension liée à l’intrigue. D’autant plus qu’Hercule Poirot doit résoudre l’enquête avant l’arrivée de la police yougoslave. Cette « course contre la montre » est mise en exergue par plusieurs plans illustrant l’avancée du chasse-neige déblayant la voix ferrée. Quelques indices sont par ailleurs adroitement disséminés pendant l’enquête pour permettre au spectateur de deviner le dénouement. L’humour pince-sans-rire britannique si caractéristique d’Agatha Christie est bien présent, mais il y est plus grinçant que d’accoutumé. Le Crime le l’Orient-Express met en scène une confrérie de personnages tourmentés cachant de noirs secrets. On retiendra notamment Anthony Perkins dans la peau d’un secrétaire maladivement introverti, ou encore Ingrid Bergman interprétant une ancienne nurse psychotique s’étant réfugiée dans la religion – rôle pour lequel elle reçut l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle. Le reste du casting n’en est pas moins prestigieux : Lauren Bacall, Sean Connery, Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Cassel, etc. Albert Finney lui, incarne un Hercule Poirot enjoué et espiègle, assurément moins calme que celui des romans, mais livrant tout de même une prestation remarquable. La musique de Richard Rodney Bennett, avec ses tons à la fois jazzy et ténébreux, participe grandement à mettre en place l’atmosphère si particulière du film,. Agatha Christie assista à la première du film au cinéma ABC sur la Shaftesbury Avenue de Londres, en présence de la reine d’Angleterre Élisabeth II et s’estima comblée. Ce fut le dernier film adapté de ses romans qu’elle put voir de son vivant, car elle décéda deux ans après.

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  • Mort sur le Nil, John Guillermin (1978)

    Avec : Peter Ustinov, Jane Birkin, Lois Chiles, Bette Davis, Mia Farrow, Jon Finch, Olivia Hussey, George Kennedy, Angela Lansbury, Simon MacCorkindale, David Niven, Maggie Smith, Jack Warden

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Le succès du Crime de l’Orient-Express permet à John Brabourne et Richard B. Goodwin d’adapter en 1978 une autre des plus célèbres enquêtes du grand détective belge : Mort sur le Nil. Le réalisateur britannique John Guillermin est choisi pour diriger le film. Il était surtout connu pour ses productions financièrement imposantes, tels King Kong (1976), remake du film culte des années 1930, ou encore La Tour infernale (1974), monument du film catastrophe. Albert Finney n’ayant pas accepté de reprendre le rôle d’Hercule Poirot, c’est l’immense Peter Ustinov qui endosse avec finesse et dextérité, le costume et la moustache du fin limier.

Le film s’ouvre sur les retrouvailles de Linnet Ridgeway, une riche héritière britannique, et de son amie Jacqueline de Bellefort, dite Jackie. Cette dernière souhaite lui présenter son fiancé Simon pour que Linnet lui trouve du travail. Seulement, le courant passe un peu trop bien entre Simon et Linnet qui finissent par tomber amoureux et se marier. Jackie, en colère et esseulée, les poursuit sans relâche jusqu’en Égypte où ils profitent de leur lune de miel. Mais en ayant recours à la ruse, le jeune couple finit par la semer et embarque sur le Nil à bord du S.S. Karnak. Ils y sont accompagnés par une galerie de personnages hauts en couleur, ainsi que d’Hercule Poirot et de son ami le colonel Race se trouvant là « seulement pour les vacances ». Lors d’une escale au temple d’Abu Simbel, Jackie retrouve leur trace et se joint au voyage. Lorsqu’un matin, l’impétueuse Linnet est retrouvée assassinée dans sa cabine, Hercule Poirot commence les investigations. L’enquête risque cependant d’être difficile étant donné que la défunte n’avait que des ennemis à bord.

John Guillermin adapte le roman d’Agatha Christie avec style et élégance. La mise en scène prend vie dans la splendeur et l’immensité d’une succession de lieux mythiques. Des ergs nubiens aux Pyramides de Gizeh, en passant par les temples de Karnak et d’Abu Simbel, Mort sur le Nil nous offre un voyage captivant au cœur de l’Egypte et de ses secrets. Le film est également célèbre pour ses séquences tournées dans la salle à manger et les jardins en terrasses du Old Cataract, éminent palace de la ville d’Assouan. La beauté des plans extérieurs procure immanquablement à ce long-métrage un aspect esthétique essentiel, enjolivé par le faste et la précision des costumes, des décors et des reconstitutions de l’Egypte coloniale des années 1930. Anthony Powell, créateur des costumes a d’ailleurs vu son travail récompensé par un Oscar. Différents panoramas illustrant le navire sillonnant les eaux du Nil avec langueur, surenchérissent la pesanteur nécessaire à l’intrigue policière. Cette atmosphère troublante est amplifiée par le caractère suspicieux des personnages, qui atteint son paroxysme lors du passage au temple de Karnak : les protagonistes sont filmés un à un dans l’intimité de leur réflexion, révélant l’environnement haineux dans lequel ils sont confinés. Par ailleurs, le fil du récit est cadencé par la musique envoûtante et mystérieuse de Nino Rota. Peter Ustinov nous éblouit par son interprétation et la facilité avec laquelle il passe de l’anglais au français – il réussit à parler un anglais fortement marqué d’un accent français alors que l’anglais est sa langue maternelle. Une galerie de personnages aux caractères bien trempés s’agite autour de lui telle Bette Davis en froide et cynique cleptomane retraitée, ou encore Angela Lansbury en obsédée sexuelle alcoolique, auteur de romans érotiques. Tout cela sans oublier Mia Farrow au sommet de son art et Lois Chiles plus belle que jamais. Tous les protagonistes apportent au film une touche humoristique, par le biais de répliques mouillées d’acide et de dialogues finement construits. Mort sur le Nil est un petit chef-d’oeuvre à ne rater sous aucun prétexte.

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  • Le miroir se brisa, Guy Hamilton (1980)

    Avec : Angela Lansbury, Maureen Bennett, Geraldine Chaplin, Margaret Courtenay, Tony Curtis, Edward Fox, Charles Gray, Rock Hudson, Wendy Morgan, Kim Novak, Marella Oppenheim, Elizabeth Taylor,

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Deux ans après le triomphe planétaire de Mort sur le Nil, les producteurs britanniques poursuivent leur franchise inspirée d’Agatha Christie en se rabattant cette fois sur le personnage de Miss Marple. Le rôle de la plus célèbre des détectives en fauteuil revient à Angela Lansbury, qui avait déjà fait une apparition remarquée dans le film précédent. Ce rôle sera décisif dans la carrière de l’actrice, car il poussera la chaîne américaine de télévision CBS à la choisir pour interpréter l’auteur et détective Jessica Fletcher dans la série Arabesque (Murder, She Wrote). Ce troisième long-métrage est réalisé par Guy Hamilton, à qui l’on doit la direction de quatre opus de la saga James Bond dont le succès international Goldfinger (1964).

L’histoire est située dans le petit village fictif de Saint-Mary Mead en Angleterre, plus connu pour être le lieu de résidence de Miss Jane Marple. Au début des années 1950, une grande société de production hollywoodienne s’installe dans le village en vue de tourner un film historique sur Marie Stuart d’Écosse et Elizabeth Ire d’Angleterre. Ces deux reines sont nterprétées par deux grandes actrices rivales, Marina Rudd et Lola Drewster, qui se méprisent réciproquement. Lors d’une grande réception organisée en l’honneur du film et à laquelle tous les habitants du village sont conviés, une grande admiratrice de Marina du nom de Heather Badcock vient saluer son idole et lui raconte qu’elle s’était en fait déjà rencontrée pendant la Seconde Guerre mondiale. Quelques instants plus tard, Heather bois un cocktail empoisonné et meurt alors que la fête bat son plein. Temporairement immobilisée par une entorse, Miss Marple devra pourtant, par l’intermédiaire de son neveu l’inspecteur Craddock, résoudre cette mystérieuse affaire.

Avec Le miroir se brisa, la « franchise » initiée en 1974 effectue un indéniable retour aux sources et livre une adaptation bien plus sobre que les deux précédentes. Le film nous réexpédie avec nostalgie dans de véritables tableaux de meurtres britanniques distingués, propres à l’univers d’Agatha Christie. On retrouve en outre la douce austérité de la campagne anglaise et le charme rustique de ses patelins après l’intermède orientaliste de Mort sur le Nil. Sans être parfaite, la réalisation n’en demeure pas moins soignée, et le scénario tient convenablement la route, offrant un suspense maintenu tout au long du film. La mise en scène est assez théâtrale et démonstrative, notamment lors des passages clés du film, et recourt au caractère expressif de la musique de John Cameron pour accentuer la tension dramatique. Le miroir se brisa annonce plus ou moins le style des futures séries policières britanniques des années 1990 et 2000 comme Inspecteur Barnaby, etc. tout en usant de codes propres au cinéma – Guy Hamilton reste un réalisateur renommé et talentueux. Ce troisième film produit par Brabourne et Goodwin est particulièrement axé sur l’humour et le cynisme, livrant au passage une critique acerbe du milieu du cinéma et surtout d’Hollywood. Voir Elizabeth Taylor et Kim Novak se crêper le chignon avec une répartie lapidaire est un véritable régal, tandis que Tony Curtis et Rock Hudson sont parfaits dans leurs rôles respectifs de producteur et de réalisateur. Miss Marple n’étant qu’une détective amatrice, son neveu lui vole un peu la vedette, mais toutes ses interventions servent subtilement l’intrigue et contribuent parallèlement au côté humoristique du film. Angela Lansbury, avec son accent très marqué et ses mimiques inimitables se glisse adorablement dans la peau de son personnage. Le miroir se brisa n’est pas un excellent film, mais il reste un classique jouissant d’un casting hors-pair et retranscrivant intelligemment l’univers d’Agatha Christie.

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  • Meurtre au soleil, Guy Hamilton (1982)

    Avec : Peter Ustinov, Jane Birkin, Colin Blakely, Nicholas Clay, James Mason, Roddy McDowall, Sylvia Miles, Diana Rigg, Maggie Smith, Denis Quilley

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Il s’agit de la quatrième et dernière production de la franchise. L’histoire se base sur le roman d’Agatha Christie, Les Vacances d’Hercule Poirot, mettant une nouvelle fois en scène, le détective belge. Le rôle principal revient une seconde fois à Peter Ustinov, dont l’interprétation dans Mort sur le Nil avait su conquérir le public. Guy Hamilton revient une nouvelle fois à la réalisation après avoir dirigé Le Miroir se brisa deux ans plus tôt.

Au début du film, un promeneur découvre le cadavre d’une femme dans les landes du Yorkshire. La police réussit à identifier la victime, une jeune femme du nom d’Alice Ruber, étranglée et abandonnée en pleine nature. Peu après ces évènements, le détective Hercule Poirot est requis pour examiner un diamant appartenant à Sir Horace Blatt, un industriel millionnaire. Poirot découvre que le diamant est en réalité un faux, au grand dam de son possesseur qui l’avait payé 100 000 $ pour l’offrir à sa maîtresse, Arlena Marshall, une actrice renommée. Cette dernière est sur le point d’entamer un séjour avec son nouveau mari sur une île située quelque part dans l’Adriatique au sein d’un hôtel appartenant à une certaine Daphne Castle. Arlena est une femme malhonnête et manipulatrice qui martyrise sa belle-fille Linda, flirte avec un autre client du nom de Patrick Redfern, pourtant en vacances avec sa femme Christine, et se fait détester par tout le monde. Un matin, Arlena emprunte un pédalo et se rend dans une petite crique isolée pour prendre un bain de soleil. Quelques heures plus tard elle est retrouvée gisant sans vie sur le sable.

Ce dernier long-métrage de la franchise est loin d’être le meilleur. Son principal défaut est peut-être son intrigue, parfois difficile à suivre et plus bancale que celles de ses prédécesseurs. Cependant, cette adaptation du roman est plutôt amusante, riche en rebondissements, et pleine d’humour et de suspense. Le scénario est bien adapté et le dénouement, presque insoupçonnable, est machiavéliquement inventif : un bonheur pour les amateurs de polars à énigmes. La réalisation de Guy Hamilton reste sobre, voire même plate, mais elle s’avère efficace et conduit astucieusement l’enquête d’Hercule Poirot, tout en étant délicatement cadencée par la musique de Cole Porter. La plupart des personnages appartiennent à la haute société britannique et excellent dans l’art du snobisme et de l’arrogance. Jalousies, rivalités et surtout perfidie sont au rendez-vous. Une fois de plus, le film bénéficie d’un casting d’exception. On retrouve tout d’abord Maggie Smith et Jane Birkin qui avaient toutes deux participé au tournage de Mort sur le Nil. Notons également la présence de James Mason, authentique monstre sacré du 7e art, et la participation inattendue de la sublime Diana Rigg, ex-James Bond girl et personnage clé de la série Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers). Le talentueux Roddy McDowall interprète quant à lui un écrivain à la petite semaine pour le moins efféminé. Cette pléiade d’acteurs donne une véritable consistance au film : le duel entre Maggie Smith et Diana Rigg, entre autre, est inoubliable et les répliques divinement singlantes. Peter Ustinov est toujours aussi brillant dans le rôle du détective et contribue en grande partie au succès du film. Meurtre au soleil puise en outre ses qualités dans ses décors splendides et son cadre idyllique. Les paysages méditerranéens, entre flore verdoyante, mer cristalline et ensoleillement perpétuel nous offrent une séance de luminothérapie de presque 2h. Un vrai plaisir pour les yeux !

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Les films de Pascal Thomas (2005-2008)

Plus de vingt ans après Meurtre au soleil et une dizaine d’adaptations médiocres, c’est avec le réalisateur français Pascal Thomas que s’effectue la renaissance d’Agatha Christie au cinéma. Renouant avec les codes des films abordés précédemment, Pascal Thomas ne se prive pourtant pas d’imposer dans ses long-métrages, un style tout à fait inédit. Tout en y conservant les fondements de l’univers d’Agatha Christie, Pascal Thomas y ajoute une touche plus légère et humoristique bien française, et réinvente la comédie policière. Par ailleurs, si le réalisateur transpose les intrigues à notre époque, l’aspect rétro et suranné des films rendent hommage au charme inimitable des œuvres de la romancière.

  • Mon petit doigt m’a dit… (2005)

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L’aventure commence en 2005 avec Mon petit doigt m’a dit… adapté du roman homonyme publié en 1968.

Prudence et Bélisaire Beresford rendent visite à leur tante Ada, résidant dans une étrange pension de retraite en Savoie. Sur place, Prudence fait la connaissance de Rose Evangelista, une vieille dame un peu dérangée qui parle d’un enfant emmuré dans la cheminée. Peu après, cette dernière disparaît sans laisser de trace. Il n’en faut pas plus à Prudence pour commencer une enquête qui la conduira dans un petit village de montagne où surviennent d’étranges évènements.

Dans Mon petit doigt m’a dit…, Pascal Thomas introduit Prudence et Bélisaire Beresford, des personnages inspirés par le couple de détectives crée par Agatha Christie, Tommy et Tuppence. Ils sont interprétés avec charme et malice par Catherine Frot et André Dussolier qui forment un duo absolument hilarant. Les dialogues, drôles et incisifs, entretiennent un humour pince-sans-rire très britannique et pimentent l’intrigue d’une série de gags à la française. Mon petit doigt m’a dit… est un film très réussi, jonglant adroitement entre une enquête policière bien noire d’un côté, et le comique de situations burlesques de l’autre. La réalisation est soignée, soucieuse du détail et élégante. L’histoire est déplacée en Savoie et concède ainsi au film une esthétique picturale essentielle, enjolivée par une poésie bucolique envoûtante et vénéneuse. Le seul défaut du film est son intrigue quelque peu farfelue et difficile à comprendre. Mon petit doigt m’a dit… reste cependant un excellent divertissement et une nouvelle manière originale de transposer une histoire d’Agatha Christie au cinéma.

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  • L’Heure zéro (2007)

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Deux ans plus tard, Pascal Thomas réalise L’Heure zéro, adapté du roman du même nom publié en 1944. À l’origine, le livre met en scène le Superintendant Battle, autre personnage de fiction crée par Agatha Christie, mais il devient le commissaire Martin Bataille dans le film et est interprété par François Morel.

La richissime Camilla Tressilian a l’idée saugrenue de réunir chez elle son neveu Guillaume Neuville, ainsi que son ex-femme Aude et son épouse actuelle Caroline. sont également présents Marie-Adeline, la secrétaire de Camilla, Fred Latimer, un ami de Caroline, Thomas Rondeau, un ami de longue date. Ils sont tous réunis au manoir de la Pointe de la Mouette, la somptueuse demeure de Camilla. Un petit matin, Camilla est retrouvée assassinée dans son lit, le crâne défoncé. Le commissaire Martin Bataille est chargé de l’enquête.

L’Heure zéro est un film bien écrit ; son scénario, malin et charpenté construit une intrigue passionnante autour de fausses pistes et de vrais rebondissements. Le film joue avec les conventions du genre et se permet même d’en revenir aux sources, comme on osait plus le faire dans le cinéma français. Réunissant une fois de plus mystère et truculence, L’Heure zéro est une véritable réussite qui ne prétend pas être plus qu’un simple divertissement. François Morel, dans le rôle du commissaire Bataille, est agréablement drolatique et narquois, apportant ainsi le charme nécessaire au long-métrage. Rappelons également la participation d’une légende du cinéma français et international, Dannielle Darrieux, dans l’un de ses derniers rôles remarqués sur grand écran.

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  • Le crime est notre affaire (2008)

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Enfin, en 2008, Pascal Thomas nous livre une dernière adaptation de la romancière britannique. L’intrigue du film est librement adapté du roman Le Train de 16h50, mettant à l’origine en scène Miss Marple, mais son titre est emprunté à une autre nouvelle d’Agatha Christie. Après trois années d’absence, Prudence et Bélisaire Beresford reviennent sur le devant de la scène.

Prudence et Bélisaire coulent des jours heureux dans leur propriété. Alors que Prudence s’ennuie à mourir et rêve d’aventure, sa tante Babette, au cours d’un voyage en train pour lui rendre visite, est témoin d’un meurtre. Dans un train roulant à contre-sens de sa voie, elle aperçoit une femme se faire étrangler. Bélisaire, sur le point de se rendre à un congrès en Écosse, ne la prend pas au sérieux à l’inverse de Prudence, qui y croit vraiment. Une fois Bélisaire parti, Prudence découvre l’existence d’une propriété mystérieuse jouxtant l’endroit où le cadavre a probablement été jeté. Il s’agit de la Vallée aux Loups, résidence de la famille Charpentier, où Prudence réussit à se fait embaucher en tant que servante.

Le crime est notre affaire est sûrement la meilleure adaptation d’Agatha Christie réalisée par Pascal Thomas. L’intrigue de base est une nouvelle fois abordée avec humour et dérision, et pourtant, le film est plus sombre que ses prédécesseurs, et ce, sur les plans scénaristique et esthétique. On retrouve, comme dans les adaptations des années 70-80, une pléiade de suspects ténébreux, aux secrets les plus inavouables. L’ambiance du film rappelle un peu celle de Huit Femmes de François Ozon (2002), avec des décors stéréotypés, des couleurs chatoyantes, une mise en scène artificielle et l’ambiance faussement chaleureuse de Noël. Les chutes de neige sont d’un irréalisme et d’une kitscherie palpables, mais c’est là toute l’astuce de Pascal Thomas, et le résultat est divin. Le suspense est parfaitement maîtrisée et l’intrigue passionnante – bien plus compréhensible que celle de Mon petit doigt m’a dit…. Le duo Frot-Dussolier est encore plus impayable que dans le premier opus et leurs chamailleries remarquablement désopilante. Le casting secondaire est de marque avec le grand Claude Rich en vieillard avare et acariâtre, l’excellente Annie Cordy, débordante d’énergie, et également Melvil Poupaud, Chiara Mastroianni, etc.

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Depuis plus de 70 ans, Agatha Christie n’a cessée d’être une source d’inspiration inépuisable pour le cinéma. Tous ces films sont des classiques et sont à voir au moins une fois !

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