Marre de la solitude, des longues soirées seul·e·s avec votre chat, vous décidez enfin de trouver votre moitié, alors… vous installez une application de rencontres. Mais est-ce bien l’amour que vous y trouverez ?
Les applications de rencontres ont la côte chez les jeunes
Plus d’1 jeune sur 3 déclare avoir déjà utilisé des applications de rencontres. De Tinder, pour les plus classiques, à Fruitz ou Happn, pour les plus originaux, en naviguant sur le store de votre smartphone vous devriez trouver l’application parfaite pour enfin rencontrer votre âme soeur.
Si ces applications ont un tel succès c’est que l’attente est forte. Personne n’a envie de subir la solitude, l’isolement, et la misère affective ! L’avantage de ces applis, c’est qu’il suffirait de se faire un profil virtuel, avec votre meilleur selfie, pour trouver l’amour. Fini l’angoisse d’aller parler à cet inconnu qui nous plait dans la rue, en un « swipe » l’affaire est faite. Le double avantage c’est que contrairement à la rencontre hasardeuse que l’on fait dans la rue, au boulot ou en soirée, là c’est un amour à la carte. En filtrant votre recherche vous trouverez l’être parfait, celui qui partage vos goûts, vos opinions, bref celui qui correspond à toutes vos attentes. Quoi de plus beau qu’un amour sans contraintes et sans risques ?
Un nouveau rapport à l’amour
Avec l’apparition de ces applications de rencontres, c’est notre comportement amoureux lui-même qui a changé. D’abord, rappelons que l’amour, c’est avant tout l’ultime expérience de l’autre. Un jour on rencontre quelqu’un, et notre vie est bouleversée, notre monde se polarise vers l’être que dès lors on aime. Dans l’amour, il en va d’un lâché prise, on fait reposer une partie de nous sur un autre que nous, c’est toute la force du partage amoureux et de la complicité qui l’accompagne. Mais c’est un risque, car en aimant on joue gros. Tout le monde le sait bien ! Abandon, trahison, jalousie, courage du premier pas… la liste est encore longue. En bref, l’amour semble s’accompagner de son lot d’inconvénients.
Mais avec l’apparition de ces applications de rencontres, on nous propose un amour maitrisé de A à Z. Fini les risques ? Nous avons le choix, et un choix à la carte. Alors notre exigence augmente, et l’amour devient un objet de consommation.
Humain ou bien de consommation ?
Maintenant nous avons le choix, mais peut être trop de choix. Les profils défilent en masse, et en un coup d’oeil on élimine ou on valide. C’est un peu du taylorisme amoureux, on le cherche à la chaine et on optimise le rendement des matchs. Pour ça, les développeurs vous proposeront des boosters, des élixirs et autres options permettant d’optimiser vos chances d’être « aimé ». La personne que l’on cherche devient un objet que l’on choisit au détail. Le hasard disparait au profit du calcul des intérêts personnels. Mais attention n’oubliez pas que vous aussi vous devenez un objet de consommation pour les autres.
En bref, là où avant nous apprenions à découvrir les personnes qui nous entourent, et à les accepter avec leurs petits défauts, maintenant nous préférons le rendement et la perfection. Risque majeur qu’est celui de ne pas découvrir les personnes pour qui elles sont mais pour ce qu’on attend nocivement d’elles.
L’illusion de la perfection
Les profils défilent certes, mais ils ne cessent pas de défiler. Et le risque c’est de ne jamais s’arrêter, de chercher sans cesse en croyant que quelqu’un de mieux arrivera. Car en vérité c’est le meilleur moyen de ne pas s’attarder sur la richesse de ce que l’on a sous les yeux. Et n’en doutez pas, les créateurs d’applications de rencontres n’ont pas intérêt à ce que vous rencontriez l’amour, il faut que vous consommiez et que vous leur rapportiez de l’argent en cherchant incessamment l’être parfait.
Comme l’explique Judith Duportail dans son livre L’amour sous algorithme, les algorithmes qui se cachent derrière les applications de rencontres nous proposent des profils en fonction de calculs douteux. Pour prendre l’exemple de Tinder, les profils qui vous sont présentés sont choisis en fonction d’un « taux de désirabilité » similaire au votre. On imagine que ce taux de désirabilité est calculé en fonction du temps où les utilisateurs restent sur votre profil, si vos photos plaisent.. etc. Bref autant dire qu’il n’y a rien de très authentique et d’humain dans ce genre de calculs.
La preuve en image :
L’amour menacé par les applications de rencontres
Le plus problématique avec les applications de rencontres c’est qu’elles menacent l’amour lui-même. C’est ce que nous rappelle Alain Badiou dans son livre Éloge de l’amour. Ces applis forgent donc l’idée selon laquelle en calculant bien son coup on s’assure un amour sans risques. Mais cette formule réduit l’amour à un contrat d’intérêts mutuels. L’amour consisterait à se demander ce que l’autre peut bien nous apporter. C’est en quelque sorte la nouvelle version du mariage arrangé, non pas au profit d’intérêts familiaux, mais au profit de notre petite sécurité personnelle. En bref, c’est une manière de ne pas faire l’épreuve de l’autre, dans tout ce que cela peut avoir d’aventureux, d’inattendu et de risqué.
Réinventer l’amour
Une chose est certaine, les applications de rencontres sont séduisantes et nous flattent sous bien des aspects. Mais méfiance ! Entre un consumérisme amoureux malsain et une vision sécuritaire de l’amour, que reste-il vraiment des relations humaines et de l’amour lui-même ? Notre génération a peut être la tâche difficile de réinventer l’amour et de rebâtir des liens authentiques qui ne reposeraient plus sur la commercialisation des émotions et la quête des calculs personnels mais sur l’aventure, le partage et l’authenticité.