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Argentine : le souvenir des Desaparecidos refait surface

Desaparecidos

Le 24 mars dernier, la Marche en mémoire des disparus a pris des allures de manifestation. Des médias argentins ont révélé que le gouvernement serait prêt à revenir sur le sort des tortionnaires de la dictature. De quoi sont-ils accusés ? Retour sur le secret le mieux gardé d’Argentine, découvert par des grands-mères au sacré caractère.

Jour de la Mémoire. Des dizaines de milliers de personnes se rassemblent à Buenos Aires pour commémorer le coup d’état militaire de 1976. Cette année, les slogans se font particulièrement dénonciateurs. En raison, le gouvernement a laissé entrevoir la possibilité d’aménager les condamnations à perpétuité des tortionnaires en simples assignations à résidence. De 1976 à 1983, ils ont participé à l’organisation d’un véritable « plan systématique d’État » afin de purger la nation argentine.

Desaparecidos

Crédits – Martin Acosta, Reuters

Les Desaparecidos de la « guerre sale »

Après des années de silence, l’Argentine découvre la vérité avec effroi. En 1983, la Commission Nationale sur la Disparition des Personnes, la CONADEP, révèle l’ampleur des horreurs commis par les militaires. La junte a orchestré l’assassinat secret de 30 000 opposants présumés, dits « subversifs », avant de faire disparaitre leurs corps. Sans preuve, l’impunité est assurée. « Les disparus, qu’ils disent où ils sont ! », scandent les manifestants.

Quelques 500 bébés ont été enlevés à leurs mères détenues. Ils ont ensuite été illégalement adoptés par des familles proches des militaires. Un acte généreux pour ceux qui se considèrent comme les porteurs des véritables valeurs chrétiennes. « Droits et humains », le slogan martial de la dictature résonne toujours aux oreilles des Argentins.

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Dans tout le pays, des charniers sont progressivement exhumés. Certains découvrent la vérité sur leurs propres parents. Témoin lors du procès historique du « plan systématique de vols de bébés » de 2011, Victoria Montenegro expose l’aveu de son faux père, colonel,

« il a reconnu avoir tué mes parents mais ne m’a jamais demandé pardon. (…) Je lui ai moi-même dit qu’élever l’enfant de dangereux « subversifs », c’était un acte d’amour. Je ne comprenais pas ce qui se passait. »

« Les grands-mères de la Place de Mai »

Le 30 avril prochain marquera le 41ème anniversaire de leur ronde. Douze grands-mères se réunissent secrètement sur la Place de Mai pour la première fois en 1977, sous un arbre fleuri face au cercle militaire. Acte d’une ironie et d’un courage sans nom pour ces « vieilles terroristes », comme les surnomment le général Videla, à la tête de la dictature. Issues d’horizons différents, elles partagent une même souffrance, la disparition de leurs filles enceintes ou jeunes mamans. Obtenir la vérité devient leur principale préoccupation. La Place de Mai incarne le cœur et le symbole de la contestation.

Desaparecidos

Crédits – Reuters, Enrique Shore

Déstabilisée par la valse des généraux dans les années 1980, l’Argentine chancelle. Les grands-mères profitent de l’inattention du pouvoir pour sensibiliser à leur lutte. Immense tâche que de prouver au monde la dimension de ce crime d’Etat, alors qu’en Argentine le silence est d’or. En 1983, elles obtiennent le droit d’afficher au grand jour la photo des enfants volés. Sensibles à l’appel, les scientifiques affluent. Le pays est le premier à ouvrir une banque nationale des données génétiques. Identité et sang deviennent intimement liés pour les argentins.

Desaparecidos

Crédits – AP

L’Esma, le plus grand camp de la mort argentin

En novembre 2017 s’est déroulé le procès emblématique du plus grand centre clandestin de détention de la dictature, l’Esma, École de mécanique de la marine. 48 anciens militaires ont été condamnés pour crimes contre l’humanité. Situés à seulement quelques centaines de mètres du stade de Buenos Aires, les détenus de l’Esma ont assisté à la Coupe du Monde de football de juin 1978.

Miriam Lewin entendait la foule en liesse depuis sa cellule, expression d’une fierté débordante pour la nation. Elle livre un récit surréaliste de cette victoire,

« à ce moment-là, nous avons eu le sentiment que la dictature allait durer une quarantaine d’années de plus. Et que personne ne pourrait jamais croire que ce que nous avions vécu était réel. »

Desaparecidos

Crédits – Wikipedia

« Les vols de la mort » 

En 1995, Adolfo Scilingo, ancien tortionnaire de l’Esma, témoigne. Hanté par ce que les bourreaux nomment eux-mêmes « les vols de la mort », il brise l’un des secrets les mieux gardés de la dictature. Le sort des disparus. Il décrit le circuit emprunté par les « subversifs » : enlèvement, torture, interrogatoire et « transfert ». Où sont-ils transférés ? A priori, un autre camp, en réalité, une mort certaine. Drogués mais toujours vivants, ils sont jetés chaque mercredi depuis des avions militaires dans l’immense fleuve Rio de la Plata.

Alfredo Astiz, surnommé « l’ange blond de la mort », fait figure de traqueur emblématique d’opposants politiques. Sa méthode, infiltrer le mouvement de la Place de Mai en se faisant passer pour le frère d’un disparu. Il désigne ses futures victimes en les embrassant. Parmi elles, figurent une des fondatrices du mouvement, Azucena Villaflor, ainsi que les religieuses françaises Alice Domon et Léonie Duquet, jetées dans le fleuve le 14 décembre 1977.

« Les revers de la politique des droits de l’homme »

L’affaire retrouve son actualité lorsque des médias argentins révèlent qu’Alfredo Astiz fait partie d’une liste de plus de mille détenus susceptibles de bénéficier d’une assignation à résidence. Dans un communiqué, les organisateurs de la manifestation du mois de mars dénoncent « les revers de la politique des droits de l’homme ».

Desaparecidos

Crédits – Archives TEA y DeporTEA

De mauvais souvenirs resurgissent. En 1986 déjà, le Président Raúl Alfonsín vote des lois d’amnistie sous la pression des militaires. « L’ange blond de la mort » surfe sur la polémique, affiché en vacances à la une des journaux. Il faut attendre près de trente ans pour que Nestor Kirchner transforme l’ESMA en mémorial et supprime les lois d’amnistie. Aujourd’hui, plus de 400 procès sont en cours.

Le foulard blanc, symbole de l’engagement des grands-mères, illumine encore aujourd’hui « la Plaza de Mayo ». 107 des 500 enfants ont été retrouvés. Les autres vivent toujours sous une fausse identité. Elles se battent pour que la justice ait le dernier mot. À ce jour, la lutte semble loin d’être terminée.

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Crédits – Eitan Abramovich AP

À lire aussi : Argentine : Manifestations contre les violences faites aux femmes

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Intéressée par tout et tout le monde. Surtout le Moyen-Orient. Aime voyager et se poser des questions. Tente d'apprendre l'arabe et la guitare. Désire être journaliste depuis toujours !
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