Le 23 avril dernier, le Premier ministre a présenté sa démission moins d’une semaine après son élection. Le pays gronde sous la pression des manifestations conduites par le nouvel homme fort de l’Arménie, Nikol Pachinian.
« Révolution de velours »
La révolution est en marche. Le 13 avril, elle a démarré à Erevan, la capitale, puis s’est propagée dans toute l’Arménie. A la tête du cortège, Nikol Pachinian, 42 ans, député de l’opposition, domine la foule. L’homme au treillis de marcheur et à l’éternel casquette appelle au rassemblement depuis l’élection de Serge Sarkissian. Après deux mandats présidentiels, il venait d’être nommé premier ministre par les députés.
Sarkissian a ravivé les feux de la colère populaire en se maintenant au pouvoir après 10 ans, cultivant la pauvreté et la corruption. En 2015, il a fait amender la Constitution pour exercer la fonction de Premier ministre, dépossédant le Président de ses pouvoirs.
« Sans romantisme ni idéalisme on ne fait rien ! »
À midi, mardi 17 avril, Nikol Pachinian a proclamé « le début d’une révolution pacifique de velours » devant 3 000 personnes réunies sur la place de la France. L’expression a fait l’unanimité parmi les médias occidentaux, exaltés, à l’image de la foule en liesse face à son nouveau héros. Comment ce trublion est-il parvenu à fédérer le peuple arménien et l’opinion publique occidentale ? Pachinian révèle les ingrédients d’un soulèvement réussi.
Tout d’abord, la magnification d’un mouvement pacifique pour faire l’unanimité. Porteur du caractère romantique de la libération d’un peuple opprimé, Pachinian offre à la presse internationale des scènes d’affrontements ornées de barbelés et de canons à eau. Quitte à devenir prisonnier politique. Le 22 avril, le leader, deux députés et environ 300 manifestants ont été arrêtés, la plupart ont depuis été relâchés. La condition sine qua none du soutien à la révolution ? L’espoir de réussite, une cause perdue lasse vite l’opinion. Pachinian a choisi d’ériger des modèles connus de tous, de Lech Walesa à Nelson Mandela.
« L’homme du peuple » en marche
Il convient également d’ajouter un soupçon d’héroïsme à ce soulèvement de masse. Un leader atypique se doit d’être à la hauteur pour incarner cet évènement historique. Pachinian, ancien journaliste d’opposition passé par la case prison, réunit ces conditions. Au début des années 2000, il dirige le journal Haykakan Zhamanak, Le Temps arménien, opposé au gouvernement. En 2009, il est condamné à la prison, jugé responsable d’affrontements mortels survenus après des élections. Amnistié en 2011, il se fait élire député l’année suivante. Il prend la tête du parti Contrat civil en 2013.
« L’homme du peuple » se confronte aux élites qu’il dénonce comme corrompues et sourdes aux revendications sociales. 30 % de la population, soit 1 million de personnes, vit sous le seuil de pauvreté selon les données de la Banque Mondiale. Le chômage atteint la barre des 16 % et plus d’un demi-million d’Arméniens vivent et travaillent en Russie.
Marcher pour fédérer, tel est son mot d’ordre. Il a parcouru près de 200 km, entre la ville de Gioumri et la capitale, allant à la rencontre des habitants. Deux semaines de mouvement intitulé « Mon pas » et raillé par la plupart des forces politiques, avant de conduire à la démission surprise du Premier ministre.
Plus d’école depuis huit jours! Ces 3 lycéennes d’ #Erevan espèrent que la révolution arménienne stoppera la fuite des familles de leur pays. #Armenie pic.twitter.com/6YrMYyQxuE
— cojean annick (@AnnickCojean) 27 avril 2018
Les frissons de la révolution
Connaitre son ennemi pour mieux l’affronter constitue la quatrième règle. Depuis 30 ans, chaque élection suscite maintes contestations. En 2009, le Président Sarkissian a dû faire face à la mort de dix personnes dans les émeutes suivant le vote. Sa démission fin avril est sûrement portée par un sentiment d’ultime responsabilité. En cette veille de commémoration du génocide arménien de 1915 rassemblant des dizaines de milliers de personnes, la situation risquait d’échapper à son contrôle.
Suscitant un mouvement d’une ampleur sans précédent, Pachinian a su émerger au bon moment pour faire résonner la voix du peuple. Porte-parole incontestable, comment compte-t-il répondre aux revendications économiques et sociales ? Le mystère plane toujours concernant l’après-révolution.
Tte la journée dans Erevan, il y a eu concerts, défilés, pique-niques, danses folkloriques improvisées.Ici, pas de danse de 2 vétérans de la guerre du Haut Karabakh, « écœurés par les gangsters au pouvoir qui se moquent des soldats qui n’ont rien pour vivre » pic.twitter.com/bKaBCvUVkD
— cojean annick (@AnnickCojean) 2 mai 2018
« Arménie, la Russie sera toujours avec toi »*
Enfin, il faut veiller à ne pas fâcher ses alliés. L’Arménie, pays de seulement 3 millions d’habitants, enclavé entre les États hostiles que sont la Turquie ou l’Azerbaïdjan, ne doit sa survie qu’à la Russie. Pachinian tient à se montrer raisonnable en affirmant que la crise politique restera « confinée aux affaires domestiques ». Protection militaire, dépendance économique et apport énergétique russe dessinent les contours de la révolution. Donner des gages de fidélité à Moscou constitue la priorité, Poutine ne considérant pas d’un bon œil les protestations dites démocratiques des États de son glacis. Ses interventions en Géorgie en 2008 et en Ukraine en 2013 l’ont prouvé. De fait, l’Arménie ne peut aspirer qu’à une souveraineté limitée.
Opération « paralysie de l’Arménie »
Coup de théâtre ce 1e mai. 50 voix se sont prononcées contre la nomination de Pachinian en Premier ministre devant des dizaines de milliers d’arméniens indignés place de la République. Seuls 40 parlementaires ont voté en sa faveur. Il avait pourtant misé sur leur docilité suite à la démission de Sarkissian. Sûrement un rappel à l’ordre pour le leader d’un parti minoritaire au Parlement, atteignant 7 % au sein d’une coalition. Pachinian serait contraint de faire des compromis avec le reste de la classe politique, tandis qu’un nouveau scrutin se tiendra le 8 mai. Loin d’avoir dit son dernier mot, le leader invétéré appelle désormais au « blocage total » des routes, trains et aéroports. En somme, il joue la rue contre le pouvoir.
Tombeur de Président. Tombeur du peuple arménien. Tombeur des opinions publiques occidentales. Incontestablement, Pachinian sait faire tourner les têtes. Reste à voir s’il se montrera à la hauteur de l’élan d’espoir qu’il a suscité.
Hier, 2 mai, Place de la Republique à Erevan après journée de grève et paralysie du pays (images drone de Daron Titizian). La vie a repris son cours normal ce matin, en attendant 8mai, élection du 1er ministre. Popul. optimiste sur sacre de Nikol Pachinian pic.twitter.com/NRPzNqSSEE
— cojean annick (@AnnickCojean) 3 mai 2018
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*Tweet de la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova