Dix ans après les attentats du 13 novembre, Paris se souvient. Devant le Bataclan et sur la place de la République, l’émotion reste intacte, un mélange de mémoire et de silence. Nous nous sommes rendus sur les lieux des hommages.
Dix ans ont passé, mais le souvenir du 13 novembre 2015 pèse encore dans les rues de Paris. Devant le Bataclan, la stèle du square ou la place de la République, l’hommage est présent pour les 132 vies enlevées. Passants, rescapés ou témoins d’un soir livrent leurs souvenirs, ceux d’une nuit où tout a basculé, et d’une décennie passée à essayer de vivre avec.
13 novembre : dix ans après, Paris se souvient
Paris, 11 novembre 2025. Le ciel est nuageux, mais il fait beau. Dix ans après les attaques terroristes qui ont frappé la capitale, les passants s’arrêtent, se recueillent ou pointent du doigt la façade du Bataclan, ou les terrasses, comme pour dire « c’était ici ». Devant la stèle installée dans le jardin en face, les émotions affleurent. Les 92 noms gravés dans la pierre rappellent une nuit que la France n’a jamais oubliée.
Pendant toute notre présence sur place, un flot continu d’anonymes se succède. Certains déposent des fleurs, d’autres allument une bougie, quelques-uns restent en silence, les yeux perdus dans le vide. Derrière eux, les rires des enfants qui jouent dans le square apporte un contraste brutal. À chaque personne qui arrive sur place, le temps semble s’arrêter et les replonger dans les souvenirs. « Oh la vache… » lâche un homme en pleurant, submergé par l’émotion. Dix ans après, les blessures ne se referment toujours pas.

“On ne nous apprend pas à être sur un terrain d’opération”
Dans le square, Olivier, ancien journaliste sportif, contemple la stèle en silence. Il revient ici pour la première fois depuis dix ans. Ce soir du 13 novembre 2015, il s’en souvient parfaitement. Il était au Stade de France en tant que journaliste, l’un des premiers lieux touchés par les explosions. Il accepte de nous raconter ce qui le marquera pour toujours, la voix tremblante. » Après les deux détonations, mon rédacteur en chef m’a dit de quitter les tribunes. Et c’est là, en sortant, qu’on a compris l’ampleur du désastre. « . « On était les seuls à avoir accès à Internet et à l’information. Tout était saturé. On a dû gérer un mouvement de foule et rester professionnel. Les pompiers et les gendarmes ont fait un travail exceptionnel. » ajoute-t-il.

Le regard perdu, il continue : » Quand on devient journaliste, on ne nous apprend pas à être sur un terrain d’opération comme ce soir-là. » Bloqué dans le stade jusqu’à deux heures du matin, il se souvient de la peur, et de cette solidarité spontanée : » Tout le monde prenait des nouvelles de tout le monde, on a dit des mots qu’on aurait jamais cru dire, c’est là qu’on se dit qu’il s’est vraiment passé quelques chose « . C’était le cas. À l’extérieur, trois kamikazes se faisaient exploser près de l’entrée du Stade de France à Saint-Denis, causant la mort d’un homme et de nombreux blessés graves.
À lire aussi : 5 éléments pour comprendre… les attentats du 13 novembre 2015
La semaine qui suit les attaques du 13 novembre, Olivier doit retourner au travail, l’équipe de France de football joue. » C’était extrêmement compliqué, je ne pouvais plus vivre le football de la même manière. Griezmann, par exemple, avait sa sœur au Bataclan. » L’événement le marque à vif, il décide quelque temps après de quitter le milieu du journalisme pour devenir professeur d’Histoire. Finalement, il réalise que cela peut arriver partout « Je suis aussi touché par des événements comme celui de Samuel Paty, c’était à seulement 8 km de chez moi, et je suis enseignant aussi maintenant ».
Olivier baisse les yeux, les larmes semblent monter. Il nous confie : « Je ne suis pas revenu ici depuis dix ans. Je trouvais que c’était pesant, presque malsain. Mais aujourd’hui, je me suis dit que c’était bien d’y venir, c’est important pour ne pas oublier les victimes, les familles… »

« On aurait dû y être »
Le monde ne cesse de défiler devant le lieu de commémoration en face de la salle de spectacle du Bataclan. Parmi eux, certains n’étaient que des enfants le 13 novembre 2015. Jade, étudiante, s’en souvient. « Mon papa est policier, il est rentré à la maison pour nous informer de ce qu’il venait de se passer. C’est comme ça que j’ai su. » Son père a perdu un collègue ce soir-là. « Ça fait réfléchir… On se dit que ça aurait pu être lui, au mauvais endroit, au mauvais moment comme on dit. ».
Avec elle, Inès, également étudiante, se rappelle d’un hasard qui a tout changé. Avec ses parents, ils avaient leur rituel de fin de semaine : sortir et s’installer en terrasse. Ce soir-là, ils étaient fatigués et ne sont finalement pas sortis dans le quartier. « Le lendemain, il y avait une ambiance bizarre dans la maison quand on regardait les informations. On s’est dit qu’on aurait dû y être. « . Toutes les deux se remémorent aussi leur retour au collège les jours qui ont suivi cette fameuse nuit du 13 novembre 2015. « Il y avait plein de personnes qui pleuraient, qui avaient surement perdu des proches« .
À lire aussi : Comment expliquer le 13 novembre aux enfants ?
Michaël se souvient lui aussi très précisément de ce qu’il faisait ce 13 novembre. « J’étais chez moi, devant le match France–Allemagne. J’ai entendu deux détonations, et je me suis directement dit que ce n’était pas normal. » C’est ensuite via les chaînes d’informations qu’il constate le drame qui a touché la capitale. Inquiet, le réflexe est de prendre des nouvelles de sa sœur qui habite Paris. « Heureusement, elle n’avait rien. Mais le conjoint de sa collègue, il est là. » dit-il en pointant la stèle. Bien qu’il n’ait pas lui-même vécu les évènements, le souvenir reste vif. Il explique avoir développé instinctivement certains réflexes, notamment lors des concerts : » Jamais devant les portes, toujours un coup d’œil vers les issues de secours en arrivant.« .

« Ça tire les larmes »
En fin d’après-midi, nous nous rendons sur la Place de la République. Dix ans après, c’est toujours ici que s’organisent les hommages spontanés. La statue de Marianne au centre de la place est ornée de fleurs, de messages, de portraits. Les bougies s’allument les unes après les autres, les personnes se prennent dans les bras, pleurs ensemble. « Ça tire les larmes », peut-on entendre de la part d’une femme qui ne fait que passer. Les familles, les amis, les anonymes : tous viennent pour la même raison. Se souvenir, encore. Pour certains, c’était un frère, une cousine, un ami. Pour d’autres, simplement un soir qui a changé à jamais leur manière de vivre.
