Le bizutage est légalement interdit en France, pourtant bien des comportements étudiants similaires ont lieu chaque année au cours des semaines d’introduction dans les établissements supérieurs publics comme privés. Retour sur un phénomène obscure qui, poussé à son paroxysme, entraîne des séquelles psychologiques graves.
L’affaire du bizutage de Dauphine avait défrayé la chronique. « JAPAD« , ce sont les lettres de sang gravées sur le dos d’un étudiant, déshabillé et placé en position de soumission parmi d’autres élèves. Cette scarification n’est pas l’oeuvre d’une sombre secte mais celle d’une association étudiante de l’Université Paris-Dauphine depuis dissoute. Son auteur, un jeune étudiant de l’Université, a été condamné à huit mois de sursis le 7 juillet tout en ajoutant néanmoins que la victime était consciente, voir consentante, puisque le candidat « n’a(urait) jamais réagi, ni même protesté. »
Une soumission collective
Plus largement le bizutage est un phénomène étudiant qui trouve son fondement dans un rite initiatique. Les groupes d’anciens élèves se donnent un rôle de chef et ils prennent le pouvoir sur les nouveaux arrivants. Qu’il s’agisse de jeux d’alcool, de strip-tease sous la contrainte, de concours douteux ou encore de « jeux » clairement violents, la réalité du bizutage n’est pas toujours aussi brillante que ce que laisse paraître les flyers de ces « wei » (ndlr:weekend d’intégration). Elle est même parfois chaotique.
Dans les universités ou les écoles privées, ces programmes d’intégration reposent essentiellement sur l’idée de soumission. L’adresse mystérieuse, le voyage fortement alcoolisé, les jeux de rôle…tout y est pour plonger les nouveaux étudiants dans une ambiance festive certes, mais une ambiance qui peut facilement déraper. Ainsi, les jeux deviennent parfois des sévices corporels, les chants des incitations à la haine et à l’animosité. Les participants deviennent les victimes, parfois traumatisées à vie, d’une mauvaise blague.
Un rituel obligatoire ?
Mais l’humiliation et la méprise sont-elles des étapes nécessaires pour intégrer LE groupe ou encore assurer son entrée sociale dans son lieu d’étude ? Pour la pychanalyste spécialiste de l’enfance Claude Halmos interrogée par nos confrères du Monde, il faut apprendre à dire non. D’après les explications du Docteur Halmos, il est vital d’être seul maître de ses gestes devant une situation de pression collective. « Il y aura beaucoup de situations dans votre vie où il vous faudra dire non face à tous. C’est quelque chose qui va vous construire. »
Les séquelles psychologiques ou parfois physiques sont très importantes. Pour la spécialiste elles se rapprochent de celles consécutives à un viol, des maltraitances infantiles et à d’autres blessures morales traumatiques plus ou moins aigues. Les gestes employés lors des bizutages font penser à ceux de bourreaux.
http://youtu.be/uPbvQNMtQbw
La nudité est souvent au centre de ces « jeux », dominés, humiliés, poussés à bout de nerf, les étudiants candidats à l’intégration d’un groupe ou d’une association étudiante sont malmenés physiquement et verbalement. Les activités deviennent vite un parcours malsain où l’imagination parfois sadique des « bizuteurs » rencontre la fièvre du pouvoir et de la domination. Les « petits nouveaux » sont toujours exposés devant la collectivité dans une position de faiblesse, par exemple dans des positions suggestives voir même soumis à des actes sexuels par leurs supérieurs.
Pour la spécialiste « L’émotion sexuelle qui se joue à ce moment-là entre le bourreau et la victime va s’ancrer dans l’inconscient et se rattacher à ces émotions négatives. Plus tard, lors d’une relation sexuelle « normale », la honte, la peur ou le dégoût peuvent resurgir. Cela peut vous poursuivre très longtemps. »
Connaître ses droits
Pourtant le message est clair. En France, le bizutage est un délit puni par la loi. L’article 225-16-1 du code pénal dispose que « Le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. «
C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé pour quatre étudiants de Dauphine en Juillet dernier. Reconnus coupables de bizutage avec violences corporelles à l’Université de Paris-Dauphine en novembre 2011, ces jeunes hommes d’une vingtaine d’années avaient été condamné à huit mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris en Juillet 2014.
L’affaire n’est malheureusement pas un cas isolé. En 2012, après la mort tragique par noyade d’un élève de Saint-Cyr, une association de défense des militaires avait dénoncé « un manque d’encadrement » et « un bizutage déguisé« . L’armée affirmait que le décès de l’élève-officier était dû à « un exercice validé par les autorités militaires » dans le cadre « d’une formation aux traditions« . Pour le colonel Jacques Bessy, président de l’association de défense des militaires (Adefdromil), « c’était une appellation relevant de la langue de bois, pour camoufler une activité interdite » et préserver l’image prestigieuse de l’établissement.
http://youtu.be/46jnXlC4woU