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« Bonjour » : « On attend longtemps les nouvelles saisons car les séries sont produites comme des films »

Chaque matin, la matinale de TF1 « Bonjour » nous régale avec sa bonne humeur et ses chroniqueurs sympathiques … sauf ce matin où l’on a eu droit à une enchainement de poncifs sur les séries comme on aurait aimé ne plus en avoir.

Responsable de la partie « Culture » dans Bonjour sur TF1, Karima Charni est souvent inspirée dans ses choix. Mais ce matin, voulant expliquer pourquoi le délais entre les saisons de série est « plus long » aujourd’hui, la journaliste a malheureusement enchaîné les contre-vérités, voire les les idées reçues que l’on ressort perpétuellement depuis 30 ans dès que l’on parle séries télé.

« Des séries produites comme des films »

« Les séries sont produites comme des films avec des étapes à respecter » … comme « l’écriture » qui prend plus de temps aujourd’hui car les auteurs doivent garder les spectateurs. Faire en sorte que l’on garde les spectateurs devant la télé avec des intrigues complexes ou tout simplement riches, c’est le travail des auteurs de séries et des showrunners depuis 70 ans. Depuis aussi longtemps que la télévision existe. Cette idée que les séries d’aujourd’hui seraient plus « complexes » que celles d’hier est un outil de communication des plateformes mais en aucun cas une réalité. Certes on s’arrache les cheveux devant des épisodes de Dark, mais c’était déjà le cas devant Lost par exemple … sortie en 2004. C’était même un jeu que de spéculer en ligne sur internet sur ce que cache réellement l’île. Et des exemples de ce type, la télévision en regorge ces dernières décennies.

Et non, les séries sont produites comme des séries pas comme des films, répondant à des obligations propres à la télévision, et qui sont peu ou proue les mêmes depuis les débuts de la télévision.

« La réalisation prend du temps aussi. Finie l’époque où la plus grosse cascade était de voir Derrick s’accrocher à un capot de voiture »

Si toute la chronique n’était pas du même style, on pourrait prendre ça pour une boutade. Sauf qu’elle véhicule l’idée que la télévision d’aujourd’hui (parce qu’elle fait comme le cinéma) soigne sa réalisation alors que dans le passé, ça ne comptait pas c’est bien connu ! Les séries étaient bien sûr très mal réalisées et les effets spéciaux n’étaient pas réussis. Alors oui, les moyens alloués à la télévision n’ont rien avoir avec ceux d’hier, les budgets explosent sur certaines plateformes (mais pas partout) donc on peut consacrer plus de moyens aux effets spéciaux. Mais c’est archi-faux de considérer que la télévision avant se moquait de la réalisation.

Ne serait-ce que si on tient à tout prix à parler de cinéma, on rappellera que de nombreux réalisateurs du cinéma ont aussi travaillé en télé et que la réalisation n’étaient pas mise de côté. Alfred Hitchcock, Michael Mann, Steven Spielberg, David Lynch, pour ne citer qu’eux ont mis en images avec beaucoup de soin des grandes séries télé et ce dès les années. Mais c’est oublié la quantité encore plus importante encore de brillants réalisateurs qui ont travaillé en télévision et pour qui la réalisation n’était pas anecdotique (la liste est bien trop longues pour être seulement amorcée).

Enfin, les fameux effets spéciaux évoqués dans la chronique ont toujours été soignés (avec les moyens de l’époque … sauf dans les mauvaises séries évidemment), comme on l’a constaté depuis La 4e dimension jusqu’à X-Files ou Battlestar Galactica.

« Il faut trouver un calendrier commun »

La non disponibilité des acteurs pour tourner une saison en raison d’autres projets a toujours existé. Et c’est vrai qu’ici ou là cela peut occasionner des retards.

Ici on cite notamment le cas d’Audrey Fleurot, moins dispo pour tourner la fin de la saison 4 de HPI. Ce qui est pas tout à fait vrai. En réalité, le tournage des 8 épisodes était bien prévu. Mais des grèves sur les tournages français l’an dernier ont décalé les jours de tournage en dehors du calendrier initialement prévu. Et du coup, effectivement, la comédienne, prise sur d’autres projets, n’a pas pu combler ce retard (qui n’est pas de son fait) et il a fallu reprogrammer les tournages plus tard.

« Il faut ajouter le montage et le doublage« . Oui on monte et on double les séries pour leur diffusion hors de leur pays d’origine depuis aussi longtemps que l’on fait des séries.

« Avant les séries étaient plus simples à produire, chaque épisode était indépendant, on ne suivait pas l’histoire sur toute une saison »

Ah bon ! Donc Dallas, Dynastie, Hill Street Blues, Twin Peaks, 24 heures chrono, Lost, Desperate Housewives, Melrose Place, Beverly Hills, … Toutes ces séries n’ont pas existé ! La télévision d’avant plateforme n’était faite que de procédurals et les procédurals sont faciles à produire (on prend en exmple une série comme Les Experts dans laquelle il n’y a pas d’effets spéciaux à ajouter au montage …).

Dans les procédurals, « l’arc narratif est différent donc il y a moins d’écriture » : quand on doit faire 52 minutes par épisode, que la série se suive d’un épisode à l’autre ou pas, on doit écrire autant, ça ne change pas. Et c’est précisément parce que les productions américains sont bien organisées avec les showrunners et les ateliers d’écriture que l’on a pu sortir des saisons longues, bien plus longues que celles que l’on voit aujourd’hui. Pour mémoire, la moyenne était de sortir 22 épisodes de 52 minutes sur les networks, avec certains soaps comme Dallas qui contenait des saisons montant à plus de 30 épisodes.

« On utilisait moins d’effets spéciaux et quand on le faisait, ils n’étaient pas d’une qualité grandiose, ça ne nécessitait pas autant de travail » ! Il ne s’agit pas d’opposer les époques entre elles mais la technologie à mesure qu’elle progresse facilite le travail de celles et ceux charger de faire les effets spéciaux. Mais ce n’est pas parce que les effets d’hier ne semblent pas aussi bien que ceux d’aujourd’hui (on dit bien « semblent » car on a rêvé devant beaucoup de ces programmes qui débordaient d’imagination) qu’ils ne demandaient pas plus de travail en temps. Prenez une série comme Les sentinelles de l’air, et l’on comprend facilement le temps infini que cela pouvait prendre.

« On ne tournait pas en décors naturels, c’était plus rapide à produire. La preuve avec Hélène et les garçons ou Les feux de l’amour » (par rapport à Game of Thrones)

Petite aparté : à cet instant, on sent que Christophe Beaugrand (qui est un excellent camarade) ne peut plus rester sans rien dire et fait remarquer que ce ne sont pas les mêmes séries. Comparer la production d’une série destinée à une chaîne du câble avec 10 épisodes par an à celle d’un soap qui doit produire 260 épisodes par an, avec tout un process à rentabiliser, çà n’a pas de sens. Et surtout pas vrai. Tourner Vidocq ou Les chevaliers du ciel demandait beaucoup de travail pour un rendu qualitatif. Non pas par rapport à toutes les séries de toutes les époques, mais bien par rapport à ce qui se fait à l’instant T.

Conclusion : « C’est la faute du spectateur qui a un niveau d’exigence plus élevé. On veut rêver devant une série, on veut des effets sophistiqués, tout comme l’histoire qui doit nous captiver. L’attente est un signe de qualité à venir »

Certes le spectateur consomme davantage de séries donc il affine ses goûts. Mais ce n’est pas ça qui augmente forcément le délais d’attente entre les saisons. Il y a d’abord une différence entre la manière dont une série est produite et la manière dont elle est diffusée. En gros, il n’y a pas que Netflix comme modèle de production. Les networks américains continuent de produire des séries par saison comme avant, en les diffusant 1 épisode par semaine. Dans ce cas là, le délais d’attente ne dépend pas de changement dans la façon de produire mais du délais de diffusion du diffuseur d’un autre pays.

Et si les séries fonctionnent depuis 70 ans, c’est bien parce qu’elles ont su répondre aux envies des spectateurs, qui globalement n’ont pas attendu Netflix pour avoir envie de découvrir de bon programme avec de belles séries bien produites. Le public qui suivait Le Prisonnier, Mission Impossible et tant d’autres, n’avait pas l’impression de voir des séries au rabais, mal produite, mal écrite et mal jouée. Bien au contraire ! Il n’y a pas plus de bonnes séries aujourd’hui qu’hier (en proportion), il y a juste un plus grand nombre mais dites vous une chose : vous ne voyez pas tout ce qui est produit. Loin de là ! Un tri est opéré.

Et comme l’a très bien rapporté en conclusion Christophe Beaugrand (vrai connaisseur de séries), les plateformes en proposant les séries en intégrale le jour du lancement ont donné l’habitude de tout consommer tout de suite. Mais le délais pour commander la suite doit toujours être maintenu pour savoir si une série plaît ou pas. Et c’est ce délais pour observer le comportement réel des spectateurs face à une série qui explique sans doute (en partie) ce délais rallongé !
Mais l’idée n’était pas ici d’oublier les principes d’efficacité d’une telle chronique dans un concept comme celui ci. Mais bien de montrer que l’on peut faire preuve de rigueur tout en étant efficace et qu’il vaut mieux ne pas « affirmer » des choses quand on ne maîtrise pas le sujet !

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Rédacteur en chef du pôle séries, animateur de La loi des séries et spécialiste de la fiction française
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