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Braquo : De la flamme vigoureuse à l’étincelle vacillante

Braquo a dessiné en creux le visage d’une série qui s’est modifiée au fur et à mesure. Retour sur les trois premières saisons avant l’arrivée de la saison 4.

Les Créations Originales de Canal Plus ont au fil du temps profondément bouleversé le paysage des séries françaises. D’Engrenages à Reporters, de Kaboul Kitchen à Pigalle La nuit, de Baron Noir au Bureau des Légendes, chacune avec ses spécificités a démontré que l’on pouvait chez nous aussi réussir des séries ambitieuses et diversifiées. Parmi les gros succès à mettre au crédit de la chaîne cryptée et des auteurs qu’elle a su attirer, Braquo est l’une des plus emblématiques et des plus controversées aussi. Car si la série a su séduire par son aspect de western moderne, ses dialogues qui claquent et sa violence brute de décoffrage, elle a également profondément changé au fil de ses trois premières saisons pour ne plus ressembler à ce qu’elle était initialement. Si les aléas de la production et les soubresauts des coulisses expliquent en partie cette profonde mutation, les modifications engendrées laissent quelque peu perplexe.

En se penchant sur la genèse de Braquo, la première chose qui saute aux yeux, c’est l’ADN d’Olivier Marchal qui transpire par tous les pores de la pellicule lors de la saison 1. L’ancien flic y a mis pèle mêle non seulement des références qui lui tiennent à cœur mais aussi toute son expérience d’homme de terrain et de scénariste confirmé, maître ès polars made in France. En créant Braquo et en mettant en scène cette unité de flics qui flirte avec les limites du code pénal pour peu à peu franchir carrément la ligne jaune, Olivier Marchal a mis un coup de pied dans la fourmilière. S’il fait appel à son appétence pour The Shield (la Strike Team et le Groupe Caplan ont bien des points communs) et si Vic MacKey (Michael Chicklis) et Walter Morlighem (Joseph Malerba) ont notamment une caractérisation physique et psychologique similaire, Marchal a également apporté bien autre chose à Braquo qu’une simple analogie à une série télé, aussi géniale soit-elle. Le travail d’Olivier Marchal à la télévision (que ce soit comme acteur dans Police District ou comme auteur sur Commissaire Moulin notamment), au cinéma (avec les formidables Gangsters, 36 Quai des Orfèvres et MR73) apporte forcément à la première saison de Braquo la puissance émotionnelle ainsi que l’urgence et la nervosité nécessaires au projet. La saison une est un vrai polar emprunt de violence sèche, de punchlines sentencieuses, d’une noirceur abyssale que l’on croise rarement à l’époque sur les chaines françaises. Du Olivier Marchal pur jus, de la tragédie antique transposée dans le milieu policier avec cette façon bien à lui qu’a le scénariste et réalisateur de mettre en scène une espèce d’opéra funèbre contemporain avec ce qu’il faut de grandiloquence et de style. La réalisation (les quatre premiers épisodes ont été réalisés par Marchal, les quatre suivants par Frédéric Schoendoerffer) est efficace, tendue et puissante et accompagne l’action et la rythme magnifiquement. Les interprètes (Jean-Hugues Anglade, Karole Rocher, Nicolas Duvauchelle et Joseph Malerba) forment une team soudée et parfaitement homogène et les seconds couteaux ont tous de vraies gueules et le tout forme un attelage hétéroclite qui donne son identité à la série. Marchal montre une police gangrénée par la corruption à l’image du personnage de Vogel (campé magnifiquement par Geoffroy Thiebaut) mais malgré cela certains de ses personnages conservent une vision romantique et idéalisée de leur sacerdoce.

Braquo De la flamme vigoureuse à l’étincelle vacillante 2 radio vl

Malheureusement après avoir fait de Braquo une marque estampillée Marchal, après avoir porté à ébullition une première saison puissante et très réussie, Olivier Marchal quitte la série. Si on ne va pas revenir ici sur les raisons qui ont entraîné ce départ, Braquo va dès lors prendre une direction tout à fait différente de ce qu’elle aurait sans doute été si son créateur était resté aux manettes. Car oui, cette saison 2 est différente, ce qui ne veut pas dire mauvaise. C’est un scénariste connu et reconnu par le métier qui prend les rênes de Braquo. Abdel Raouf Dafri (La Commune, Mesrine, Un prophète), s’empare des aventures de l’équipe  de Caplan et la saison 2 est très efficace mais commence à porter les stigmates d’une mutation en profondeur. La mise en scène se partage cette fois-ci entre Philippe Haïm et Eric Valette qui font du bon boulot mais l’apparition de certains personnages très caricaturaux nuit quelque peu à l’ensemble. Par contre, la bascule de Vogel, qui devient l’un des psychopathes les plus jouissifs de la télé française, est particulièrement réussie et assure quelques scènes d’une impressionnante perversité.

Il n’empêche que la série bascule un peu mécaniquement vers une succession de rebondissements, dans un thriller quasi irrespirable dont le dénouement apparaît un brin décevant. Et ce, malgré un cliffhanger de haut niveau ce qui induit de fait un certain déséquilibre.

Braquo De la flamme vigoureuse à l’étincelle vacillante 3 radio vl

En saison 3, la mue de Braquo prend un tournant décisif. La série créée par Marchal n’existe plus. Si Abdel Raouf Dafri se l’est appropriée comme l’aurait fait n’importe quel autre créateur, en y apposant sa patte, le scénariste en a fait une œuvre foncièrement différente de ce qu’elle était initialement. La violence romantique des débuts a laissé la place à une violence frontale, sale et parfois complaisante. L’intrigue tarabiscotée de cette saison 3 est souvent difficile à suivre et voit qui plus est Vogel devenir pire que la pire des raclures, accompagné dans sa folie par une jeune fille qui l’égale dans son ignominie.

L’équilibre de la série a été sacrément mis à mal avec les conséquences du cliffhanger de la saison 2 et cela semble rédhibitoire : Braquo a perdu en profondeur ce qu’elle a gagné en efficacité. C’est une série qui ne s’embarrasse pas de nuances et qui avance avec des gros sabots par moments assez détestables. Malgré toutes les réserves que l’on peut nourrir depuis la prise en main de la série par Raouf Dafri, il est indéniable que la série reste très souvent spectaculaire et est toujours parfaitement réalisée (Frédéric Jardin et Manuel Boursinhac sont en charge de la saison 3) et l’on continue de suivre les aventures de Caplan et de son équipe car on s’est attaché à eux.

Si le réalisme façon Olivier Marchal est souvent pris en défaut, dans le Braquo d’Abdel Raouf Dafri il a totalement disparu, laissant la place à une série qui suit son sillon sans se préoccuper de la vraisemblance. Ce qui pourrait ne pas avoir d’importance si l’histoire était suffisamment maîtrisée et ne basculait trop souvent vers l’improbable. Les punchlines d’Olivier Marchal font partie intégrante de son style qu’on les aime ou pas, mais en saison 2 et 3, ces punchlines paraissent trop souvent artificielles et construites sur du vent. Les mots d’auteur c’est bien quand c’est en lien avec le fond, ce qui n’est ici pas toujours le cas.

La saison 3, si elle conserve l’identité du genre auquel appartient la série, part trop souvent dans des digressions qui mettent à mal les fondations initiales. La figure iconique de Caplan y est égratignée sans pour autant nuire à la cohésion des deux premières saisons ce qui par contre est plutôt bien vu, mais la série est parfois bien trop racoleuse et a recours trop souvent à des stéréotypes pour parvenir à se démarquer désormais du tout venant. En choisissant d’empiler les rebondissements pour se mettre le téléspectateur dans la poche, la cohérence et la cohésion du projet en prend un coup assez terrible.

Braquo De la flamme vigoureuse à l’étincelle vacillante 4 radio vl

Alors évidemment, Braquo est une série rythmée, dont on suit les rebondissements et les étapes parce qu’elle est faite par des gens qui savent nous maintenir en haleine et par des techniciens de talent. Evidemment on y prend du plaisir parce que les rebondissements incessants nous empêchent de nous poser les bonnes questions. Evidemment les comédiens sont excellents et sont à fond dans leurs personnages et ils y croient tellement qu’on finit nous aussi par avaler les invraisemblances. Evidemment, Braquo est une série noire de geai, exempte de lumière et de sourires, une tragédie qui nous entraîne dans les limbes et dont personne ne ressort indemne.

Mais c’est une série qui malheureusement ne se bonifie pas avec le temps et dont la complaisance est parfois très limite, mais qui conserve miraculeusement son pouvoir d’attraction malgré tous ses défauts. Et si la flamme vigoureuse des débuts est désormais une étincelle vacillante, il n’en reste pas moins que l’on attend son ultime saison 4 avec envie pour voir jusqu’où Eddy Caplan, son groupe et Vogel vont plonger. Et ce sera sans doute dans les tréfonds de la noirceur de l’âme humaine.

Crédit: Canal+

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Journaliste pôle séries et La Loi des Séries, d'Amicalement Vôtre à Côte Ouest, de Hill Street Blues à Ray Donovan en passant par New york Unité Spéciale, Engrenages, Une famille formidable ou 24, la passion n'a pas d'âge! Liste non exhaustive, disponible sur demande!
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