Urgences a renouvelé et marqué de son empreinte le drama médical ; tous genres confondus, elle reste l’une des meilleures séries de l’histoire de la télévision.
C’est quoi, Urgences ? Dans la salle des urgences du Cook County, l’hôpital général du comté de Chicago, les médecins, infirmiers et aides-soignants sont en première ligne pour gérer l’afflux de malades et de blessés. Lors de son premier jour en tant que résident en chirurgie, sous la supervision du Dr. Peter Benton (Eriq La Salle), le jeune John Carter (Noah Wyle) découvre le rythme effréné qui règne dans le service, le ballet incessant des brancards et l’afflux de patients – dont l’une des infirmières, Carol Hathaway (Julianna Margulies), qui a tenté de se suicider après sa rupture avec le pédiatre, le Dr Ross (George Clooney). Stressés et épuisés par des gardes interminables, les membres du personnel médical se battent chaque jour pour sauver des vies.
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En 2024, nous célébrons les 30 ans de Urgences. Une rétrospective résumant les rebondissements ayant jalonné les 331 épisodes n’aurait aucun intérêt pour les spectateurs qui ont été fidèles au poste et n’apporterait pas grand-chose aux autres. Revenons néanmoins à grands traits sur ce qui reste comme l’une des meilleures… non, soyons clairs : la meilleure série médicale à ce jour.
L’origine d’Urgences
Ancien étudiant en médecine, l’écrivain Michael Crichton rencontre un certain Steven Spielberg sur le tournage de Jurassic Park, film tiré d’un de ses romans. Les deux hommes s’entendent si bien qu’ils envisagent d’autres collaborations, et Crichton ressort alors l’une de ses premières tentatives littéraires : un récit de son expérience au sein d’un service d’urgences, écrit en 1974 mais jamais publié. Une telle histoire semble cependant mieux se prêter au format de la série télévisée, et le duo contacte le scénariste John Wells qui accepte de devenir le showrunner du projet. A ce stade, la série n’intéresse personne mais NBC décide de tenter le coup – moins convaincue par la série que par les grands noms qui y sont associés.
Le pilote est du reste très mal reçu par les dirigeants de la chaîne et ce sont trois jeunes cadres (John Landgraf, aujourd’hui président de FX ; David Nevins, actuel président de Showtime ; et Kevin Reilly, à la tête de TNT) qui insistent et convainquent leurs supérieurs de diffuser la série. Le 19 septembre 1994, NBC met à l’antenne le premier épisode, sans trop y croire. D’autant que Urgences doit surmonter un obstacle supplémentaire et non des moindres : elle apparaît sur les écrans un jour après un autre drama médical, Chicago Hope, créé par David E. Kelley et diffusé sur CBS…
La série
A la surprise générale, Urgences remporte vite le match, en séduisant immédiatement public et critiques. Les deux séries suivent des médecins dans un hôpital de Chicago, mais si Chicago Hope reste assez conventionnelle, Urgences apporte une bouffée d’air frais tout en suivant le chemin ouvert par d’autres séries telles que St Elsewhere. Elle renouvelle ainsi subtilement le genre, avec un ensemble de procédés qui marqueront toutes les séries médicales après elle.
Urgences est d’abord une série chorale, se déroulant dans un lieu unique. Dans un même épisode, on suit de nombreux patients et donc de nombreuses histoires, réparties en une vingtaine de séquences pour une durée d’une quarantaine de minutes. Certaines intrigues sont résolues en quelques lignes de dialogue, d’autres courent tout le long de l’épisode, d’autres sont plus feuilletonnantes. Mais toutes se déroulent quasi-exclusivement à l’intérieur du service des urgences, entre l’accueil, la salle d’attente, les salles d’examen et les couloirs.
Et tout se passe à un rythme diabolique, qui ne laisse aucun répit au spectateur. Très souvent, le patient sur un brancard est amené à toute vitesse dans les couloirs de l’hôpital (comme dans le générique), les ambulanciers énonçant les informations médicales au médecin qui commence le traitement à la volée. Certains blessés ou malades meurent aux urgences – parfois parce que les médecins ont tort et commettent des erreurs, épuisés et stressés au bout de plusieurs gardes. Quant aux autres, on les perd de vue et on ignore en général ce qu’il advient d’eux dès qu’ils sont emmenés au bloc ou transférés dans un autre service.
Caméra à l’épaule, travelling, lumière agressive des néons : il y a un sentiment… d’urgence, de précipitation, de frénésie qui crée une tension permanente, à l’exception de quelques scènes plus posées qui font office de brèves respirations. Dans les moments de crise, les personnages parlent très vite, s’interrompent, courent d’un endroit à l’autre et ponctuent leurs phrases de termes médicaux et techniques totalement inconnus du grand public, qui ne s’est pourtant jamais laissé rebuter par des expressions telles que « NFS, chimie, iono, gaz du sang ».
En arrière-plan des cas médicaux et des consultations, quelques incursions dans la vie privée des médecins (parfois – mais rarement – en dehors de l’hôpital) leur donnent progressivement plus de profondeur et leur offrent des histoires humaines touchantes, pleines de sensibilité et d’émotions. Leurs vies familiales, personnelles et sentimentales sont compliquées, parfois quasiment inexistantes parce qu’ils sont accaparés par leur travail, enchaînent les gardes jusqu’à l’épuisement, soignent des patients sans abri, sans assurance ou dans situations sociales précaires. On découvre entre autres les difficultés conjugales du Dr Greene ou sa maladie, la naissance du bébé du Dr Benton, la romance complexe et contrariée entre Doug Ross et Carol Hathaway, ou toute l’évolution du Dr Carter, ce jeune étudiant en médecine en pleine phase d’apprentissage qui progresse et deviendra responsable du service dans les dernières saisons.
A noter qu’au départ, le Dr Greene devait être le personnage principal de Urgences. Mais ça, c’était avant George Clooney… Le rôle du Dr Ross a sans conteste bouleversé sa vie, faisant de lui une célébrité mondiale et lui ouvrant les portes d’une carrière au cinéma. De son côté, Julianna Margulies ne pourra jamais assez remercier Steven Spielberg d’avoir insisté pour « ressusciter » Carol Hathaway, sensée mourir dans l’épisode pilote : l’infirmière est rapidement devenue l’un des personnages préféré du public. Et si l’on évoquait l’évolution du Dr Carter, c’est aussi son interprète, Noah Wyle, que nous avons accompagné depuis le début de sa carrière, tout au long des saisons.
L’évolution
Dès le départ, Urgences a montré bon nombre de qualités en terme d’écriture, de réalisation ou d’interprétation. Et la série n’a cessé de s’améliorer d’une semaine à l’autre, se distinguant par des épisodes à part, particulièrement intenses ou originaux, qui ont marqué le public. Citons par exemple l’épisode intitulé Maternité (S01E24), réalisé par rien moins que Quentin Tarantino ou le fantastique Travail perdu (S01E19) quasi-exclusivement centré sur la lutte désespérée du Dr Greene pour sauver la vie d’une femme enceinte et de son bébé dans des circonstances plus que compliquées. S’achevant sur une scène muette bouleversante, cet épisode a remporté cinq Emmy Awards et mérite de figurer en bonne place dans la liste des meilleurs épisodes de l’histoire de la télévision.
On pense aussi à Direct aux urgences (S04E01), épisode interprété en direct pendant la diffusion (et donc joué deux fois, à trois heures d’intervalle en raison du décalage horaire entre la côté Est et la Côté Ouest) qui a fait figure d’événement : il a été suivi par 42 millions de spectateurs aux États-Unis et a été diffusé en direct sur France 2, en VOST et en pleine nuit.
Exceptés ces épisodes hors-norme, Urgences avait toutefois trouvé une certaine stabilité, une formule dont elle ne variera guère sans toutefois jamais tomber dans la monotonie, grâce à des scénarii toujours prenants et inventifs. Ce qui a beaucoup changé au fil des saisons, en revanche, ce sont les personnages. D’abord, avec l’arrivée de protagonistes moins positifs que ceux initialement présentés : la nouvelle chef des résidents, le Dr Kerry Weather (Laura Innes), médecin revêche et intransigeante ; et surtout le Dr. Romano, chirurgien génial mais tellement froid et agressif qu’il finit par être détesté par tout le monde (public inclus). Il sera le protagoniste de l’une des scènes les plus impressionnantes de la série… Ceux qui l’ont vue s’en souviennent très certainement.
Le changement de personnel du Cook County s’est ensuite accéléré, la quasi-totalité du casting d’origine ayant quitté l’hôpital entre les saison 5 et 8. Certains sont néanmoins revenus après quelques temps (le Dr Susan Lewis interprétée par Sherry Stringfield) ou pour la fin de la série (Carol Hathaway, Doug Ross). D’autres personnages sont évidemment apparus pour remplacer les absents, comme le Dr Corday (alex Kingston), le Dr Pratt (Mekhi Phifer), le Dr Rasgotra (Parminder Nagra), l’infirmière puis médecin Abigail Lockhart (Maura Tierney), le Dr Kovac (Goran Visnjic) ou la jeune interne Lucy Knight (Kellie Martin – et non, on ne s’est jamais vraiment remis de Tous pour eux – S06E14…). De nouveaux visages auquel les spectateurs se sont rapidement habitués, et qui n’ont rien changé à l’esprit de la série.
Urgences a influencé de nombreuses séries après elle, en particulier les dramas médicaux qui lui ont succédé sur nos écrans. Tous ont plus ou moins tenté de répéter la même formule, parfois ouvertement (Code Black ou The Night Shift), parfois en s’en inspirant pour créer leur propre univers plus personnel que médical (Grey’s Anatomy, Dr House, Good Doctor, New Amsterdam, The Resident), parfois en y superposant un thriller médical (The Resident), mais aucune n’a pour l’instant réussi à recréer la recette de Urgences… Ce qui n’a pas empêché le Dr Gregory House de rencontrer le Dr Ross – comme vous pouvez le voir dans la vidéo suivante.
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La fin des urgences
Urgences est restée une série extrêmement populaire et son succès ne se démentait pas. Malgré les tentations et les pressions subies de la part de NBC, les créateurs de la série ont toujours refusé de faire une suite ou un spin off du style « E.R : Miami » et John Wells commençait du reste à percevoir des signes de redondance et d’inertie au fil des épisodes. Malgré les réticences de la chaîne, il a été décidé que la quinzième saison serait la dernière et le showrunner s’est attelé à conclure l’histoire comme une sorte d’adieu, ramenant à l’écran de nombreux personnages initiaux et clôturant ainsi leurs intrigues personnelles.
Le dernier épisode est excellent, chargé d’émotions et de moments dramatiques. Il s’achève sur une scène magistrale où, pour la première fois en quinze ans, nous voyons l’hôpital dans son intégralité. Et on découvre finalement le vrai héros, immuable et inamovible de la série : le Cook County, qui a accueilli tant de personnages au fil des saisons.
Trente ans ans après la diffusion du pilote, on peut le dire sans la moindre hésitation : Urgences reste l’une des meilleures séries de l’histoire de la télévision. Elle a notamment su renouveler un genre aussi codifié que celui du drama médical, avec des personnages emblématiques, des grands moments de tension et des histoires empreintes d’humanité. Un quart de siècle plus tard, on n’est pas vraiment guéri de Urgences : il nous en reste encore des séquelles…