Au lendemain du 13 novembre 2015, certains romans ont acquis une célébrité nouvelle: leur contenu est visionnaire, lucide et éclairé, terriblement en accord avec notre actualité, et leurs auteurs ont su dépeindre la violence des attentats telle que l’on n’aurait jamais pu l’imaginer avant d’en avoir fait l’amère expérience. Retour sur ces ouvrages de fiction qui nous parlent eux aussi des fanatiques religieux et de leur stratégie offensive.
Dawa : un polar prémonitoire?
Tout d’abord, cette incroyable coïncidence qui a permis à « Dawa », premier roman de Julien Suaudeau, de revenir sur le devant de la scène médiatique : dans son polar paru un an avant les attentats du 13 novembre chez Robert Laffont, l’auteur nous raconte six attaques terroristes, menées simultanément dans des endroits stratégiques de Paris (six gares : Saint-Lazare, Montparnasse, Austerlitz, gare de l’Est, gare du Nord et gare de Lyon). Les attentats, dirigés par un professeur algérien qui veut se venger de la France, surviennent un vendredi 13. Pourquoi choisir un tel jour ? Le roman évoque « une date (…) qui parlait à la sous-culture imbécile dans laquelle ils (les terroristes) baignaient depuis la naissance ». Les recrues du leader algérien sont principalement des adolescents perdus, des jeunes des cités en quête d’un combat et d’une mission qui pourraient redonner sens à leur vie.
Ce scénario catastrophe imaginé par Suaudeau résonne désormais terriblement avec les tragiques évènements qui ont secoué Paris, la France et le reste du monde: jamais rencontre entre fiction et réalité n’avait été si frontale, et l’auteur, installé aux Etats-Unis depuis plusieurs années, a suivi de loin le déroulement de l’horreur qu’il avait lui-même « prophétisé ». À l’heure de s’exprimer face aux médias, Julien Suaudeau a expliqué que son écriture ne se basait sur aucun principe d’anticipation ou de science-fiction : dans Dawa comme dans son nouveau livre Le Français, le romancier a voulu synthétiser une vision globale des problématiques françaises actuelles, qu’il a cristallisées dans un récit du terrorisme et du djihadisme.
« Je me suis mis à écrire ça parce que la France me manquait, et (…) un certain nombre de choses m’ont sauté aux yeux : les émeutes (2005), le débat sur l’identité nationale. Tous ces débats qui sont montés dans les quinze dernières années, je les ai mis en rapport dans Dawa, je voulais leur donner du sens et éclairer cette chose très hétérogène et hybride qu’on appelle la France » explique-t-il dans un entretien accordé au Républicain Lorrain. Et même s’il n’est qu’à moitié étonné de la tournure des évènements, il affirme n’avoir jamais songé que son texte allait devenir réalité. Soucieux de ne pas voir son livre qualifié de « prophétique », l’écrivain-professeur de français insiste sur le fait que Dawa est avant tout « un roman vrai », qui se base sur une connaissance accrue de la société française, « des banlieues aux beaux quartiers ».
C’est avec une même lucidité qu’il aborde le sujet du djihadisme sous un angle plus « subjectif » dans Le Français, ouvrage paru en septembre dernier et dans lequel Suaudeau raconte la dérive d’un jeune normand qui va insidieusement basculer dans le fanatisme, pour devenir djihadiste et bourreau d’otages occidentaux. Un livre choc dédié «à ceux qui crèvent» et qui se termine en un cauchemar… malheureusement plausible et réaliste.
Dawa de Julien Suaudeau, Editions Robert Laffont, 491 pages, 21 €.
Disponible ici en version papier et numérique (12.99€)