En 2008, les bikers de Sons of anarchy déboulaient sur nos écrans. Violente et sans concession, la série est une réussite dans son genre.
C’est quoi, Sons of anarchy ? Le club de motards de SAMCRO (acronyme de Sons of Anarchy Motorcycle Club, Redwood Original) fait régner sa loi sur la petite ville fictive de Charming, en Californie. Le clan, aussi craint que respecté, vit selon ses principes et sa propre loi ; trafic d’armes, meurtres et règlements de compte avec des gangs rivaux sont le quotidien de nos bikers. Au sein du club, les tensions et les luttes sont exacerbées par le contexte familial : Jax (Charlie Hunnam), le fils du fondateur de SAMCRO, s’oppose à Clay (Ron Pearlman), président du club et second mari de sa mère, Gemma (Katey Sagal). Idéaliste viscéralement attaché aux Sons, Jax est pourtant progressivement rattrapé par la violence et la corruption.
Lors de la dernière saison de The Shield où il officie comme scénariste, Kurt Sutter est approché par les producteurs Art et John Linson pour créer une série basée sur un gang de motards. Enthousiaste, il se documente en contactant plusieurs clubs et soumet le scénario à FX, qui l’approuve immédiatement. Problème : la chaîne insiste pour programmer la série juste après le final de The Shield ; la première saison est donc tournée à un rythme d’enfer, et le pilote est diffusé le 3 Septembre 2008. Malgré un début modeste, la série conquiert rapidement un public fidèle, à défaut de convaincre des critiques beaucoup plus mesurés. Et pour cause : l’auteure de ces lignes a beau être une fan absolue, l’objectivité oblige à reconnaître aussi bien les indéniables qualités que les défauts de Sons of anarchy.
Jackson « Jax » Teller (excellent Charlie Hunnam, dont l’interprétation gagne en qualité au fil des saisons) est le fils du fondateur du club, John Teller, décédé dans un accident plusieurs années auparavant. Sa mère, Gemma (Katey Sagal, dans un rôle écrit sur mesure par son mari Kurt Sutter), matriarche du clan, est désormais en couple de l’actuel président Clay Morrow (Ron Pearlman, toujours impeccable). A la naissance de son fils Abel, né d’une première union, Jax fouille dans de vieux cartons ; il y découvre des manuscrits écrits par son père, qui changent radicalement sa vision du club et de certains de ses membres. Dans le même temps, il renoue avec Tara (superbe Maggie Siff), son amour de jeunesse, revenue à Charming.
Hamlet dans le monde des bikers : c’est ainsi que Kurt Sutter présente Sons of anarchy, lorsqu’il parle de « Shakespeare sur une Harley. » Il y a de cela, le parcours sanglant et la destruction des idéaux de Jax évoquant effectivement Hamlet (mais aussi MacBeth), dans un mélange de tragédie familiale, de conflits ataviques, d’histoire d’amour impossible, de dilemmes moraux et de violence, avec en arrière-plan tout un pan de la culture alternative américaine aux rites quasi-tribaux. L’une des grandes réussites de la série est d’avoir transposé un drame aussi classique dans un contexte différent qui, contre toute attente, s’y prête très bien.
Sons Of anarchy se construit à partir d’affrontements et d’incompréhensions qui font l’objet de plusieurs intrigues entremêlées au fil des secrets, mensonges et trahisons entre le club et ses ennemis d’une part, en son sein et dans la famille Teller-Morrow d’autre part. La série est d’une extrême violence. Malgré quelques scènes d’humour qui, parfois, allègent l’atmosphère, Sons of anarchy ne lésine pas sur les fusillades, courses-poursuites, explosions, passages à tabac, viol, torture, meurtres, scènes de sexes crues et langage ordurier.
Les Sons, c’est d’abord le club contre le reste du monde. Entre famille et structure quasi-militaire, caché derrière la façade légale d’un garage, il se consacre à des activités criminelles, comme la vente d’armes à l’IRA. Se faisant, les motards se confrontent à d’autres gangs ou organisations – les Mexicains des Mayans, des suprémacistes blancs, des terroristes irlandais, des cartels mexicains, des flics corrompus, la mafia chinoise – et sont traqués par les autorités locales et fédérales qui cherchent à les envoyer derrière les barreaux. Chaque affrontement progresse dans une escalade de violence et culmine dans une effusion de sang qui met un terme au problème mais créé de nouvelles difficultés, entraînant le club (et Jax en particulier) dans un engrenage infernal.
Si le club semble soudé face à l’adversité, sa cohésion est sans cesse menacée par les doutes et les remises en question de certains de ses membres (Opie, Juice) et par la lutte pour le pouvoir entre Jax et Clay. Le fossé qui sépare les deux hommes se creuse à mesure que divergent leurs visions quant à l’avenir du club. Clay compte étendre la mainmise des Sons via les activités illicites quand Jax veut le ramener dans la légalité. Femme de poigne, Gemma tente d’atténuer les tensions entre son mari et son fils et de maintenir la famille unie – quitte à manipuler son monde. A fortiori lorsqu’elle se trouve confrontée à Tara, qu’elle voit à juste titre comme une menace. De retour à Charming, la jeune doctoresse se retrouve piégée dans l’univers auquel elle voulait échapper ; emportée dans la violence des Sons, elle soutient son compagnon dans sa lutte pour changer le club et s’engage alors dans un affrontement tragique avec sa belle-mère, qui n’entend pas partager l’affection de Jax ni le voir échapper à son contrôle.
Drame shakespearien revendiqué, Sons of Anarchy repose entre autres sur des personnages emblématiques, extrêmement bien construits, qui évoluent à mesure qu’ils sont rattrapés par la violence du club, les conséquences de leurs décisions et l’inévitable corruption morale que suppose leur appartenance aux Sons. On a déjà souligné les formidables prestations de Charlie Hunnam , du génial Ron Pearlman, de Katey Sagal et Maggie Siff, quatuor principal de la série ; le reste de la distribution est largement à la hauteur. Citons en vrac Kim Coates, Tommy Flanagan, Mark Boone Jr., Theo Rossi, Drea de Matteo ou Jimmy Smits ; et bien sûr Kurt Sutter lui-même (qui s’est octroyé le rôle atroce de Otto, avec un masochisme assez perturbant) ou Ryan Hurst, magnifique dans le rôle d’ Opie, meilleur ami de Jax et personnage adoré par les fans de la série.
S’ajoutent à la distribution plusieurs acteurs vus dans The Shield – Jay Karnes, Benito Martínez, CCH Pounder, Kenneth Johnson, Walton Googins (exceptionnel dans le rôle de Venus, prostituée transgenre) ou Michael Chiklis dans un caméo chargé de symboles. On conclura cette litanie de noms en mentionnant les apparitions plus ou moins marquantes de Donal Logue, Danny Trejo, David Hasselhoff, Marilyn Manson, Courtney Love et même Stephen King (ci-dessous).
L’autre atout de Sons of Anarchy tient à son identité forte, imprégnée des fantasmes attachés au monde interlope de bikers épris de liberté à la Easy Rider. Cuir, Harley Davidson, chevauchées sauvages sur les routes désertes de Californie, tatouages chargés de sens (notamment la faucheuse qui sert de logo au club, sur laquelle se referme chaque épisode ) en sont les caractéristiques principales. La musique est aussi un élément essentiel, avec une bande-son exceptionnelle composée de hard rock, punk, blues et folk. L’ensemble crée toute une atmosphère, présente dès le générique, sur la chanson This Life interprétée par Curtis Stigers et dont les paroles ont été écrites par Sutter.
Nonobstant ses qualités, Sons of anarchy est loin d’être parfaite. Il est temps d’en venir au sujet qui fâche… En tant que scénariste, Sutter a des idées brillantes, une démarche cohérente et le sens du spectaculaire. Mais il a aussi du mal à se contenir et une nette propension à l’hyperbole. On l’a dit, Sons of anarchy ne ménage pas son public en terme de violence physique et psychologique. Que la série soit volontairement choquante n’est pas le problème – The Shield l’est tout autant. Mais ici, les scénaristes versent souvent dans un sensationnalisme complaisant, où l’accumulation de cadavres, les yeux arrachés, les crânes défoncés et les viols carcéraux deviennent un expédient facile. Dans une escalade effrénée, la violence perd de sa substance et de son sens, devenant un prétexte pour précipiter les personnages dans une spirale de catastrophes et de souffrances.
De même, Sons of Anarchy a une certaine tendance à la boursouflure : trop de sang, trop de drames, mais aussi trop d’emphase esthétique. Certains plans sont superbes ; d’autres, en revanche, frôlent la caricature. La symbolique du corbeau, la faucheuse, la scène quasi christique dans le final, le dénouement de chaque épisode qui tient du clip musical, l’omniprésence de la bande-son… C’est à double tranchant : parfois, Sutter en fait trop et privilégie des scènes démonstratives et édifiantes à la subtilité ; parfois, cela fonctionne très bien – à l’instar de la scène finale du premier épisode de la saison 3, emblématique de la mise en œuvre de la série.
A partir de là, il faut accepter d’entrer dans le jeu et de se laisser porter. Si on parvient à faire abstraction de toutes ces outrances parfois peu vraisemblables, Sons of Anarchy est une série efficace, sans temps mort, avec un final cohérent, que Sutter avait clairement en tête dès le départ. Sans rien dévoiler, le dénouement s’inscrit dans la lignée des sept saisons : brutal et frappant, il est aussi grandiloquent et surchargé de symbolisme dramaturgique. Au moins a-t-il satisfait l’ensemble des fans – ce qui n’est pas négligeable.
A peine la dernière saison achevée, ceux-ci ont réclamé une suite centrée sur le fils de Jax, ou un prequel consacré à la création du club. Si le second projet est souvent évoqué, c’est d’abord un spin-off qui va arriver sur nos écrans à la rentrée : Mayans M.C suivra le club mexicain emmené par Marcus Alvarez (Emilio Rivera.) Pour Sutter, l’enjeu est de taille : après l’échec de sa série médiévale The Bastard Executionner, il devra s’appuyer sur la même ambiance et le même univers tout en proposant quelque chose de différent, pour éviter d’en faire une déclinaison des Sons à la sauce tex mex. D’autant que l’attente est grande du côté des fans, impatients de reprendre la route avec des bikers qu’ils ont déjà croisés dans Sons of anarchy…
Objectivement, Sons of anarchy est une bonne série ; elle aurait pu être exceptionnelle, n’eût été la tendance de Kurt Sutter à aller trop loin dans la provocation et le spectaculaire. Récit édifiant sur la descente aux enfers d’un homme rattrapé par la violence de son milieu et les turpitudes des atavismes familiaux, forte de personnages emblématiques et d’une atmosphère puissante, la série est aussi trop démonstrative et manque souvent de finesse. Sons of anarchy frôle autant le sublime que le grotesque, et elle laisse rarement indifférent : on adore ou on déteste. Elle reste en tous cas l’une des séries marquantes de la dernière décennie, et s’avère redoutablement efficace dans son genre.
Sons of anachy (FX)
7 saisons – 92 épisodes
Disponible en DVD et Blu-ray.