Série spectaculaire et sulfureuse, True Blood se joue des codes des séries de vampires et flirte intelligemment avec la métaphore – malgré un final anémique.
C’est quoi, True Blood ? La mise au point d’un sang synthétique – le True Blood – par un laboratoire permet désormais aux vampires de vivre aux cotés des humains sans avoir besoin de leur déchirer la jugulaire pour se nourrir. Dans la petite ville de Bon Temps, en Louisiane, la jeune serveuse télépathe Sookie Stackhouse (Anna Paquin) fait alors la connaissance de Bill Compton (Stephen Moyer), un vampire de 173 ans qui désire s’intégrer à la communauté. Ensemble, ils vont vivre une histoire d’amour passionnée et tumultueuse, tandis que le coming out des vampires (et, dans la foulée, celui d’autres créatures surnaturelles) bouleverse la vie de tous les habitants.
Auteur du scénario du film American Beauty, Alan Ball a réalisé un coup de maître avec sa première série : la magnifique Six Feet Under, diffusée sur HBO de 2001 à 2005. La chaîne lui donne alors carte blanche pour développer un nouveau projet, et il décide d’adapter la saga La communauté du Sud (Southern Mistery Vampires) de Charlaine Harris, une série de best-sellers racontant l’histoire d’une jeune serveuse amoureuse d’un vampire. Alan Ball écrit et réalise lui-même le pilote, diffusé en Septembre 2008. D’emblée, True Blood s’impose dans toute son outrance et sa provocation, le conte gothique modernisé servant de vecteur au style, aux préoccupations et obsessions du showrunner, entre métaphores et grand-guignol. C’est certes une histoire de vampires mais, entre ses mains, elle prend une autre dimension.
L’histoire, justement, prend pour postulat de départ la mise au point d’un sang synthétique (paradoxalement appelé le True Blood), grâce auquel les vampires peuvent sortir du placard (ou du cercueil) et vivre -théoriquement – en paix auprès des humains. Dans une petite ville du fin fond de la Louisiane, la serveuse Sookie Stackhouse (Anna Paquin) se sent exclue en raison de ses pouvoirs de télépathe, qui lui permettent d’entendre en permanence les pensées les plus secrètes des autres. Aussi est-elle fascinée par son nouveau client, Bill Compton (Stephen Moyer), un vampire dont elle est incapable de pénétrer l’esprit.
Le coup de foudre est immédiat et réciproque : la jeune vierge blonde et le vieux vampire vont vivre une liaison passionnée et torride. Leur relation se complique toutefois lorsque entre en jeu le glacial et charismatique Eric Northman (magnifique Alexander Skarsgard), un vampire viking propriétaire du bar SM le Fangtasia. Supérieur hiérarchique et rival de Bill, il est lui aussi irrésistiblement attiré par notre serveuse, cet obscur objet du désir (on découvrira plus tard pourquoi).
C’est autour de ce triangle amoureux que s’articule l’essentiel de la série, sur le rapport d’amour-haine complexe et fluctuant qui s’instaure entre eux, entre relations amoureuses et sexuelles (et morsures multiples ) Aux côtés de ce trio, True Blood met en scène une multitude de personnages secondaires excentriques, remarquablement écrits. Humains, vampires, loups-garous, fées, ménades constituent une galerie de protagonistes divers et variés, toujours hauts en couleur. Ils apparaissent dans l’intrigue principale (l’intégration des vampires et les tensions qui en découlent, la lutte de pouvoir entre créatures surnaturelles, l’église activiste anti-vampires nommée La communauté du soleil…) ou dans des péripéties secondaires (la traque d’un tueur en série qui s’en prend aux femmes ayant eu des rapports sexuels avec des vampires, l’arrivée d’une mystérieuse femme qui mène la ville au bord du chaos, la communauté des loups-garous…)
Tous sont confrontés au bouleversement induit par l’apparition des vampires au grand jour (façon de parler…), chacun s’adaptant tant bien que mal aux répercussions. Le frère de Sookie, Jason (Ryan Kwanten) , un tombeur qui multiplie les conquêtes féminines, oscille entre fascination et rejet envers les vampires; sa meilleure amie Tara (Rutina Wesley) a fort à faire avec une mère alcoolique obsédée par la religion ; le cuisinier Lafayette (Nelson Ellis) deale du sang de vampire (qui agit sur les humains comme une drogue) prélevé sur ses amants d’un soir ; le shérif Andy Bellefleur (Chris Bauer) est résolument hostile à toute cette engeance vampirique ; la serveuse Arlene (l’hilarante Carrie Preston) s’inquiète pour son amie, tandis que le propriétaire du bar Sam Merlotte (Sam Tramell), un métamorphe capable de prendre l’apparence de n’importe quel animal (bien que sa préférence aille à la race canine), voit d’un mauvais œil la relation de sa jolie serveuse avec un vampire…
Au fil des épisodes et des saisons, pléthore de personnages viendront enrichir l’histoire. Il serait fastidieux de tous les citer, mais on retiendra la jeune vampire Jessica (Deborah Ann Woll) transformée par Bill, Alcide (Joa Manganiello) le chef des loups-garous , la sulfureuse Maryann (Michelle Forbes), la reine-vampire de Louisiane (Even Rachel Wood) et le Roi du Mississippi (Dennis O’Hare), le frère insupportable de Sam (Marshall Allman), la sorcière Marnie (Fiona Shaw) ou encore le redoutable chef suprême de l’autorité régnant sur les vampires (Christopher Meloni, aussi excellent qu’à l’accoutumée). Last but not least, l’auteure de cet article confesse avoir un faible pour la sensuelle et provocante Pam (Kristin Bauer), âme damnée d’Eric, dont le cynisme et les répliques sarcastiques font merveille.
Si vous n’avez jamais vu la série, vous pensez sans doute que, question romance entre une jeune femme et un vampire, vous avez déjà donné : ça s’appelle Twilight. Or, justement, True Blood s’en écarte radicalement : c’est même l’antidote à la mièvrerie sucrée de la saga, l’alternative glauque, ironique et sexy au puritanisme des films tirés des romans de Stephanie Meyer. Âmes sensibles, s’abstenir : True Blood s’empare de tous les archétypes et paradigmes des histoires de vampires (le monstre et la vierge, le charme irrésistible du vampire, la corruption par le sexe et le sang) pour en extraire toute la transgression, la provocation et l’odeur de soufre.
Dans un mélange de drame, d’horreur, et de fantastique mâtiné de touches d’humour et d’ironie, la série fait dans l’outrance et l’excès. Profusion de nus féminins et masculins, scènes de sexe à la limite du soft porn, abondance de sang, violence graphique digne d’un splatter movie… Si la série finit par tomber dans la surenchère, cette dimension sulfureuse s’intègre pourtant parfaitement à l’histoire (du moins, au début) et a beaucoup fait pour sa notoriété. Par égard pour vos chastes yeux, nous vous épargnons les scènes les plus osées ; la couverture du Rolling Stone magazine suffit à donner une idée de cet aspect de la série.
Une autre caractéristique de True Blood tient à son atmosphère, à la fois envoûtante et troublante. Grâce à une photographie magnifique et une réalisation souvent inspirée, la série rend quasiment palpable l’ambiance bien particulière dans laquelle elle se pose : celle du Sud des États-Unis à la chaleur humide et poisseuse, un territoire rural de rednecks marqué par l’empreinte de la guerre civile, le conservatisme et la religion, où les remugles des marais se mélangent à l’odeur des champs de coton, entre la lumière crue d’un soleil de plomb et les ombres fantomatiques de la nuit. C’est tout ce cadre, celui d’un Entretien avec un vampire en plus sordide et moins romanesque, et ce ton sulfureux que traduit admirablement un générique époustouflant qui juxtapose des images-choc, au son de Bad Things de Jace Everett.
Au cœur de cette Amérique profonde, dont la ville de Bon Temps est à elle seule le microcosme, Alan Ball donne au récit une valeur symbolique et déroule le fil de ses obsessions politiques et sociales. Patiemment, il déconstruit le mythe, dépouille le vampire de sa noblesse et de son aura pour le transformer en marginal rejeté par une partie de la société ultra-conservatrice et ultra-religieuse Dans un monde où les vampires n’ont plus besoin de tuer pour se nourrir ni de vivre cachés, ils deviennent une minorité, acceptée par certains mais rejetée et honnie par d’autres.
Partisans et défenseurs des vampires s’opposent à des groupes extrémistes violents ; chez les vampires, certains tentent de s’intégrer quand d’autres préfèrent continuer à se nourrir de sang frais. Groupuscules activistes, manifestations de soutien ou lynchages de vampires, rejet religieux, proposition de loi visant à défendre leurs droits civiques… Impossible de ne pas voir les similitudes avec l’homophobie et le rejet de la communauté LGBT (parallèle accentué par l’image du sang dans la mythologie mais aussi par l’épidémie d’hépatite-V qui frappe les vampires) Les répercussions sociales et politiques tiennent un rôle capital dans la série ; manquant de finesse et de subtilité, la métaphore possède en revanche une forte puissance évocatrice et l’évidence de la double lecture n’enlève rien à la valeur d’un message intelligemment introduit dans l’histoire.
Suivant grosso modo l’œuvre littéraire, les deux premières saisons sont parfaitement construites : l’introduction des personnages et les différentes intrigues, bien équilibrées, plongent le spectateur dans un univers fascinant de mystère, de sensualité, d’horreur et de suspense. Malheureusement, la série finit par s’égarer et perd… de son mordant (et Alan Ball, qui part lors de la saison 5). Il arrive un moment où l’on a l’impression que les scénaristes eux-mêmes ne savent plus trop ce qu’ils font, improvisent d’un épisode à l’autre, avec une surenchère dans la provocation et des rebondissements de plus en plus grotesques (des vampires-zombies ? Sérieusement?) malgré des cliffhangers toujours haletants.
Une partie des spectateurs continue toutefois à regarder la série, comme un plaisir coupable ou en s’accrochant encore à l’idée de la métaphore sociale, jusqu’à la fin. Soit jusqu’au terme d’une médiocre saison 7 qui culmine avec un affrontement épique, avant un dénouement frustrant. Nous n’en dirons évidemment rien : libre à vous de regarder la vidéo ci-dessous si vous voulez découvrir la scène. Cette dernière séquence, happy ending d’une fadeur absolue et en décalage avec le reste, a en tous cas déçu de nombreux fans (et ce, bien qu’Alan Ball s’en défende encore bec et ongles). Une fin anémique d’autant plus regrettable que True Blood avait su apporter du sang frais à la fiction fantastique.
Lorsqu’on regarde aujourd’hui les deux ou trois premières saisons, on se dit que True Blood aurait pu prétendre au statut de série-culte ; la baisse de qualité du scénario et la manière dont la série devient peu à peu une caricature d’elle-même l’en ont empêché. True Blood reste toutefois une série qui mérite le détour. Pour son mélange d’horreur, d’ironie et de romance érotique ; pour le message et la critique sociale sous-jacents ; pour son incroyable galerie de personnages ; pour Alexander Skarsgard, excellent dans le rôle du vampire Eric Northman ; pour les séquences spectaculaires et les cliffhangers souvent époustouflants ; enfin pour son esthétique et sa frénésie hallucinante. Une série au sang chaud qui, malgré ses défauts, a de quoi rendre accro les mordus d’histoires de vampires.
True Blood (HBO)
7 saisons – 80 épisodes
Disponible en Blu-Ray et DVD