Il y a 20 ans surgissait sur nos écrans Buffy Summers. L’adolescente tueuse de vampires allait marquer l’histoire de la télévision et l’imaginaire des spectateurs.
C’est quoi, Buffy contre les vampires ? Buffy Summers (Sarah Michelle Gellar) mène une double vie : lycéenne comme les autres en apparence, elle est aussi la Tueuse. A chaque génération, une jeune fille reçoit la mission de traquer et éliminer les créatures infernales et de sauver le monde. Alors qu’elle n’aspire qu’à une vie normale, Buffy endosse pourtant le rôle qui lui est dévolu. Pour accomplir sa mission, elle peut compter sur l’aide de ses amis Willow (Alyson Hannigan)) et Xander (Nicholas Brendon), l’appui de son mentor Giles (Anthony Steward Head) et sur le soutien inattendu d’un vampire en quête de rédemption, Angel (David Boreanaz), avec qui elle va vivre une histoire d’amour tourmentée.
« A chaque génération il y a une Élue : elle seule devra affronter les vampires, les démons et les forces du Mal. Elle s’appelle Buffy. » Cette phrase est devenue emblématique de l’une des séries les plus marquantes de ces 20 dernières années : Buffy The Vampire Slayer (Buffy contre les vampires, en Français).
Avant la série, il y a eu un film. En 1992 sort au cinéma Buffy The Vampire Slayer, écrit et réalisé par Joss Whedon, avec Kristy Swanson et Luke Perry. Le film est un échec cuisant mais 5 ans plus tard, Whedon a l’opportunité de le décliner sous la forme d’une série télévisée. 12 épisodes sont commandés, dans l’unique but de remplir un trou dans la grille de la WB. Diffusé le 10 Mars 1997, le pilote divise : si certains spectateurs adhèrent d’emblée à l’univers de la série, d’autres la jugent puérile voire ridicule… Une chose est sûre : personne ne se doute alors que Buffy va devenir en un rien de temps une série-culte pour des millions d’adolescents.
Pour tout ceux qui ne connaîtraient pas Buffy, résumons grossièrement l’histoire. Buffy Summers est une lycéenne comme les autres – du moins en apparence, car en réalité, elle est la Tueuse. Seule de sa génération, elle chasse et détruit les vampires, démons et autres créatures horrifiques. Ayant quitté Los Angeles suite à un « incident », elle emménage avec sa mère dans la petite ville de Sunnydale, espérant pouvoir laisser derrière elle la lourde charge dont elle a hérité. Manque de chance et nonobstant son nom charmant, Sunnydale est bâtie sur la bouche de l’enfer, ce qui en fait l’ épicentre de l’activité démoniaque et la porte d’entrée privilégiée de toute une engeance infernale. A son grand regret, Buffy va donc devoir reprendre du service.
Mais cette fois, elle n’est pas seule dans sa lutte contre les forces du mal. Elle peut compter sur l’aide du bibliothécaire Rupert Giles, qui se révèle être un « observateur » chargé de la guider dans son combat, et de ses nouveaux amis Willow et Alex. Ensemble, ils forment le scooby-gang, que rejoindront plus tard Cordelia, l’insupportable garce du lycée ; Oz, le loup-garou ; un ancien démon du nom d’Anya ; Dawn, la petite sœur de Buffy ; ou encore Tara, la sorcière et petite amie de Willow. Sans oublier Angel, un vampire âgé de 400 ans doté d’une âme, qui cherche la rédemption, et qui sera le premier amour de Buffy…
Au cours des 7 saisons qui composent la série, ils vont affronter ensemble les multiples menaces qui pèsent sur Sunnydale et, plus largement, sur le monde entier. Des sorcières, des démons, des fantômes, des mutants, des robots, mais surtout des vampires. On pourrait détailler les rebondissements qui jalonnent les 144 épisodes : le combat contre le Maître dans la première saison ou contre Adam, Gloria et le Trio dans les suivantes ; l’apparition de deux autres tueuses (Kendra et Faith) ; l’irruption d’une unité paramilitaire luttant contre les démons ; le chemin de croix d’Angel (vampire doté ou non d’une âme, allié ou ennemi de Buffy, selon les circonstances…) ; les relations ambiguës du scooby-gang avec Spike (James Marsters), sorte de rock star des vampires terriblement charismatique ; ou la bataille finale contre la Force. On pourrait tout aussi bien s’appesantir sur la vie sentimentale de l’héroïne qui vit une histoire d’amour impossible avec Angel, puis une relation destructrice et toute aussi tourmentée avec Spike. Cela n’aurait finalement pas grand intérêt : ces éléments sont évidemment de première importance, mais les fans de la série connaissent déjà toute l’histoire, et les autres nous en voudraient de les spoiler.
Au premier abord, Buffy n’a rien d’exceptionnel. On pourrait même penser que c’est une série relativement médiocre : avec son titre improbable, cette histoire de lycéenne qui tente de mener une vie normale le jour tout en tuant des vampires la nuit, des effets spéciaux grossiers et des monstres à la limite du ridicule, il est facile de se fourvoyer et de conclure que ce n’est rien d’autre qu’une sorte de série Z qui se la joue Beverly Hills avec des vampires… Rien ne serait plus faux ; il faut dépasser cette première impression car avec Buffy, les apparences sont trompeuses.
Dans sa forme et sa construction, la série est extrêmement aboutie. Il y a d’abord un ton, un mélange de genres particulièrement réussi qui créé toute une atmosphère : aux multiples scènes d’action et de combat succèdent des moments d’émotion, et surtout des pointes d’humour bienvenues grâce à des dialogues spirituels et enlevés, volontiers sarcastiques, qui apportent un peu de fraîcheur et de légèreté en démontrant que Buffy sait aussi se moquer d’elle-même.
A partir de là, chaque saison mélange épisodes auto-conclusifs et trame horizontale centrée sur un antagoniste particulier. S’ils sont toujours présents, originaux et bien écrits, les épisodes bouclés se raréfient au fil des saisons ; de plus en plus dense, de plus en plus complexe, le récit transversal présente des ennemis plus redoutables au fur et à mesure que les enjeux augmentent. Au Maître de la première saison vont succéder des personnages toujours plus menaçants – jusqu’au Mal primordial, dans la dernière. Buffy est de toute évidence une série qui gagne en richesse et devient plus mature et plus ambitieuse, notamment grâce à l’inventivité de certains épisodes, parmi les meilleurs de la série (et sans doute de la télévision). On pense au génial épisode musical (Once more with feeling – 6.07) , à la longue et bouleversante scène de The Body (5.16), entièrement muette et tournée caméra à l’épaule, ou encore à l’épisode entièrement muet (Hush – 4.10).
Buffy se distingue aussi par le soin extrême apporté à ses personnages. Il faut aussi souligner une évidence : reprenant la même idée forte que celle déjà développée dans le film, Whedon renverse le paradigme inhérent au genre de l’horreur et de la fiction en général. Il va à l’encontre du stéréotype de la jeune fille victime et sans défense : ici, la blondinette n’est pas pourchassée par les monstres , c’est elle qui les pourchasse et qui leur met une raclée – sans pour autant renoncer à sa féminité. Mieux encore : au lieu de se limiter à l’héroïne, Buffy pose toute une galerie de personnages féminins forts, les hommes étant relégués au second plan . Ils en sont même réduits à suivre l’action initiée par les femmes, qui prennent les décisions. Ils n’en sont pas pour autant moins intéressants, chacun des protagonistes bénéficiant d’une écriture ciselée et d’une richesse qui se dévoile progressivement, selon leur évolution.
Au lieu de se contenter d’enchaîner les créatures surnaturelles et les scènes de baston, Whedon a le bon goût de construire, au fil des épisodes, des personnages nuancés, attachants, et en constant développement. C’est évident dans le cas de Buffy, Angel, Spike ou Willow ; il en va de même avec des personnages secondaires comme Anya, Tara ou Alex. Prenons-le pour exemple : il n’y a rien de commun entre le comique pré-pubère et naïf du début de la saison 1 et l’homme responsable et déterminé de la fin de la série. De même, la Willow un peu godiche s’émancipe, se métamorphose lorsqu’elle s’initie à la sorcellerie et se laisse happer par le Mal avant de redevenir l’alliée de Buffy. Subtilement, progressivement, chacun des personnages finit par se révéler, par trouver sa place et se construire, face aux menaces surnaturelles mais aussi aux épreuves de la vie réelle.
Surtout aux épreuves de la vie réelle. Si, prise au premier degré, Buffy est déjà une très bonne série, divertissante et efficace, elle raconte aussi tout autre chose. Buffy est la Tueuse, mais c’est surtout une fille de seize ans (au début de la série) qui doit affronter la vie de tous les jours, avec ses petites contrariétés et ses drames, ses joies et ses déceptions, quitter le cocon protecteur de l’enfance pour rentrer dans l’age adulte et assumer les responsabilités terrifiantes qui vont avec. Combattre les vampires et les démons devient alors une métaphore : il s’agit moins de lutter contre le mal que d’affronter la vie.
C’est cette double lecture qui fait de Buffy une série à part, et qui explique l’incroyable impact qu’elle a eu sur les adolescents. Les démons, les monstres et les vampires ne sont que la transfigurations de thèmes comme la solitude, le remords, la dépression, la sexualité, la mort, les relations familiales, l’amitié, la trahison… Bref, des représentations des angoisses , des peurs, des épreuves caractéristiques de la transition de l’adolescence à l’âge adulte transposés dans un contexte d’horreur fantastique qui en édulcore la dure réalité. Pour paraphraser Hamlet, il y a plus de choses dans un seul épisode de Buffy que n’en rêve vote philosophie.
Dans un jeu constant de métaphores, la série met ainsi en scène le développement et le parcours initiatique de chaque personnage et, par effet de catharsis et d’identification, du spectateur.
On pourrait remplir des pages et des pages sur Buffy, et la série a d’ailleurs donné lieu à une multitude d’analyses et à toute une littérature universitaire. Nous avons dit l’essentiel, et on vous laisse le loisir de chercher toutes les études disponibles sur internet. Pour en revenir à la série en elle-même, sachez qu’elle a donné lieu à un spin-off centré sur Angel (Angel – 5 saisons), plus adulte et plus sombre, les deux séries ayant fait l’objet de plusieurs crossovers. Et pour être tout à fait complet, on signalera que l’histoire se poursuit au-delà de la saison 7 : Whedon a écrit une suite sous forme de comics, avatar des saisons suivantes, qui reprennent les mêmes éléments et respectent le matériau d’origine en s’inscrivant dans le « Buffyverse », canon construit à la télévision.
Difficile de traduire en mots l’impact qu’a eu Buffy sur toute une génération d’adolescents, et plus largement sur la pop culture. Si elle a exercé une influence évidente sur de nombreuses séries (comme Charmed , Supernatural , Veronica Mars, True Blood ou la méconnue Sweet/Vicious), elle a surtout marqué son public. Jeune ou moins jeune, on peut tous s’identifier à cette héroïne forte et indépendante et / ou à ses acolytes dans leur lutte contre les vampires, métaphore de leur évolution personnelle vers l’âge adulte. Série-culte, phénomène de société, toujours actuelle et sans équivalent, Buffy est devenue, 20 ans après son lancement, un classique incontournable. A redécouvrir, ou à voir d’urgence si ce n’est déjà fait.