Alors que l’on parle de plus en plus d’un retour de Daredevil sur Disney+, on s’est replongé dans la saison 1 diffusée en 2015 sur Netflix.
Nouvelle itération du “Marvel Cinematic Universe” (MCU) sur petit écran, Daredevil est surtout le premier personnage Marvel (Comics cette fois) de premier plan à être adapté en série live sur ce médium depuis Hulk (1978). Délaissant le network ABC, qui s’adresse à un public plutôt familial, c’est sur Netflix que les aventures du justicier aveugle sont diffusées.
Générique
Petit rappel : jusqu’en octobre 2012, les droits du personnage Daredevil étaient entre les mains de la 20th Century Fox, qui donnera lieu au film que tout le monde préfère oublier avec Ben Affleck. Quand Marvel Studios récupère les droits, il est rapidement décidé que le personnage sera développé en télévision et non au cinéma, et Kevin Feige, patron de Marvel Studios, passe le bébé à son homologue de Marvel Télévision, Joseph Loeb.
Autre rappel important : Marvel, ABC et Disney sont un même ensemble, mais dans ce cas précis, c’est sur Netflix et non sur le Network ABC que sera diffusée la série. La première raison à cela est un projet télévisuel comparable à ce que Marvel Studios a fait au cinéma avec les personnages qui ont abouti aux Avengers. En effet, Daredevil est la première série de quatre, avec Jessica Jones, Luke Cage et Iron Fist, qui auront chacun une saison de 13 épisodes, avant d’aboutir à un crossover en mini-série de 8 épisodes sous le titre The Defenders qui réunira les 4 personnages. A la vision de la saison 1 de Daredevil, on peut aussi supposer que l’aspect noir et violent de la série n’était pas nécessairement compatible avec le public de ABC, plus familial. Netflix devient donc la solution idéale : liberté de ton et temps de développement des différents shows.
La série est crée par Drew Goddard, collaborateur de longue date de Joss Whedon (il a travaillé sur Buffy et Angel), qui produira son premier long métrage en tant que réalisateur, Cabin in the woods, mais aussi membre de l’écurie J.J. Abrams (sur Alias et Lost), qui produira son premier scénario tourné au cinéma : Cloverfield. Goddard aurait dû être showrunner Daredevil mais ce dernier a laissé la place. Du coup c’est Steven S. DeKnight qui reprend le flambeau. Si ce dernier est plutôt connu à l’époque pour son travail de showrunner de Spartacus pour Starz, il est aussi un collaborateur de Joss Whedon depuis longtemps, scénariste sur Buffy, puis producteur sur Angel et Dollhouse. Bref, on reste en famille.
Victime d’un accident alors qu’il est enfant, Matt Murdock perd la vue, mais les produits chimiques qui sont responsables de son handicap, lui ont également permi d’avoir ses autres sens super développés. Adulte, il devient avocat et se transforme la nuit en justicier masqué pour défendre le quartier de New-York, Hell’s Kitchen, totalement corrompu et dans lequel les voies normales de la justice ne suffisent pas. La saison de Daredevil diffusée sur Netflix est dès lors une “origin story”, amenant le personnage de Matt Murdock du statut de d’apprenti justicier au héros que les lecteurs du comics connaissent.
Le générique du show est conçu par le studio Elastic, qui a déjà conçu le très élégant générique de True Detective. Celui-ci est fait d’images “coulantes”, d’un rouge sang sur fond sombre, et évoque les symboles importants du show : La justice aveugle, Hell’s Kitchen, New-York, la Religion Catholique et enfin le personnage de Daredevil lui-même. Le tout sur une musique de John Paesano, a qui l’on doit surtout les musique du récent film Le Labyrinthe. Si le générique est de toute beauté, il n’est pas sans rappeler dans son concept celui d’une autre série : Hannibal, très proche. Celui-ci fait son office : mettre en évidence les grands symboles du show, poser une ambiance sombre dès le départ, et surtout en crescendo jusqu’au personnage iconique, ce qui sera un peu le rythme de la saison. Notons tout de même que, si la série est diffusée sur Netflix, sous l’estampille “Netflix Original”, elle reste néanmoins une production ABC Studios.
Il faut dire que le personnage de Daredevil, dans les comics, est sans doute le symbole d’un certain niveau d’histoire dans l’univers Marvel. En effet, les histoires des héros Marvel peuvent aller du niveau très “pulp”, avec des héros sans réel pouvoirs, des méchants qui sont avant tout des criminels, là encore sans réel super-pouvoir, jusqu’à des aventures “cosmiques” proches du space opera. Daredevil est sans doute le personnage qui symbolise le mieux ce niveau “polar noir” des univers Marvel. Mais attention, tout cela reste permeable aux autres créations du Studio, et dès le départ de la série, il est fait mention de manière détournée à la “Bataille de New-York”, appelée ici “l’incident”, qui est relatée dans le film Avengers, et sert de point de départ (de loin) à l’intrigue qui sera développée dans Daredevil.
Moteur …
Au cœur du show, il y a avant tout une galerie de personnages, à commencer à Matt Murdock/Daredevil, interprété par Charlie Cox. Ce dernier est surtout connu pour ses rôles dans Boardwalk Empire et le film Stardust de Matthew Vaughn. Ce dernier ayant écrit et réalisé X-Men: Au commencement et écrit X-Men: Days of future past, autres adaptations Marvel, juste pour l’anecdote. La performance de Cox dans la série est juste époustouflante. Dès l’ouverture du premier épisode, il nous offre un long monologue, en confession, dans lequel nous comprenons assez vite les complexités du personnage qu’il incarne. Ayant une partition aux multiples registres à jouer, allant de l’avocat dans des scènes qui évoquent plutôt le procedural judiciaire, jusqu’au héro masqué qui en prend plein les dents (et insistons là-dessus, il en prend vraiment plein la gueule dans la série), en passant par le jeune adulte traumatisé par son passé et surtout le rapport à son père, boxeur looser.
Ensuite, il faut évidemment parler de la Némésis de Daredevil, celui qui deviendra sans doute le vilain appelé “Le Caïd” (Kingpin), mais simplement ici sous son nom civil : Wilson Fisk, interprété par Vincent D’Onofrio. L’acteur de 56 ans a une longue carrière derrière lui (et espérons-le, devant), passant entre les mains de réalisateurs tel que Stanley Kubrik, Oliver Stone, Robert Altman ou encore Kathryn Bigelow. La composition de l’acteur sur ce rôle est à la fois surprenante et d’une grande finesse. En effet, construit en image mirroir de celui de Matt Murdock, le personnage de Wilson Fisk est, lui aussi intimement lié au quartier de Hell’s Kitchen, a lui aussi un traumatisme lié au père et à l’enfance, et enfin, poursuit, lui aussi, un rêve de voir son quartier devenir “meilleur”. Il le répétera à plusieurs reprises durant la saison. Alliant des scènes de fragilité, d’émotion, avec des scènes de grande violence, l’écriture du show, et la performance de D’Onofrio donnent un véritable relief à ce méchant, qui dépasse son statut “d’ennemi” pour devenir un personnage à part entière.
Autour de Matt Murdock, on trouvera essentiellement trois personnages qui constituent son univers. Tout d’abord, l’ami de fac et l’associé Foggy Nelson. Interprété par Elden Henson, que l’on a pu voir au cinéma dans Les Petits Champions d’Emilio Estevez et plus récemment dans le dernier volet de Hunger Games. Au départ construit comme un sidekick dans la plus pure tradition du terme, le personnage se développe au fil de la saison pour avoir une partition plus nuancée à jouer sur les dernier épisodes. Néanmoins, il reste le personnage un peu fun et rigolo du show. Le troisième pilier du cabinet “Nelson et Murdock” est la charmante Deborah Ann Woll que l’on a pu voir dans True Blood. Cette dernière incarne un personnage au passé trouble, qui ne sera jamais révélé (dans le comics c’est une ancienne droguée qui a fait des films porno), et se trouve au cœur de l’intrigue de départ de la série. Ce personnage, toujours sur la brèche, ayant trouvé en Murdock et Nelson ce qui se rapproche le plus d’une famille pour elle, est sans doute un des meilleurs représentant de ce que le show est réellement : Ni noir, ni blanc, mais fait de tons de gris.
Sans faire le détail exhaustif de tous les personnages de la série, il faut tout de même noter les performances de Rosario Dawson, en “infirmière de nuit”, Vondie Curtis-Hall, en journaliste d’investigation en fin de carrière, ou encore Toby Leonard Moore, interprétant Wesley, l’assistant et ami de Wilson Fisk, qui offre un jeu qui évoque un peu celui de Victor Garbar dans Alias. Si la série de manque pas d’action, il faut bien dire que c’est sans doute, et avant tout, une série de personnages. Pratiquement tout les personnages prennent le temps d’être développés, que l’on comprenne leur histoire, leurs motivations, leurs blessures. C’est sans doute un des atouts majeurs de Daredevil par rapport à tout les autres shows de super héros confondus, et un des moteurs du projet global avec Netflix. On prend le temps de développer chaque héros séparément, on évite d’en faire simplement des personnages “fonctionnels”, y comprit pour les second rôles et les vilains, pour aboutir à un crossover dans lequel chaque personnage à une réelle profondeur.
Action !
L’univers dépeint dans Daredevil est sombre dans tous les sens du terme. Ville corrompue jusqu’à l’os, nombreuses ambiances de nuit, décors gris voire de couleur pisse, tout est fait pour nous plonger dans ce niveau “polar noir” des histoires Marvel. Cela commence par le premier “costume” de Daredevil (qui ne porte pas encore ce nom à ce stade), noir intégral surmonté d’un foulard qui descend jusqu’au bas du nez. Ce costume est inspiré de celui du même personnage dans le comics “The man without fear” de Franck Miller (un des auteurs qui a apporté beaucoup au personnage de Daredevil). D’une manière presque perverse, la lumière dans les décors, mais aussi dans le rapport au “clair” est plutôt à chercher du côté de Wilson Fisk, qui occupe un magnifique penthouse à la salle à mangé entouré de verre et qui trouve la paix face à un tableau fait de tons de blanc.
La mise en scène des épisodes est franchement réussie. Il faut particulièrement noter la scène finale de l’épisode 2, “Cut Man”, long plan séquence éprouvant, d’action, tourné dans un couloir, shooté par Phil Abraham et Matt Lloyd. Cette séquence est sans doute parmi les morceaux de bravoure les plus réussis du show, qui n’en manque pas. Jouant sur de nombreux registres et inspirations. Combats sous la pluie, armes à feu, armes blanches, explosions. Tout y est. Dans la façon dont Daredevil affronte ses ennemis, on retrouvera des inspirations d’arts martiaux, mais aussi de catch ou plus simplement de combat de rue. Et enfin, rappelons-le, Daredevil n’est pas un super-héros invincible. Il prend des coups, beaucoup. Il y aura notamment une scène dans laquelle il sera fera presque mettre à mort, éprouvante, découpée tout au long d’un épisode. Evidemment, tout cela conduira à la séquence finale, qui se veut iconique, mais qui, finalement, n’est pas ce qu’il y a de plus impressionnant dans le show.
Mais l’essentiel du show tourne avant tout sur les personnages, et le temps est pris pour que les partitions de chacun puissent être développées jusqu’au bout. Ces scènes ne sont certes pas les plus impressionnantes en termes de mise en image, mais contribuent, voire constituent le coeur, de cette première saison. Les scènes d’église avec Matt Murdock, les scènes intimes de Wilson Fisk, les différents “mafieux” de Hell’s Kitchen, tout est construit pour donner de la profondeur à cet univers qui tient des Affranchis ou de Taxi Driver. AU fil de ces 13 épisodes, on sera donc témoins de la transformation de deux personnages : Matt Murdock va devenir Daredevil et Wilson Fisk, lui, deviendra Le Caïd, même si cet alias ne sera jamais utilisé dans la série.
Daredevil est donc une série de grande qualité. L’environnement des histoires de Daredevil, dans les comics, permet d’aller explorer des terrains qui n’avaient pas encore été exploré par Marvel. Un univers sombre, réaliste et violent. Mais si les univers sont proches, le traitement des personnages est totalement différent. En effet, Netflix permet non seulement d’avoir un traitement beaucoup plus adulte, mais aussi beaucoup plus en profondeur, l’ensemble étant tourné d’une traite, mais prévu pour être diffusé d’une traite, avec la possibilité que des spectateurs regardent tout d’une traite.