Cette année, le festival Itinéraire Baroque nous a proposé un parcours non seulement à travers les magnifiques paysages du Périgord Vert, mais aussi à travers les époques, avec un répertoire varié mélangeant du Vivaldi, Mozart, Bach… Le cadre pittoresque et les églises typiquement périgourdines qui offraient une très belle acoustique ont contribué à la magie qui a opéré tout au long de cette quinzième édition. Retour sur les principaux temps forts du festival.
- Le baroque ou l’art du contraste
Etymologiquement, le baroque signifie « perle irrégulière ». De fait, cette musique pleine d’inégalités, de « contrepoints » et d’articulations, a été pendant un temps peu populaire, avant d’être redécouverte au XIXe siècle. Les instruments utilisés diffèrent de ceux du classique : certains d’entre eux sont propres à ce style musical (par exemple la vielle à roue, la viole de gambe…) et ont des potentialités uniques. Le violon baroque, par exemple, possède des cordes en boyau, et non en métal, ce qui lui donne une sonorité plus douce que les instruments classiques.
La programmation du festival a en quelque sorte suivi ce thème du « contraste », en proposant un spectacle de la Commedia Dell’Arte, des chants de cour profanes en français ainsi qu’une adaptation hollandaise des œuvres de Dowland.
- Une Yetzabel Arias irréprochable
Le public était au rendez-vous dès le premier soir dans la charmante église du village de Champagne pour le concert d’ouverture, avec au programme des Cantates de Bach. La belle cubaine nous a littéralement subjugués par sa voix techniquement parfaite et caractérisée par une pureté incroyable. « Cela fait 15 ans que ça dure, et on ne s’en lasse pas », me confie un des spectateurs. Sa puissance vocale et sa capacité à transposer sa propre sensibilité sur l’œuvre, nous ont d’autant plus permis d’apprécier l’aspect esthétique de la cantate. L’ultime « Alleluia », exécuté à merveille, nous a offert un véritable feu d’artifice final. De plus, le timbre tout particulier de la chanteuse se mariait très bien avec le hautbois : un échange musical s’est mis en place, et la légèreté cet « instrument obbligato » semblait souligner la voix exceptionnelle de Yetzabel.
La soprano a donc atteint son objectif, qui était, selon ses propres mots « d’ensoleiller le cœur des spectateurs par la musique, et de consacrer une attention particulière aux émotions transmises ». Concrètement, par sa gestuelle sincère et son timbre maitrisé, Yetzabel nous a fait oublier qu’elle jouait un rôle lors de ses déclamations.
- Ton Koopman au meilleur de sa forme
Ton Koopman semble être un homme agréable et joyeux par nature. Mais lorsqu’il prend sa baguette et commence à diriger, il se métamorphose en un prodige passionné et expressif. Avec un style extrêmement vif, il implique tout son corps pour accentuer les nuances, et met toute son énergie au service de la beauté des sons. Qui n’a pas retenu son souffle lors des multiples crescendo ? Qui n’a pas été transporté par l’alternance, si bien mise en valeur, entre le staccato des cordes et la fluidité des vents ? Ton parvient, avec une habileté fascinante, à combiner la direction de l’orchestre et l’accompagnement au clavecin.
L’apothéose était atteinte lors du majestueux concert de clôture du festival, où se succédaient les versions de « La messe de Nelson » de Haydn et Mozart. Un dialogue s’est alors établi entre le chœur et l’orchestre, toujours coordonné par Ton Koopman. La tension était à son comble lors des passages au violon de la talentueuse Catherine Manson (premier violon), accompagnée par Marc Cooper et David Rabinovich (violons 2). Au sein du cœur, les voix ont commencé par se répondre, puis se juxtaposer, pour enfin s’unir dans une harmonie d’ensemble. La messe de Mozart, plus dramatique mais tout aussi riche, a peut être laissé plus de place à la prise de parole des solistes.
- L’improvisation comme thème clé du festival
Les compositeurs de la musique baroque, contrairement au classique, ne préconisaient pas le suivi de règles très strictes et octroyaient une certaine marge de manœuvre aux artistes : nombreux étaient ceux qui laissaient volontairement des mesures vides pour inciter le chanteur à improviser. Il s’agissait donc de combiner le côté rationnel et « l’intuition émotionnelle ». Certes, il existe un cadre relativement fixe pour l’improvisation (le respect des gammes notamment) mais l’artiste possède une liberté d’interprétation du texte. Il peut choisir de faire des vocalises importantes ou au contraire ne pas prendre trop de risques. C’est pour cela que chaque version d’une même œuvre est différente : il est presque impossible d’anticiper l’improvisation, et l’orchestre doit s’adapter sur le moment. Pour cela, il est primordial d’avoir une bonne visibilité et une interaction permanente entre le chanteur et le chef d’orchestre.
L’ensemble Vivante, dont font partie les deux chanteurs Erik Leidal et Tore Tom Denys, a parfaitement illustré cette idée : sur « Soave Libertate » de Monteverdi, les deux ténors se sont livrés à un véritable jeu d’acteurs, en modifiant le timbre de voix, les intonations, et même le tempo en fonction des paroles. Erik Leidal m’a d’ailleurs expliqué qu’il étudie toujours la sémantique de ce qu’il chante, pour mieux comprendre le registre à adopter : c’est pour cela que la majorité des chanteurs baroques parlent l’allemand et l’italien – les langues fréquemment utilisées par les compositeurs de l’époque. Si la mélodie est bien la base de la musique baroque, le contenu occupe une place majeure : certains textes sont des plaintes et appellent un ton pathétique, d’autres portent un caractère religieux, et d’autres même politique, comme c’est le cas dans « D’un gouvernement parfait » de Camphuysen interprété par l’ensemble « Camerata Trajectina ».
- Des projets pédagogiques : la nouvelle génération prend le relai
Peut être le seul bémol que l’on pouvait noter lors de ce festival était une moyenne d’âge relativement élevée. L’enjeu est donc aujourd’hui de sensibiliser la jeunesse à la musique baroque afin d’assurer sa pérennité ; c’est précisément ce qu’a voulu faire Francis Voise, coordinateur du festival. En effet, depuis quelques années, il a développé un projet pédagogique qui s’inscrit dans l’échelle locale et qui permet une éducation musicale des élèves du Périgord. Subventionné par les collectivités territoriales, ce projet connaît de plus en plus de succès, notamment avec la création du « jeune chœur de Dordogne » qui est en partenariat avec le festival depuis 2007.
L’illustre violoniste Catherine Manson a également pris l’initiative de créer un projet de ce genre : ayant suivi un parcours atypique et commencé à jouer dans un orchestre à l’âge de 17 ans, Catherine a voulu transmettre sa passion pour la musique aux jeunes. Elle organise chaque année une formation d’été qu’elle a appelé « MusicWorks » pour les jeunes musiciens de différents niveaux.
Jeunes amateurs de musique baroque, ou simplement vous, qui avez l’envie de découvrir un nouveau genre musical, rendez vous l’année prochaine l’Itinéraire Baroque ou sur le site officiel du festival pour des moments inoubliables !