Les séries mettent en scène des femmes toujours moins stéréotypées et plus diversifiées. L’évolution, qui s’est accentuée ces dernières années, traduit et accompagne les changements vécus dans la société.
Maquillée et parfaitement coiffée, une femme au foyer accueille son mari lorsqu’il rentre à la maison : une scène classique surgie du passé, que l’on a vue des milliers de fois. Aujourd’hui désuète et stéréotypée, elle représentait pourtant une réalité propre à une certaine époque. Mais la situation des femmes a changé, de même que leur représentation dans la fiction, y compris télévisée. Et pour cause : si elles restent d’abord un divertissement, les séries sont aussi un miroir de notre société, dont elle suivent et accompagnent les changements et bouleversements. L’image des femmes à l’écran a évolué par à-coups : les séries ont souvent reproduit les stéréotypes communément admis ou s’en sont au contraire éloignées, ont répercuté à l’écran les avancées sociales, comme par exemple l’accès des femmes au monde du travail ou la libération sexuelle.
Les femmes ont toujours été présentes sur le petit écran et la question de leur représentation ne s’est jamais vraiment posée en terme de quantité. En revanche, les hommes ont longtemps bénéficié de rôles plus variés et plus complexes, quand les femmes restaient prisonnières de celui de la ménagère dépendante financièrement, se consacrant à ses enfants et son mari. Ainsi, dans les années 1950, I Love Lucy raconte la vie d’une femme au foyer rêvant d’une carrière artistique, contre l’avis de son époux, et dont toutes les tentatives d’émancipation provoquent gags et catastrophes. Dans Ma Sorcière bien-aimée, Samantha met souvent ses pouvoirs à profit pour faciliter la carrière de Jean-Pierre, son mari.
Les séries ne font alors que reproduire l’image socialement admise de la femme au foyer, heureuse et épanouie, garante de l’équilibre familial. De la même manière, les scénaristes vont s’emparer de la présence toujours plus importante des femmes sur le marché du travail pour créer un nouveau type de personnages : la femme active, qui concilie souvent vie familiale et professionnelle. Dans un nouvel environnement, sortis de leur cuisine, les personnages féminins se diversifient et apparaissent dans d’autres registres que les sitcoms ou séries familiales : séries d’action (Drôles de dames, Chapeau melon et bottes de cuir), policières ou de science-fiction (notamment dans Star Trek, comme toujours progressiste ; jusqu’à Stargate SG1, Battlestar Galactica ou Dark Matter pour des exemples plus récents, jusqu’à la dernière incarnation du Doctor Who sous les traits de Jodie Whittaker).
L’exemple des séries policières est particulièrement intéressant, car il illustre bien l’évolution des rôles féminins. Longtemps dans l’ombre du héros (Rick Hunter ou Hooker), les femmes deviennent des héroïnes à part entière, qui font jeu égal avec leurs homologues masculins (Clair de Lune, L’amour du risque ou Bones et Castle plus récemment) , puis occupent à elles seules les premiers rôles (en vrac : Cagney et Lacey, Murphy Brown, Julie Lescaut, Quai n°1, Femmes de Loi, Une femme d’honneur, Cold Case, The Closer , Rizzoli & Isles ou encore les magnifiques héroïnes de The Fall ou de Jordskott).
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Les séries policières ayant toujours été un genre extrêmement populaire et sur-représenté, il n’est guère étonnant d’y retrouver ces nouvelles héroïnes. Elles apparaissent aussi dans d’autres domaines professionnels. D’abord dans les séries médicales : souvent chorales, les histoires permettent d’introduire des personnages féminins ; d’abord au second plan (Chicago Hope), les femmes prennent de l’importance dans un récit suivant plusieurs personnages (Urgences) ou en deviennent les protagonistes principales (Docteur Quinn, femme médecin ou évidemment Grey’s Anatomy).
Dans le domaine du droit, Ally McBeal a marqué un tournant, avec son héroïne présentée uniquement dans un cadre professionnel ; citons aussi The Good Wife, où le personnage d’Alicia Florrick voit sa vie bouleversée lorsque son mari politicien, pour qui elle a abandonné sa carrière d’avocate, est incarcéré pour corruption (en plus de lui avoir été infidèle) ; elle tente alors de se reconstruire à travers sa carrière. Évolution récente, les femmes incarnent aussi des scientifiques (Les Experts, The Big bang theory) et occupent des postes de pouvoir en politique – de Commander in chief à Madam Secretary, en passant par Les hommes de l’ombre, Borgen ou Baron Noir. En attendant la dernière saison de House of cards, avec Claire Underwood succédant à son mari dans le bureau ovale.
Pour autant, les femmes au foyer n’ont pas entièrement disparu des séries. Mais alors qu’elles se sont longtemps satisfaites de leur rôle, elles ne sont plus aussi épanouies. C’est par exemple le cas des héroïnes de Desperate Houseviwes : Gabrielle est un ex-top model frustrée par sa petite vie de ménagère, Susan a divorcé et rencontre des difficultés financières, le perfectionnisme de Bree frôle la névrose, et la série s’ouvre sur le suicide de leur amie Mary Alice. Quant à Lynette, elle peine à concilier travail et vie de famille. Des femmes au foyer désespérées qui entretiennent l’image de l’épouse ou la mère comblée mais le public n’est pas dupe : derrière le sourire et la petite vie en apparence parfaite, elles cachent leur mal-être et leur souffrance.
En appréhendant ses héroïnes dans un autre environnement que celui du foyer, les fictions abordent du reste toutes le problématiques engendrées par cette nouvelle situation. Outre la difficulté de concilier vie professionnelle et familiale et l’équilibre du foyer (Roseanne, Candice Renoir), se pose aussi la question de la redéfinition des rôles masculins et féminins (Madame est servie) et de la manière dont les hommes vivent ce nouveau paradigme (C’est un des sujets principaux de Mad Men, dont l’action se déroule dans les années 1960).
Avec la multiplication des premiers rôles féminins se dessine une nouvelle dynamique entre les héroïnes. Si les scénaristes ont beaucoup utilisé le thème de la rivalité féminine comme élément constitutif de l’histoire (par exemple dans la plupart des soap opera, avec des crêpages de chignons épiques comme dans Dynasty), ils s’appuient désormais sur les thèmes de l’amitié et de la solidarité. Une approche qui donne naissance à un nouveau type de séries mettant en scène une bande de copines. Pionnière du genre, la mythique The Golden Girls montre quatre femmes (et en plus, des femmes du troisième âge) qui partagent des confidences sur leur problèmes du quotidien. Plus tard, Grace & Frankie enfoncera le clou, avec deux amies septuagénaires divorcées, qui gagnent leur vie en… vendant des sex-toys dans les maisons de retraite !
Le sexe, justement, est l’autre vecteur principal de la libération des femmes – dans la réalité comme à l’écran, où une fois encore les fictions ont reflété l’évolution des mœurs dans les années 1960 et 1970. C’est ce que montre une série comme Masters of Sex, qui retrace les recherches d’un couple de scientifiques sur la sexualité et le plaisir, tant masculin que féminin. Les femmes ne sont plus forcément les gardiennes de la famille traditionnelle : elles divorcent (One day at a time, Girlfriends’ guide to divorce) et vivent librement leur sexualité, comme Ruth Fisher (Six Feet Under) qui s’épanouit après la mort de son mari, notamment avec un amant plus jeune qu’elle.
Mais quand on parle de sexe, la série la plus célèbre reste la bien nommée Sex & The City, avec ses quatre héroïnes abordant sans détour leurs vies amoureuses tumultueuses et leur sexualité débridée, sans tabou ni complexe. Sex & The City a marqué un tournant, en donnant un point de vue féminin cru et explicite sur la sexualité, et elle a ouvert la voie à une série comme Girls, par exemple.
Dans le même temps, un autre tabou a été levé : celui de l’homosexualité, avec des personnages lesbiens ou bisexuels. Avec Ellen de Generes dans le rôle-titre, Ellen a été la première série à mettre en scène une héroïne ouvertement lesbienne ; ont suivi entre autres des personnages comme Kerry Weather (Urgences), Callie et Arizona (Grey’s Anatomy), Willow et Tara (Buffy.) Et on ne peut évidemment manquer de citer la série The L-Word, qui suit les aventures sentimentales et sexuelles d’un groupe de femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres ; ou le personnage de Mort / Maura dans Transparent, héroïne transsexuelle en pleine transition.
En quelques décennies, les séries ont explosé les codes de la représentation des femmes. Pour autant, il convient de nuancer le propos : les scénaristes naviguent sans cesse entre progressisme et perpétuation des stéréotypes, même dans des séries apparemment novatrices. Dans Drôles de Dames, par exemple, les trois expertes en arts martiaux se sortent seules de situations périlleuses, mais elles sont aux ordres du mystérieux Charlie et représentent tout de même une caricature de fantasme masculin. Si elle cherche à se réaliser à travers sa carrière, Ally McBeal continue de renvoyer l’image de la femme vulnérable en quête du Prince Charmant. Une caractéristique que l’on retrouve aussi dans une série comme Grey’s Anatomy, moins focalisée sur la médecine que sur les relations amoureuses des héros et surtout des héroïnes. Toute libérées qu’elles soient, les filles de Sex & The City cherchent chacune leur Mr Big, et parlent bien plus des hommes que de leur travail. Dans Bones ou Castle, les héroïnes finissent en couple avec leur collègue.
Entre avancées significatives et résurgences sexistes, l’image des femmes dans les séries progresse donc par à-coups – tout comme elle le fait dans la vie réelle. Néanmoins, les petites transgressions et les inflexions par apport aux stéréotypes ont donné une impulsion et ouvert la voie à de nouvelles figures féminines : des super-héroïnes féministes, des anti-héroïnes sulfureuses et ambiguës, et des jeunes femmes au centre de problématiques quotidiennes et actuelles. Autant de personnages qui relayent les grandes débats féministes contemporains, et que nous découvrirons dans la seconde partie.