Lundi 18 mars, la ministre de l’Education Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a donné un entretien au Monde, suite à l’annonce de la mise en place d’un nouveau dispositif d’égalité des chances, de la classe de troisième jusqu’au baccalauréat. La ministre y affirme notamment que « l’accès à l’élite ne doit plus être la chasse gardée des milieux privilégiés. »
Les « parcours d’excellence » que la ministre appelle de ses vœux viendront compléter les «Cordées de la réussite», créées en 2008. Ils seront mis en place dès la rentrée 2016 dans 352 collèges REP+ (Réseaux d’Education prioritaires), et concerneront environ 8 000 jeunes jusqu’au baccalauréat. Les volontaires des parcours d’excellence auront la possibilité de travailler en groupes d’une dizaine, avec un tuteur. Des sorties culturelles, des cours de culture générale, des visites de lieux de formation et des rencontres avec des étudiants seront également au programme. La préparation du dispositif a été confiée à Pierre Mathiot, nommé pour l’occasion délégué interministériel aux «parcours d’excellence». Plusieurs initiatives pour l’égalité des chances dans les études ont déjà vu le jour ces dernières années et les grandes écoles ont déjà tenté de « démocratiser l’accès à l’élite« , comme le préconise Mme Vallaud-Belkacem dans les pages du Monde. Retour sur quelques expériences.
Des réussites…
La prépa « Egalité des chances » de l’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille, par exemple, est née en 2009, sur les bases d’un constat : « le manque de diversité sociale dans les médias et dans les écoles de journalisme« , selon Rachel Bertout, la responsable actuelle de la formation. Elle recrute sur dossier une vingtaine d’étudiants boursiers tous les ans.
Abdel faisait partie de la promo 2014/2015 de cette prépa. Il raconte qu’il a postulé après avoir trouvé des informations sur Internet. Il a préparé son dossier puis a été sélectionné suite à un oral. Il le dit clairement : « Si je n’avais pas eu la prépa Egalité des chances, je n’aurais pas passé les concours. » Face à son souhait d’orientation, ses parents se sont d’abord montrés réticents car pour eux, le métier de journaliste, ce n’était pas « l’idéal« . « Et il n’y avait pas de journalistes dans ma famille« , poursuit-il. Mais une fois qu’il a été sélectionné pour la prépa Egalité des chances, ses proches l’ont totalement soutenu. Son principal problème était financier : passer les concours représente déjà un budget important (environ 1500 euros). Auquel s’ajoutait le manque de « réseau ». Il a pu faire la rencontre d’un référent journaliste, qui lui donnait des cours d’anglais tous les mercredis et lui a apporté une « aide précieuse » dans le rattrapage de l’actualité. Il qualifie de « magnifique » son expérience sur le plan humain au cours de l’année scolaire.
Jean-Christophe Leforestier est conseiller pédagogique de la Classe préparatoire intégrée pour l’accès au concours externe de l’ENA (CP’ENA), qui existe depuis 2009 également et vise à préparer des étudiants ou des demandeurs d’emploi issus de milieux sociaux modestes ou défavorisés au concours externe de l’ENA. Il souhaiterait quant à lui en finir avec une « lecture élitiste de la société » où la reproduction sociale est à l’oeuvre et où ce sont « toujours les mêmes » qui accèdent à la fonction publique.
Cinq ans après, quels sont les résultats obtenus ? Peut-on vraiment parler de diversification des élites ? M. Leforestier donne l’exemple de quatre jeunes entrés à l’ENA l’an dernier : selon lui, ces personnes n’en seraient pas arrivées là sans la prépa. Du côté de la prépa Egalité des chances de l’ESJ, au moins 70 % des étudiants intègrent une école de journalisme reconnue chaque année, et 85 % trouvent un emploi à la sortie de ces écoles.
… encore trop rares
Ces réussites sont pourtant à relativiser. M. Leforestier pense qu’il existe en effet une « marge de progression » : il serait bénéfique de créer d’autres classes préparatoires de ce type, à plus grande échelle, et de renforcer le dispositif. Un point de vue que partage Mme Bertout. Il faudrait selon elle diffuser le modèle sur tout le territoire national, mais « pour l’heure, les moyens dont nous disposons ne permettent pas d’élargir la prépa« , regrette-t-elle. Abdel, lui, proposerait de développer le même concept que la Prépa Egalité des chances de l’ESJ pour d’autres écoles, comme Sciences Po, afin d’accueillir les lycéens qui ne peuvent se permettre de payer une prépa payante. Il y a donc encore des progrès à faire. Mme Vallaud-Belkacem, dans l’entretien, dénonce ainsi « l’élitisme dynastique, mâtiné de trop rares réussites d’enfants du peuple qui nous donnent bonne conscience mais ne changent rien aux dysfonctionnements de l’école (…) ce que Ferdinand Buisson appelait « les exceptions consolantes ». »
Mais il s’agit aussi de travailler sur les représentations que les gens ont des élites. Rachel Bertout explique qu’elle a déjà remarqué un phénomène d’autocensure chez les jeunes issus de milieux modestes : ils ont souvent l’impression de ne pas avoir la « légitimité« . Les étudiants se mettent eux-mêmes des freins, et renoncent à des études qu’ils pensent inaccessibles. Elle déplore que davantage d’étudiants venus de quartiers dits « difficiles » ne candidatent pas, et évoque une nouvelle stratégie pour toucher plus largement ce public des quartiers prioritaires. Ce qu’il manque actuellement, c’est un « travail sur la vision du milieu du journalisme, qui paraît élitiste« , ajoute-t-elle. Tout comme Mme Bertout, M. Leforestier souhaiterait lever la barrière de l’autocensure, et travailler sur la représentation que les élèves se font de la fonction publique, grâce à une meilleure sensibilisation.
La ministre de l’Education nationale évoque elle aussi ce « fatalisme scolaire » au cours de l’entretien paru dans Le Monde. « Paradoxalement, alors qu’on pourrait penser que l’accès des élèves à l’information – via Internet – contribue à élargir leurs horizons, j’ai le sentiment de l’effet inverse, avec pour corollaire une rancœur contre le système qui doit nous alerter. « Cette voie-là n’est pas faite pour moi » : on l’entend dans trop de bouches. » C’est notamment pour se battre contre ce fatalisme que les « parcours d’excellence » seront mis en place dès septembre 2016.