L’élection de Petro Porochenko aux dernières élections présidentielles en Ukraine laisse entrevoir une nouvelle palette de possibilités pour un pays en proie au déchirement. L’Ukraine, ou du moins ce qu’il en reste encore, est face à un tournant majeur de son existence. Sommes-nous à la fin de son histoire ou est-ce le début d’une nouvelle ère plus apaisée ?
Il y a quelques mois, de nombreux médias avaient posé cette question : quel avenir pour l’Ukraine ? Aujourd’hui, après l’élection de Petro Porochenko, la problématique peut revenir sur le devant de la scène. Après sa victoire dès le premier tour aux élections présidentielles avec un peu plus de 57% de voix, les dés jetés par le milliardaire dans la politique intérieure ukrainienne vont être déterminants pour le futur du pays.
Qui est Petro Porochenko ?
Se défendant d’être un oligarque, Petro Porochenko a pourtant un parcours similaire à tant d’autres anciens de l’administration Ianoukovytch. Surnommé « roi du chocolat » pour sa fortune faite dans le secteur de la confiserie, le milliardaire est la septième fortune du pays. Sorte de Willy Wonka à l’ukrainienne, ce fils de chef d’usine sous l’ère soviétique a été élevé dans une famille russophone à Odessa. Encore étudiant en relations internationales et en droit quand il se lance dans le cacao, il va bientôt installer ses usines à travers l’Ukraine, la Lituanie, la Hongrie ou encore dans le sud-ouest de la Russie. D’ailleurs, sa marque Roshen figure parmi les 20 plus grands fabricants de chocolat au monde, selon Slate.fr. Ainsi, Vladimir Poutine, dès l’automne 2013, commence par interdire l’importation des confiseries de Porochenko en Russie, et même par fermer une usine à Lipetsk, en réponse à la dissidence du milliardaire.
Néanmoins, une partie de la fortune du nouveau président ukrainien reste obscure. Entre investissements dans les chantiers navals ou encore dans l’automobile et la banque, la clarté de ses comptes doit être définie. Certes, ses activités touchent de nombreux secteurs, mais c’est surtout la détention de Channel 5, considérée comme une chaine d’opposition, qui l’a mis sur le devant de la scène. En effet, cette chaine a été déterminante dans l’éviction de l’ancien président Viktor Ianoukovytch.
Des derniers mois violents
Toutefois, il ne faut pas oublier que l’élection de Petro Porochenko s’inscrit dans une histoire difficile pour l’Ukraine, plongée dans une forme de guerre civile. En remontant quelque peu dans le passé, les débuts des événements de Maïdan tiennent principalement dans un refus, celui de Viktor Ianoukovytch de signer les accords d’association avec l’Union Européenne. S’ensuivent des affrontements sur la place centrale de la capitale ukrainienne où barricades et manifestations de grande ampleur se font face, notamment impulsées par le groupe Euromaïdan. Cela aboutit à la destitution du président pro-russe le 22 février 2014 par le parlement ukrainien.
Bien que la destitution ait été annoncée, le bilan est funeste : 82 morts et 622 blessés. Les ministres des affaires étrangères allemand, français et polonais ont déjà entamé la signature d’un nouvel accord de sortie de crise. Mais le résultat n’est pas concluant. Le soir même du 22 février, Ioulia Timochenko, icône blonde de la Révolution orange, est libérée.
Dès le 27 février, la Russie engage des manœuvres militaires sur le territoire ukrainien, et notamment en Crimée, dont une base russe est située à Sébastopol. Les conséquences n’en sont que plus terribles pour l’unité de l’Ukraine. Après l’organisation d’un référendum illégal par la Russie pour rallier la Crimée à l’Etat russe, la population criméenne vote en masse pour le ralliement à Poutine. L’intervention de la communauté internationale tarde à venir. En effet, malgré ce qui pourrait être considéré en droit international comme un crime d’annexion, la Russie n’est pas condamnée. Il ne faut pas oublier qu’elle est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Ainsi, les sanctions économiques menées contre Vladimir Poutine n’ont pas l’effet attendu. Celui-ci semble insensible à une situation qu’il enjoint à dégrader. Le camp occidental lui même est divisé sur la question. La volonté des Etats-Unis de sanctionner la Russie agace l’Europe, qui elle commerce avec l’Etat russe et dépend de son énergie. Sans oublier que ce dernier n’infléchit pas sur l’est du pays ukrainien en proie à des milices russes, la population étant elle même russophone. La situation semble bloquée, la présidence intérimaire d’Oleksandr Tourtchynov et le gouvernement dirigé par Arseni Iatseniouk n’ayant pas réussi à recréer une unité dans le pays. En effet, les séparatistes russophones continuent d’alimenter les tensions, en ayant notamment retenu des observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) dans la ville de Sloviantsk.
De plus, plusieurs autres provinces ukrainiennes à forte population russophone vivent des soulèvements similaires à celui de Crimée. Ils organisent eux aussi à leur tour des référendums d’autodétermination afin de se séparer du gouvernement ukrainien jusqu’alors en place.
Comme le montre la carte, voici à quoi ressemblerait l’Ukraine si celle-ci vient à être divisée en fonction des langues parlées. Le Nord-Ouest serait rattaché à L’Ukraine et le Sud-Est à la Russie.
Autant de problématiques auxquelles doit faire face le « roi du chocolat », en qui une grande partie de la population ukrainienne tient la majorité de ses espoirs.
Petro Porochenko, sera-t-il à la hauteur ?
Reniant une quelconque liaison à une oligarchie ukrainienne, la carrière de Porochenko est basée sur cette navigation incessante entre activités économiques et politiques. Dès 1998, il est député du Parti social-démocrate unifié qui soutient le président Leonid Loutchma. Deux ans plus tard, il crée son propre mouvement Solidarité. Il rejoint par la suite Viktor Iouchtchenko, avec qui il participe à la Révolution orange en 2004. Marqué par plusieurs passages au gouvernement ou au Parlement ukrainien, il contribue aussi à la fondation du parti des régions de l’ancien président pro-Russe, Viktor Ianoukovytch quelques années auparavant.
Avec le boxeur Vitli Klitschko, il devient pourtant une des voix de Maïdan. Tous deux sont d’ailleurs reçus à l’Elysée par François Hollande début mars. Néanmoins, la négociation d’un accord controversé quelques jours plus tard débouche sur le retrait du boxeur. Il permet alors à Protochenko de bénéficier d’un électorat plus large. Et c’est ce qui semble être arrivé dimanche dernier. En effet, en bénéficiant d’une majorité absolue dès le premier tour, il confirme son statut de leader. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une grande partie de l’est du pays n’a pas pu voter, la plupart des bureaux de vote étant fermés.
C’est donc cette partie du pays que Porochenko devra reconquérir s’il veut asseoir son autorité sur un Etat ukrainien aujourd’hui divisé. En effet, les séparatistes nient encore toute reconnaissance de la nouvelle présidence. Mais c’est surtout l’établissement d’une relation bilatérale entre l’Ukraine et la Russie qui devra être établie. Sur ce dernier point, l’Etat russe est prêt « au dialogue », selon le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Ce dernier a même appelé à mettre fin à l’opération « anti-terroriste » dans l’est du territoire ukrainien. Même si, en cas de toute esclandre, Porochenko a indiqué qu’il ne laisserait pas l’est du pays se transformer « en Somalie ».
En outre, en proeuropéen, le nouveau président ukrainien se tourne aussi vers l’Union Européenne pour décider de l’avenir de l’Ukraine. Bien que cette dernière ne soit pas prête à entrer au sein de la communauté des 28, l’objectif du milliardaire est clair. Le pays doit sortir de la violence et surtout doit s’orienter vers un futur économiquement et socialement viable.
Entre Russie et Europe, l’avenir de l’Ukraine n’est pourtant pas certain. En proie aux divisions, plusieurs scénarios de scissions ont pu être imaginés. Ceux-ci varient en fonction de l’étendue de la zone Est qui se rallierait à l’Etat russe.
Ce qui est sûr, c’est que face à la division au sein même de la population, la légitimité de Porochenko n’est pas entièrement acquise. Là commence le véritable combat et pas sûr qu’un petit chocolat suffira…
Photo : Protestation enflammée dans la rue Hrouchevski, le 22 janvier 2014
Autre photo : Palais de l’Elysée, Paris (VIIIe), 7 mars 2014. De gauche à droite : Vitali Klitschko, François Hollande, Petro Porochenko et Bernard-Henri Levy. (AFP/Alain Jocard.)
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