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En Roumanie, peuple à terre et loin d’Europe

La chute du mur de Berlin a ébranlé toute l’Europe. L’est communiste ne s’en remettra pas. En Roumanie, le régime dictatorial de Nicolae Ceausescu a pris fin dans le sang et les larmes en 1989. Le nouveau départ est difficile et l’Union Européenne ne semble pas entendre les appels du pieds du peuple roumain depuis plus de 30 ans. Décryptage.

Réécriture d’un malaise.

Les images de l’exécution du dictateur et sa femme sont encore ancrées dans les mémoires. Un traumatisme qui hante ; rongeant les esprits de ceux qui essayent, encore aujourd’hui, de tourner la page. Une nouvelle histoire devait s’écrire, le malaise d’une révolution s’est installé au cœur des stigmates du pays.

Le Parti Communiste n’est plus, mais toutes les forces au pouvoir en sont l’héritage. Des déclinaisons nées du système passé. Le parti social-démocrate en est le plus fort témoignage. Les mêmes bases d’il y a 30 ans. Les mêmes bases que rejetaient le peuple roumain dans la rue la veille de cette révolution.

Le chemin de la démocratie est pénible ; il l’a été d’autant plus pour ce pays, se libérant en dernier des chaînes communistes. Pour preuve : les affaires de corruption condamnant plus d’un millier de politiciens, un détournement de fonds institutionnalisé. Une vague de manifestations sans précédent – depuis la chute du régime communiste sur la place de la Révolution à Bucarest – pour évincer le PSD en 2017 : le parti social-démocrate, monopolisant le pouvoir depuis 1989, ayant modifié certains textes judiciaires assouplissant ainsi la lutte anti-corruption.

Des milliers de roumains ont protesté pour dénoncer la politique du gouvernement social-démocrate en 2017. (Octav Ganea / REUTERS)

Réélu en décembre 2019, le président Klaus Iohannis (PNL, parti national libéral), profondément europhile, se veut incarner la stabilité sans la rigidité, l’histoire assumé d’un pays composite en même temps qu’un retour à l’ordre. La fin d’un récit ?

Europe et espoir.

2007, date d’entrée de la Roumanie au sein de l’Union Européenne. Aujourd’hui, ni euro ni passeport européen accordé dans ce pays. L’Union surveille d’abord, inquiétée par le régime jugé instable et s’appuyant sur les scandales de corruption à répétition pour nourrir sa position. Une surveillance continue – malgré son apparence de mesure transitoire – de ses institutions depuis 13 ans.

L’intégration européenne de la Roumanie se fait pas à pas : en témoigne la présidence du Conseil européen occupée par le Roumanie en 2019. (John THYS / AFP)

Et cette intégration a eu la terrible conséquence – terrible du point de vue roumain – d’une forte migration de la population vers l’ouest. Une perte de près de 4 millions de roumains en l’espace d’une génération, l’équivalent d’un cinquième de la population. La Roumanie est le deuxième pays d’origine des migrants dans le monde, tout juste après la Syrie. En Roumanie, l’intégration est une chance et l’Union Européenne, un espoir. Une très faible minorité de la population est eurosceptique ; un comble lorsqu’on voit son voisin hongrois.

La motivation de ce départ ? La recherche d’un travail mieux rémunéré. Car, avec un salaire moyen équivalent à 700 euros et une retraite à moins de 250 euros, c’est l’un des pays les plus pauvres de l’Union. Le fonctionnement est le même pour toutes les familles : le père travaille dans un pays de l’Europe de l’ouest, construit un capital économique notable – même si très faible – et insère ses enfants au sein des écoles de l’Europe occidentale.

Ce pays est donc en attente. En attente des retours des cerveaux formés à l’ouest. Des retours non garantis pour des jeunes roumains souvent dégoûtés. Pendant ce temps, restée en Roumanie, une génération est sacrifiée, car dans l’entre-deux, souffrant d’une situation inchangée. L’espoir ne nourrit pas.

Genoux à terre.

Mais le PIB du pays a doublé depuis les années 1990, dépassant la barre symbolique des 4% quant à la croissance en 2018. Les défenseurs de la bonne – du moins la meilleure – santé du pays montreront l’entreprise Dacia, qui représente pas moins de 4% du PIB national, ou encore le secteur florissant des nouvelles technologies. Mais tout cela semble être un cache-misère.

Car de la misère, il y en a. Dans les zones rurales notamment, où les populations semblent abandonnées à elles-mêmes. Les aides européennes paraissent maigres : le plan d’aide sur 6 ans à hauteur de 31 milliards d’euros, qui finira à la fin de cette année, bénéficie davantage aux zones urbaines et entreprises prometteuses qu’à la Roumanie profonde, celle de l’agriculture.

La chute du communisme a entraîné la perte de la sécurité sociale. La transition vers l’économie de marché a été un coup dans le dos pour la majorité des roumains. Les situations restent intimement fragiles pour la majorité des roumains.

Les travailleuses du textile en Roumanie : un combat quotidien. (Apollofilm)

Il est clair que les usines de textile des plus grandes marques se multiplient. De franches opportunités d’emplois. Cependant, elles renferment des milliers de travailleuses dans de piètres conditions. Zara, Adidas, Benetton, Fashionable, Hugo Boss, H&M, Pierre Cardin ferment l’œil devant cette main d’œuvre sous-payée et asphyxiée tout en se réjouissant de l’étiquette « Made in Europe ».

Une génération à reconstruire.

La Roumanie ne s’est donc pas remise de la dictature communiste depuis plus de 30 ans. La société en subit encore les séquelles et la nouvelle génération semble regarder au loin, tournant le dos au passé. Une transmission entre générations compliquée et une ligne dangereuse lorsque l’on sait que l’épuration dictatoriale n’est pas entièrement achevée. Les pères, ceux qui se sont rendus à Bucarest pour s’opposer, se demandent quel sens donner à la Révolution à leurs fils.

Les indicateurs ne sont pas au vert. Le pays brûle encore et tout est à reconstruire. Les appels à l’aide ne semblent pas suffire pour interpeller l’institution européenne. La Roumanie est le symbole de cette Europe à deux vitesses.

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Journaliste culture, politique et société
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