On a tous entendu cette phrase au début du confinement « Je vais pouvoir lire enfin ». Réelle envie ou bien envie fugace, cela repose sur notre vérité personnelle et puis, ce n’est pas vraiment la question. Cependant, cette phrase permet d’ouvrir un spectre plus large, celui du monde du livre. Car oui, maintenant on a le temps pour lire, mais demain, lorsque le monde retrouvera sa marche, que restera-t-il du livre ? C’est de cette interrogation, de cette profonde crainte, que Frédéric de Araujo, directeur de la maison d’édition AKFG, a souhaité lancer sa pétition « Sauvons nos petites maisons d’édition ».
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Entreprise versus artisanat, est-ce réellement cela que l’on veut ?
Le marché du livre est un marché des plus complexes. Le secteur est loin d’être discursif. Entre le numérique, le papier, les grosses entreprises et les artisans indépendants, autant de maillages faisant vivre le livre. Il en va comme vérité, que depuis des années le secteur est en crise, notamment avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme Amazon. Il faut rajouter à cela le rythme imposé par les grosses maisons d’édition qui, pour lutter, mettent en place une surconsommation de lecture. Le livre n’est plus un objet à part entière, il en devient presque ostentatoire tant sa consommation en devient névrotique. Un livre reste deux semaines à la mode, puis en arrive un autre pour le remplacer. Ainsi les maisons d’édition indépendantes, comme les libraires, doivent faire face aux multiples paramètres n’ayant d’autres possibilités que de suivre le mouvement du marché. On arrive donc à la fracture entre artisanat et entreprise et au problème que soulève Frédéric de Araujo, directeur de la maison d’édition AKFG, dans sa pétition.
« Au-delà du simple aspect économique, c’est tout un pan de la culture française qui risque de disparaître. Cette culture qui nous enorgueillit, par son attachement à l’art, à son patrimoine, et son incroyable richesse pluridisciplinaire, est en voie d’extinction ».
Une pétition pour interpeler
Se rendre compte collectivement que la pluralité culturelle est primordiale pour notre pays mais que celle-ci est à l’heure actuelle plus que menacée. Pour les patrons des maisons d’édition indépendantes, l’heure n’est même plus à alerter du danger. Non, le danger est déjà là et pour eux, cette pluralité culturelle risque de totalement disparaître car les plus petites maisons d’édition ne pourront s’en remettre.
« J’ai lancé jeudi 16 avril une pétition intitulée « Sauvons nos petites maisons d’édition » , après un constat simple. Avec les nombreuses crises économiques, les grèves, nombreux sont mes collègues qui se trouvaient déjà dans le rouge. Mais avec la crise sanitaire et l’annulation par conséquence des salons du livre et autres manifestations permettant notre exposition, c’est tout simplement insurmontable. Mon constat a été simple, pour moi la suite va être compliquée, mais je voulais savoir ce qu’il en était pour les autres, et j’ai été effrayé. Mon téléphone n’arrête pas de sonner depuis quelques semaines, ce sont des collègues éditeurs qui me demandent si je veux racheter leur maison d’édition ou alors fusionner. Je ne sais pas si les gens se rendent compte, mais là on parle de 90% du secteur en crise, qui ne sait pas de quoi sera fait demain pour lui », interpelle Frédéric de Araujo.
Car la littérature, c’est comme si nos yeux s’agrippaient à un visage éphémère qui ne peut nous quitter. Ce regard reste gravé en nous sans trop savoir pourquoi mais bizarrement, cela nous procure le plus grand bien.
Un artisanat à sauvegarder
Les mesures du ministre de la Culture Franck Reister, sont pour eux complètement vides de sens car elles apportent des réponses et des gages seulement pour les grosses structures. L’aide financière prévue pour aider le secteur ne prévôt que pour les structures ayant un compte non déficitaire. Or, la complexité même du secteur ainsi que les différentes crises économiques et sociales ne permettent pas à un grand nombre d’éditeurs indépendants d’avoir des comptes stables. Frédéric de Araujo en appelle au gouvernement, aux députés, mais aussi à la société, pour que demain, lorsqu’on retrouvera le chemin de nos utopies, cette pluralité culturelle subsiste toujours. Pour que demain nous ramène de l’air et qu’il ne sonne pas un peu plus le glas des artisans du livre.
« Aujourd’hui on nous parle d’aide pour les structures avec un compte positif, mais cela n’a juste aucun sens. Le secteur est tellement multiple, il faut payer les traducteurs, les imprimeurs, les graphistes sans parler de la diffusion…A l’heure actuelle, ces mesures sont vides pour la plupart des travailleurs. Cette aide va bénéficier aux grosses structures, mais pas à la majorité des structures indépendantes. Aujourd’hui, il faudrait qu’un protectionnisme culturel se mette en place permettant aux maisons indépendantes les plus touchées d’avoir de la visibilité et une réelle aide. On parle de pluralité, de patrimoine, d’un secteur artistique qui résiste tant bien que mal à cette grosse marche en avant du marché. Je le dis honnêtement, les aides annoncées ne suffiront pas à sauver le secteur », déclare Frédéric de Araujo.
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lien de la pétition : Sauvons nos petites maisons d’éditions
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