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Festival d’Angoulême : état des lieux de la bande dessinée numérique

L’organisation du 45ème festival d’Angoulême a mis la bande dessinée numérique à l’honneur, tant dans ses discours de présentations que dans ses conférences. Mais qu’en est-il réellement ? Petit état des lieux de la bande dessinée numérique en France.  

La bande dessinée numérique en France, un avenir possible ?

Si la conférence d’ouverture du 45ème Festival International de la bande dessinée d’Angoulême a été l’occasion de rappeler la croissance constante de l’industrie, elle fut aussi marquée par un discours insistant sur l’importance de faire figurer la bande dessinée comme trait d’union entre l’imprimé et le numérique, à une époque où celui-ci prend de plus en plus de place dans le quotidien des Français.

Si la dématérialisation des contenus culturels se démocratise d’année en année – on peut facilement prendre comme exemple les plateformes Spotify pour la musique, Netflix pour le cinéma et les séries et Steam pour le jeu vidéo – il n’existe pas d’équivalent stable ou suffisamment connu pour la bande dessinée. La question économique est aussi centrale, et alors que la rémunération des autrices et auteurs s’est placée au centre des discours lors de la cérémonie des Fauves d’Or du Festival (53% des autrices et auteurs de bande dessinée gagnent moins que l’équivalent du salaire minimum et 36% sont sous le seuil de pauvreté), Delphine Groux, président de l’association du Festival de la bande dessinée internationale d’Angoulême a rappelé la nécessité de ne pas penser l’économie culturelle comme un économie des objets.

Si l’intérêt premier de cet article était d’interroger la place de la bande dessinée numérique en France, des recherches et rencontres faites au cours du Festival, qui a lui-même pris la forme d’un terrain d’enquête, ont fait se dessiner une autre question plus centrale : au vu de l’offre et de la demande en France aujourd’hui, la bande dessinée numérique a-t-elle une chance d’un jour rencontré un véritable succès quantitatif et qualitatif ?

Il n’est pas ici question de bande dessinée en format court publié sur des plateformes de blog, mais bien d’une offre de bande dessinée long format qui s’inscrirait dans une continuité formelle.

Lors de la conférence « La bande dessinée numérique : nouveau canal de diffusion numérique ou nouvelle forme de création ? », Raphael Berger, directeur des études et de l’offre légal pour Hadopi, rappelait que si 16% des Français lisent numériquement, on estime qu’un quart de ce chiffre lit ou a lu des bande dessinées numériques. On est donc face à un marché relativement faible qui doit convaincre un public varié avec des attentes variées.

La bande dessinée Eté : un succès français

Diffusée sur le réseau social Instagram, cette bande dessinée native co-produite par Arte et Bigger than Fiction et scénarisée par Thomas Cadène a rencontré au cours de l’été 2017 un succès sans précédent pour un format inédit. Pour Julien Aubert, CEO de Bigger than Fiction et directeur de la création, bande dessinée ne rime pas forcément avec livre, mais plutôt avec des séquences séparées par une gouttière, et donc facilement exportables sur un nouveau format.

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Eté fait partie de ces bandes dessinées natives, ou social media series comme les appelle Julien Aubert, pensées directement pour être produites sur le web, et non pas du contenu homothétique qui serait lui du contenu papier scanné puis posté. Ce format homothétique est la forme principale de bande dessinée numérique en France.

Mais, lors d’un entretien réalisé durant le festival, j’ai eu l’occasion d’interroger Julien Aubert sur les risques que peuvent poser la dépendance à une plateforme possédant ses propres règles de publication et de modération. Si l’application décide que l’un des dessins ne colle pas à sa politique, elle peut simplement le supprimer. Pour le directeur de la création, le vrai problème ne se situe pas tant dans la plateforme que dans le public puisque ceux sont eux qui décident quel contenu censurer. Mais il reconnaît que l’attrait d’avoir accès aux 5 millions d’utilisateurs français actifs d’Instagram venait avec l’impératif de se plier à certaines règles. Des règles que l’on retrouve finalement dans nombres de médias. Si un créateur souhaite que son œuvre puisse avoir ne serait-ce que la possibilité de rencontrer du succès, il faut faire avec certains impératifs.

Il ne semble donc pas envisageable de penser l’industrie de la bande dessinée numérique comme une opportunité de voir un contenu diversifié et avant-gardiste sur certains sujets. Ce qui soulève d’autant plus la question de la liberté d’expression sur Internet, et des limites de celle-ci.

On peut donc réfléchir sur la nécessité de créer une ou des plateformes spécialisées en bande-dessinée native, ce qui permettrait de contourner les règles propres aux plateformes préexistantes, mais aussi de réunir un public prompt à l’engagement et à la fidélisation, prêt à payer un abonnement.

La nécessité de conquérir un nouveau public

L’une des principales raisons qui animent les investigateurs de l’offre de bande dessinée numérique en France semble être la volonté de s’adresser à un public bien particulier : le lecteur et la lectrice adolescent.es qui délaissent depuis plusieurs années la bande dessinée, privilégiant les contenus culturels disponibles numériquement, et surtout accessibles via un smartphone.

En Corée, le phénomène des Webtoon (des bandes dessinées numériques coréennes –des manhwas- disponible sur le web ou via des applications) s’est intégré dans le paysage culturel coréen et rencontre depuis une quinzaine d’années un succès national. Pour l’artiste coréen BECK Young-wook, qui sera par ailleurs mis à l’honneur lors de l’exposition « WEBTOON, Spécial PyeongChang » du 19 janvier au 28 février 2018 au Centre culturel Coréen à Paris, le public de ce médium est majoritairement adolescent et trouve son succès dans l’infrastructure coréenne pensée pour la technologie. Le comparatif Corée/France utilisé par les éditeurs pour justifier d’un succès probable de la bande-dessinée numérique serait donc à prendre avec pincettes puisqu’on parle ici de deux publics jeunes évoluant dans des sociétés fondamentalement différentes. De plus, le lectorat français a une tradition de bande-dessinée papier très forte, et a à sa disposition des contenus très variés dû à l’expansion du marché français. L’expérience numérique devrait alors peut être insisté sur l’aspect interactif unique de celle-ci, plutôt que de penser uniquement en plateforme.

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Heidi MacDonald, créatrice du blog The Beat qui traite des questions entourant la bande dessinée, considère que le modèle des Webtoon ne s’est pas bien exporté aux États-Unis, car le lectorat coréen a un engagement suffisamment fort pour correspondre à ce modèle de consommation. Mais elle reste persuadée d’une perspective d’évolution possible : « Il y a vingt ans, j’écrivais un article « Les gens liront-ils un jour des webcomics ? ». Quelle question stupide. Qu’elle existe indique d’ailleurs que le phénomène est, non seulement, d’actualité mais aussi plus proche de sa consécration que l’on ne pourrait pas le croire. Car les mentalités vont évoluer et que la bande-dessinée existent dans chaque culture à toutes les époques. C’est très humain de vouloir raconter des histoires avec des images. ».

La bande dessinée numérique française finira donc bien par vraiment trouver sa place dans le marché des industries culturelles en ligne, mais pour ce faire, elle doit repenser son public et l’envisager en dehors d’un prisme comparatif finalement peu parlant.

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