Un prisonnier de la base militaire américaine vient d’obtenir l’autorisation, après six ans de classification confidentielle, de publier son journal retraçant sa vie dans l’enfer de Guantanamo. Un témoignage inestimable qui permet de plonger au coeur d’une prison secrètement protégée.
Une vie qui bascule
Ces Carnets de Guatanamo (Michel Lafon, 18 €) sont avant tout une terrifiante illustration des dérives causées par l’arsenal antiterroriste mis en place aux États-Unis après le 11 septembre 2001. Citoyen mauritanien, Mohamedou Ould Slahi a en effet été arrêté juste après les attaques terroristes contre le World Trade Center. Son parcours fait de lui un suspect idéal : en 1991, il est parti s’entraîner en Afghanistan avec Al-Quaïda. Mais à l’époque, le grand ennemi de l’organisation terroriste n’était pas les États-Unis mais le communisme de Kaboul.
Début de l’enfer. Après sept mois et demi d’emprisonnement et d’interrogation par les services de renseignement jordaniens, le jeune Mauritanien est envoyé la base aérienne américaine de Bagram, en Afghanistan en juillet 2002. Il y retrouve d’autres détenus à qui il a interdiction de parler. Sous peines de sévices : «La punition, en cas de non-respect de cette règle, était la pendaison par les mains, les pieds touchant à peine le sol. Je vis un Afghan perdre connaissance à deux reprises dans cette position ».
Le 4 août 2002, il est transféré à Guantanamo, la prison de la honte américaine. Il y subit les pires humiliations.
Violences et manipulations
À partir 2003, période à laquelle les agents du FBI sont remplacés par des militaires, le calvaire s’intensifie. Dans son libère, le relate les coups, les humiliations, la souffrance psychologique. Mohamedou est perpétuellement sous le joug d’équipes qui le maltraitent en se relayant. Parmi les méthodes de torture, on le force à boire de l’eau salée en grande quantité ou à ingurgiter n’importe quoi : « C’était si écœurant que je vomis immédiatement. Ils me mettaient n’importe quel objet dans la bouche et criaient: « Avale, enculé! » Je décidais en mon for intérieur de ne pas avaler l’eau salée, ravageuse pour les organes, qui m’étouffa quand ils m’en remplirent de nouveau la bouche. « Avale, crétin. » Après une brève réflexion, je préférai l’eau malsaine et néfaste à la mort ».
À Guantanamo, les techniques d’interrogatoire sont très étudiées. Alliées à la torture, elles peuvent rapidement procurer les aveux tant désirés. Le Mauritanien se plie à l’exercice pour stopper la torture : « Je répondais par l’affirmative à toutes les accusations ». Il ajoute : « Il n’est pas seulement question de dire « oui, je l’ai fait ». Non, ça ne marche pas comme ça. Vous devez inventer une histoire complète qui ait du sens, même pour la pire des andouilles ». « Au cours de cette période, confesse-t-il, je noircis plus de mille pages de fausses informations sur mes amis. ».
Un récit aux retouches et camouflages incalculables
Bien que les carnets de Mohamedou Ould Slahi présentent une qualité de témoignage inédite, il faut noter que les 466 pages , pour obtenir l’autorisation de publication, ont été immédiatement classées secret-défense par l’État. Elles ont ensuite été largement censurées. Des pages, des phrases, des noms sont noircis. Le gouvernement américain, comme il en l’habitude, a donc mis ses conditions.
Treize ans après son entrée à Guantanamo, Mohamedou Ould Slahi est toujours incarcéré. Il n’a jamais été jugé.
Antoine Morange