Alors qu’Ici tout commence s’apprête à lancer sa nouvelle saison, la série doit fait face à la plus grande vague de départs depuis son lancement.
Scénaristiquement parlant, la saison 3 d’Ici tout commence est la meilleure. Entre l’arche « Origines » et ses ramifications, puis l’arche catastrophe associée à celle sur le meurtre d’Auguste Armand, la série a joué à fond la carte du soap et véritablement enrichi sa mythologie tout en donnant corps à ses nombreux personnages. Comme nous le rappelait Sarah Farahmand, la série est parvenue à donner de l’étoffe à la figure tutélaire d’Auguste Armand qui n’a pourtant participé qu’à 35 épisodes au lancement de la série. Les derniers flashbacks autour du personnage ont même prouvé combien on aurait aimé le voir davantage dans la série, et le voir interagir avec les autres personnages. Le simple fait qu’il soit le seul à pouvoir faire flancher un personnage comme Teyssier en dit long sur lui !
En résumé, un vrai travail de solidification de la charpente de la série a été fait cette année et a permis de rapprocher la série non seulement des meilleurs soaps, mais aussi des très bonnes séries du genre en prime time. Paradoxalement, c’est aussi la saison qui aura vu le plus grand nombre de ses personnages principaux partir.
En l’espace de deux mois, la série a donc perdu quelques uns de ses personnages importants à commencer par son « super-couple » Greg (Mikaël Mittelstadt) et Eliott (Nicolas Anselmo) qui ont tout de même offert à leurs fans un départ des plus aboutis sur fond de mariage et de nouvelle vie. Il convient d’ailleurs de préciser que plus un départ est maîtrisé dans une série, plus il a pu être préparé en amont par les auteurs. En particulier sur le soap français où il est bien difficile de « faire partir » un personnage du jour au lendemain (surtout si on ne veut pas tuer ses personnages, comme l’a réaffirmé Sarah Farahmand il y a peu). Il faut donc préparer le départ pour l’inclure de la meilleure manière qui soit dans les arches. Le départ de ce couple emblématique est donc une belle réussite qui a pu être bien préparé. De même, celui de Fabian Wolfrom a pu être lié à la grande arche d’été comme nous le rappelait la productrice de la série : « C’est arrivé au moment où Fabian nous a faits part de son envie de quitter la série et ça nous arrangeait aussi. C’est de toute façon très cohérent avec le personnage de Louis, qui est autodestructeur et de pouvoir voir jusqu’où il a été. Il peut ainsi clore un cycle en avouant la vérité« .
Enfin, celui de Khaled Alouach (Théo), même s’il n’est pas le plus réussi en terme de romanesque, permet à son acteur de conserver une fenêtre de tir pour pouvoir revenir dans un an (à moins que cette fenêtre ne soit « refermée » dans l’année par une ligne de dialogue mais on ne le sait pas encore).
En revanche, objectivement, deux départs questionnent davantage. D’abord, celui de Thomas Da Costa (Axel) est « problématique » en terme de cohérence car trop rapide : personne ne peut réellement penser qu’Axel, encore très limite niveau cuisine il y a un an quand il a préparé le concours (et aujourd’hui même pas encore en deuxième année) puisse vraiment diriger le restaurant de son père Auguste Armand (surtout quand on sait grâce aux flashbacks comment ce dernier s’est montré exigeant avec certains de ses enfants pourtant « meilleurs » en cuisine). On sent qu’il a fallu faire d’une pierre deux coups avec l’arche d’été pour coller avec le départ du comédien. De même, on a du mal à croire au départ de Pola Petrenko (Charlène) qui part faire le tour du monde alors que le procès de son amoureux Louis n’a pas encore eu lieu ??
Les séries ont toujours dû conjuguer avec le départ de comédiens ou de comédiennes. C’est même dans l’ADN du soap. La différence avec les soaps américains est pourtant centrale et devrait intéressée les auteurs français.
Dans les soaps américains, les personnages sont au-dessus des interprètes. Cela ne signifie pas que les acteurs ne comptent pas. Bien au contraire. Mais face au rouleau compresseur de l’organisation d’un soap, la continuité de l’intrigue et de l’histoire prime sur le reste ! Il n’y a que la mort d’un acteur ou d’une actrice qui puisse arrêter le « mécanisme ». Ainsi, la mort de Jeanne Copper a entraîné de facto la mort de Katherine Chancellor dans Les feux de l’amour. Dans Amour gloire et beauté, la volonté de départ de la série de Susan Flannery a donné l’idée scénaristiquement parlant aux auteurs de « tuer » aussi Stephanie Forrester. Là encore, l’intrigue prime. Mais ne manière générale, quand un acteur ou une actrice veut quitter un soap, il /elle est purement et simplement remplacé(e) par quelqu’un d’autre dans la série. Dans l’épisode suivant suivant, le nouvel acteur ou la nouvelle actrice apparaît et une voix off indique que « le rôle de … est désormais interprété par … » et l’histoire continue. C’est ce qu’on appelle une convention de genre que le public accepte dans le soap (la seule série de prime time qui a inclue dans son écriture ce changement régulier c’est Doctor Who). Qu’il s’agisse ou non d’une figure importante. En 2013, quand Ron Moss annonce son départ d’Amour gloire et beauté après 25 ans, impossible de se passer du personnage central de Ridge. L’acteur est aussitôt remplacé par Thorsten Kaye qui sans modifier l’ADN du personnage lui donne toutefois une charpente légèrement différente.
Cette technique permet aux auteurs de garder le contrôle, mais aussi, on ne va pas se mentir, de se prémunir des exigences de leurs acteurs / actrices qui peuvent ainsi difficilement « prendre en otage » leur personnage prétextant qu’il ou elle serait « irremplaçable ». L’histoire du soap nous montre qu’aucun de ces changements opérés n’a eu d’incidence sur la série.
Enfin, notons que parfois, la technique peut aussi servir les ambitions délirantes des auteurs. Ainsi la série Des jours et des vies en a même fait sa marque de fabrique. Dans les années 80, quand l’acteur original du personnage de Roman Brady, Wayne Northrop, a quitté la série, les auteurs l’ont tué pour servir l’histoire. Puis ils ont tenté de le faire revenir sous les traits d’un autre acteur, Drake Hogestyn. Mais Northtrop a voulu revenir et les auteurs ont alors « créé » un nouveau personnage pour Hogestyn, John Black, qui avait subi un lavage de cerveau pour lui faire croire qu’il est Roman. L’inspiration n’a pas de limites. Mais si on parle de « convention » de genre c’est que ce genre de stratagème est propre au soap quotidien. Dès lors que l’on bascule en prime, il faut user d’autres stratagèmes. Ainsi, quand Patrick Duffy revient dans Dallas après avoir montré la mort de son personnage Bobby, toute la saison entre les deux événements est tout simplement effacée. Ce n’était qu’un rêve !
Sous prétexte de « crédibilité », nos auteurs ne veulent pas franchir ce Rubicon mais le soap n’est pas, par principe, le domaine du crédible et du réalisme (ce qui n’empêche pas de parler du monde du monde dans lequel on vit, les soaps ont même été parmi les premiers à le faire). Sans tomber dans le burlesque de certaines séries, il y a tout un champs des possibles qui pourrait s’ouvrir à nos séries pour leur permettre encore plus de « folie » si on se permettait davantage de choses.