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Interview téléphonique avec un entrepreneur social

Comment, comment voulez-vous fournir à une institution une expertise de marbre, avec une finance d’argile ?

Tandis que les médias subissent de plein fouet la crise budgétaire en Europe et aux Etats Unis, Nigel Kershaw se charge de panser les plaies de la crise sociale, à Londres. C’est du moins la rumeur qui court dans toute la ville. Avec son journal « The Big Issue », l’approche de Nigel est bien différente de celle des autres médias… Sur sa carte de visite, un titre professionnel atypique, et donc diablement intrigant. Entrepreneur social ?

L’entrepreunariat social est un phénomène qui commençait déjà à faire parler de lui au début des années 90 dans les pays les plus développés, mais son histoire et sa philosophie viennent de plus loin. Il prend plusieurs visages selon l’époque et le pays où son nom est prononcé, et mélange plusieurs concepts novateurs, dont ici bâtir les premières fondations de l’économie sociale.

D’après la commission européenne, « les entreprises sociales poursuivent un objectif d’intérêt général (social, sociétal, environnemental), et non un objectif de maximalisation du profit. Elle présentent souvent un caractère innovant, à travers les produits ou services qu’elles offrent et les modes d’organisation ou de production qu’elles utilisent. Elles font souvent appel à des acteurs fragilisés de la société (personnes frappées d’exclusion sociale). Elles contribuent ainsi à la cohésion sociale, à l’emploi et à la réduction des inégalités. »

Investir dans l’humain

Nigel me dit qu’une entreprise sociale a vocation à redéfinir le modèle entreuprenarial: on fait du business tout en investissant dans le social, dans l’humain.

The Big Issue est un journal vendu par des sans-abris. Lorsque vous vous approchez des vendeurs de rue, vous faites un double pas en avant: vous offrez un salaire et vous achetez un journal.

Le pouvoir magique du média

Avec son programme Media action, la BBC utilise un média, la radio, pour donner une voix aux plus démunis, à ceux qui n’ont pas les prothèses digitales nécessaires pour se faire entendre, à l’autre bout du monde. Nigel va plus loin, mais en restant près: le programme de sa Big Issue permet aux sans-abris d’avoir une vraie présence, une raison de se montrer sous un meilleur jour, d’exister dans la société grâce à un travail. Une solution durable à la crise sociale, donc.

Une nouvelle approche de la presse

L’information est là, devant vous, il vous suffit de vous avancer un peu pour l’obtenir.

Après tout, quitte à acheter ses journaux dans la rue, autant le faire pour une bonne cause. Et puis on réfléchit encore… Où trouve-t-on la bonne info aujourd’hui? On paie pour, le plus souvent. Et il semble parfois difficile à imaginer que les médias ne nécessiteront pas d’un modèle payant ou freemium pour ne pas s’éteindre.

The Big Issue - social entreprise

Un modèle économique durable ?

Avec the Big Issue, vous vous payez une bonne lecture, je peux vous dire. Parce que vous payez aussi pour les salaires des journalistes.

Les journalistes qui travaillent pour la Big Issue ont gagnés plusieurs prix.

« Si je ne mets pas Depardieu en première page, je me fais taper sur les doigts! » marmonne t-on sarcastiquement dans certaines rédactions. Certainement pas dans celle de Nigel. Des journalistes qui peuvent défendre mordicus leur point de vue éditorial, vous dites? Et oui, peut-être que ces 2 pounds 50, que vous sortez de votre poche peuvent permette à un journal d’être indépendant…

« Je ne vais pas acheter un journal si je ne sais pas de quoi ça parle »

Alors, pourquoi les Londoniens l’achètent ? Comme pour moucher les prétentieux snobinards qui n’auraient pas l’audace d’acheter cette presse de rue, The Big Issue surfe sur la vague donne envie. Sur le site, vous pouvez rencontrer virtuellement les journalistes qui contribuent à travers leur blogs, et obtenir un petit aperçu du journal de la semaine, avec des critiques de cinéma, d’expositions photo, enfin bref, de culture… Astucieux le Nigel.

Et les parisiens dans tout ça ? Dans la capitale, des journaux aussi, vendus par des sans-papiers également. Oui mais quoi? Pas de site, ni de glamour, ni de présence !  Même si le maire de Saint Denis – la ville ayant l’initiative de ce papier – est très impliqué dans la question sociale, il n’y a malheureusement pas de rumeur. Pas de nouveau, pas de fraîcheur, rien! Quand des articles évoquent les sujets qui fâchent, comme l’impact du travail sur l’économie de sa famille, de son entreprise et de sa planète… Cela n’intéresse personne.

De l’entreprenariat social, vous dites.

Avant de refermer notre Big Issue, jouons un peu sur la corde sensible. L’avant-dernière double page est dédiée aux témoignages des sans-abris, qui racontent leurs histoires et la façon dont la Big Issue a changée dans leur vie.

The Big Issue - social entreprise

Du dilétantisme dans la charité, vraiment ?

Mais les histoires qui finissent bien ne plaisent à personne. Les bruits des couloirs publics fusent: « Il gagne beaucoup trop d’argent! Il ment, il se déguise derrière sa Big Issue ! Et puis, il monte the Big Issue Fundation, un fond soit disant indépendant pour financer les entreprises comme la sienne, sociales ! »

Combien, avez-vous récolté avec ce fond, Nigel ?

Nous avons récolté 20 millions de pounds l’année dernière.

Au voleur, au voleur, à l’assassin, au meurtrier !

Quoi ? Encore de l’argent ? Mais quelle horreur! Quelle affreuse bonté !  Allons vite, des commissaires! Des archers! Des juges! Des potences ! Des bourreaux ! En me précisant que les deux institutions sont indépendantes, je sens que Nigel se perd à nouveau dans les multitudes de giclées de critiques fétides qu’il s’est prit en pleine face, depuis le début de son projet. Non, Nigel n’a pas vocation à être Midas, mais oui, il gagne de l’argent. Et accorde un répit aux secrètes oppressions du coeurs des « riches ».

Et alors ? Tout le monde y trouve son compte, au fond.

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