C’est officiel depuis hier soir, Karim Benzema ne disputera pas l’Euro 2016 en France. Impliqué dans l’affaire de la sextape depuis octobre, l’attaquant du Real était jusqu’ici « pas sélectionnable ». L’affaire de la sextape, tout le monde la connaît dorénavant en France. Pour éviter de vous fatiguer les yeux, je ne vais pas la retracer ici. Je vais plutôt vous donner mon avis : si Benzema est déclaré coupable par la justice française, son comportement sera pour moi inadmissible et il en subira les conséquences.
Le problème aujourd’hui, en France, c’est que la présomption d’innocence n’existe pas pour tout le monde. Aujourd’hui, on peut être citoyen lambda ou même haut responsable de l’état, et bénéficier logiquement de ce droit. Pour un footballeur, la présomption d’innocence est rapidement bafouée ! On est « coupable » directement ! On est accusé sur le champ, par les responsables politiques tout d’abord, qui exigent une exemplarité qu’ils ne s’appliquent pas à eux mêmes, puis par l’opinion publique, intraitable avec le comportement, beaucoup moins avec la performance.
L’opinion publique, bourreau de Benzema
Dans le communiqué de presse de la FFF, on a pu comprendre que la décision ne s’est pas faite sur le critère judiciaire. La conclusion c’est que Noël Le Graët et Didier Deschamps ont fait un choix sportif. Si on parle sur le terrain, Benzema est le meilleur joueur français depuis la saison 2013-2014. Cette saison là il a passé un cap, il est devenu un grand joueur. Ces stats en Bleus ont largement augmenté, notamment dans les moments décisifs. Mais Benzema n’est pas aimé par l’opinion publique. L’opinion publique… ou plutôt les personnes qui affirment aux instituts de sondage les « questions posées » par les organes de presse.
Si Benzema n’est pas à l’Euro 2016, c’est à cause de l’image. La FFF ne veut pas d’un joueur qui ne serait pas exemplaire, qui pourrait subir des pressions du public, qui pourrait mettre une pression négative autour du groupe. Qu’est-ce que c’est grave de penser comme ça. C’est de l’auto-censure sportive. On se prive de nos meilleurs joueurs car ils ne plaisent pas à tout le monde. Par contre, certains joueurs des Bleus sont loin d’avoir été exemplaire avec ce maillot, pourquoi sont-ils encore là ? Si on décide d’avoir un groupe de scouts tout gentil, il faut aller jusqu’au bout.
La question est de savoir pourquoi Benzema est-il autant indésirable en France ? Il n’a jamais eu un mauvais comportement, il était absent de Knysna, il était génial en Ligue 1 et il est excellent en Liga. Les joueurs l’adorent. Et pourtant, Didier Deschamps a sondé deux joueurs : Hugo Lloris et Patrice Evra. Ces derniers n’ont visiblement pas été favorables au retour de Benzema. Le groupe lui tourne le dos ? Non. Le groupe a peur de la réaction du publique si il soutient Benzema. Les optimistes vous diront « en 98 aussi on s’est privé de Cantona et Ginola« . Oui mais ils n’étaient pas intégrés au groupe, alors que Benzema est un grand frère et une idole pour les jeunes de l’équipe (Martial, Griezmann, etc…). Et puis surtout, on avait un génie comme Zidane. Je souhaite le même avenir à Pogba ou Griezmann mais j’émets encore des réserves. Au nom de l’éthique et de la morale subjective, la France a souhaité elle même se priver de sa meilleure arme pour la bataille. Syndrome d’une société attentiste, qui aime réagir et juger, sans jamais chercher à analyser et expliquer.
La morale au dessus du sport mais en dessous de la politique
Comment peut-on défendre un homme mis en examen pour escroquerie ? Comment peut-on ne pas trouver normal qu’un personnage public se permette des pratiques de voyous sans être sanctionner ne serait-ce que moralement ? La réponse est simple. La décision de ne pas prendre Benzema à l’Euro est de la diplomatie sportive, un drôle de mélange. Pas si drôle quand on se souvient de la proximité entre Noël Le Graet et le pouvoir en place, qui lui a donné toutes les responsabilités sur le dossier, comme si il pouvait ne pas aller dans leur sens…
«Ma position est celle d’un ministre des sports qui pense que l’exemplarité, la probité, la valeur humaine et judiciaire en l’occurrence des joueurs doit être prise en considération»
Patrick Kanner, ministre des sports
Monsieur Kanner, j’aimerais donner raison à vos paroles garnies d’espoirs et de justice. Mais l’exemplarité d’aujourd’hui, c’est au footballeur de l’incarner ? Vous marchez sur la tête, vous et tous les hommes politiques qui ont réagi à cette affaire, à commencer par le chef du gouvernement, Manuel Valls. Comment en France, nous pouvons avoir des responsables politiques qui parlent d’exemplarité seulement pour les footballeurs ? C’est comme si la maîtresse demandait à l’élève d’écrire à sa place au tableau. Ils sont les premiers représentant du pays, c’est à eux d’être exemplaire ! Permettez-moi de vous rappeler que Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, président des Républicains, et bientôt futur candidat à l’Élysée, est impliqué dans douze affaires judiciaires, dont deux où il est mis en examen. Et le président du PS, parti au pouvoir, Jean-Christophe Cambadélis, a falsifié ses diplômes. Pourquoi exercent-il encore ? Après tout, nous, les citoyens lambda, souhaitons que la morale soit respectée, que l’image de la nation soit bien représentée.
Donc aujourd’hui, vu que Karim Benzema n’est pas « juridiquement non sélectionnable », pourquoi lui refuser la sélection ? Pour des critères sportifs, comme l’a dit Patrice Kanner ? C’est illogique. Il est de loin le meilleur joueur français à son poste depuis Thierry Henry et surtout, il est performant en Bleus depuis des années. N’oubliez pas que sans lui, nous n’aurions pas eu cette trompeuse impression d’avoir réussi notre Coupe du Monde. Depuis son but contre l’Australie en décembre 2013, Benzema est l’homme décisif des Bleus dans les grands matchs. Il est (ou était) adoré du vestiaire. Il manquera beaucoup à la France durant l’Euro. Il est donc la grande victime de la morale et de l’exemplarité sportive made in France, qui ne s’applique qu’aux sportifs, mais pas pour un homme politique qui a fait du trafic d’influence, pas pour un chanteur qui tabasse sa femme, pas pour un prêtre qui viole des enfants. Karim Benzema est la victime de l’exigence du peuple français envers un sportif, envers quelqu’un qui « gagne trop sa vie en tapant dans un ballon, qui est mal coiffé, qui ne chante pas la Marseillaise (comme Platini, Zidane ou Kopa) ». Une exigence que ce peuple occulte lorsqu’il s’agit de faire des choix bien plus importants, pour son pays ou pour lui même.
Aux défenseurs de la morale subjective : vous avez gagné votre combat contre le talent. Et si on perd cette compétition, vous serez pour moi les principaux coupables de cet échec sportif, que vous avez mené à merveille.