Depuis le 9 mars au musée d’art contemporain de Lyon, Adel Abdessemed présente sa dernière exposition : L’antidote. Un espace n’est pourtant pas utilisé dans le musée. Une vidéo a été retirée victime de polémique sur les réseaux sociaux.
Le problème de la censure dans l’art
La censure est un terme communément associé au journalisme, à la politique, ou encore au cinéma, mais beaucoup moins aux objets d’art exposés dans des institutions. La philosophe Fabienne Brugère avait d’ailleurs été questionné sur la censure :
« On juge de la peinture ou d’autres arts en oubliant que les œuvres d’art ne sont pas des objets ordinaires mais des presque-sujets, des existences. Bien sûr, l’art contemporain n’aide pas puisqu’il brouille la frontière entre l’art et le non-art. » (Libération, 21 décembre 2017) En effet, le domaine de l’art possède quelque chose qui le place dans une case assez ambiguë, puisque la définition de l’art est en constante réflexion et interrogation. Il englobe tellement de possibilités plastiques et conceptuelles, que le juger comme un objet ordinaire reviendrait à vulgariser l’histoire de l’art toute entière. Par conséquent, retirer une oeuvre d’un musée sous un prétexte esthétique, serait considéré l’oeuvre d’art comme un « objet ordinaire », et donc la placer en dessous de son statut légitime.
Une pareille situation est-elle commune ?
L’oeuvre d’Adel Abdessemed n’est pas la seule a avoir été censurée dans l’art contemporain. En 2010 au musée d’art moderne de la ville de Paris, la mairie avait interdit au moins de 18ans la retrospective de Larry Clark. Le photographe américain montrait dans ses clichés une certaine image de l’adolescence, de la sexualité, des relations; ce qui évidement passe par des images plus ou moins crues, mais le réel montré dans ses photographies n’est il pas trop « vrai » pour pouvoir l’exposer dans un musée ? D’une autre manière, en 2012, la photographie intitulée « Piss Christ » de l’artiste Andres Serrano avait été vandalisée dans la collection Lambert d’art contemporain d’Avignon, par des activistes religieux.
Mais au juste, pourquoi censurer ?
Depuis toujours, l’art, les artistes, et les institutions, censurent et/ou sont censurés. En effet, entre « le déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet, en passant par les performances de Piotr Pavlensky, Facebook supprimant « L’origine du monde » de Gustave Courbet Courbet ou encore des peintures de crucifixion au Louvres Abu Dabi…à toutes les époques ses censures.
Emmanuel Pierrat a notamment répertorié dans « 100 oeuvres d’art censurées » l’histoire de 100 oeuvres d’art ayant subi la censure. Il explique dans une interview donné à un magazine : « Depuis qu’on crée, on censure. Politique, sexe et religion, les trois piliers de la censure ! Et on peut ajouter pour l’art, l’avant-gardisme, à la différence d’autres disciplines artistiques. L’avant-gardisme en matière d’oeuvre d’art est considéré comme un problème. Ce qu’on n’arrive pas à comprendre est une oeuvre qui sape les fondements et les règles de la société. »
La liberté d’expression n’est elle pas au dessus des intérêts esthétique, politique ou religieux ? Mais alors comment gérer la séparation entre la production artistique, et l’espace temps ou elle est produite ? Une oeuvre d’art est donc dépendante de son contexte ? Les censures artistiques viennent nous prouver que oui, parfois la société n’est pas prête à montrer (et donc accepter) ce à quoi les oeuvres d’art nous renvoient.
Cette censure génère-t-elle également de l’autocensure ?
Evidemment, selon les contextes sociaux, les rapports entre ce qui est montré et ce qui « peut » être montré fluctuent énormément.
1918-2018, 100 ans de la mort d’Egon Shiele, Vienne organise une grande rétrospective de l’artiste. Les affiches sont censurés en Allemagne et en Grande Bretagne. Le musée publie donc des affiches ou l’on peut voir les dessins d’Egon Shiele recouvert d’un bandeau : « Désolé, âgé de 100 ans et toujours trop osé. » Ce cas est donc une décision du musée qui va jusqu’à jouer de cette censure pour interpeller.
Dans le cadre de l’exposition à Lyon, la vidéo d’Adel Abdessemed a été retirée non pas parce que le musée ne voulait pas la diffuser, mais parce que l’artiste lui même avait choisi de la retirer suite aux pressions grandissantes…alors ? censure au musée ?