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La Corée du Sud, berceau de l’esport

Pays phare dans le domaine de l’e-sport, la Corée du Sud fait figure d’exemple à suivre pour le reste de la planète e-sportive. Cependant, si l’e-sport est aujourd’hui à son apogée chez les sud-coréens, c’est avant tout grâce à un concours de circonstance, puis à un réel travail de fond afin de faire avancer et reconnaître le sport électronique.

Dans les années 1980, la Corée du Sud fraîchement démocratisé sort enfin d’une période marquée par les guerres et les dictatures qui l’ont secouée. Dans un pays en plein essor économique, le peuple coréen voit son niveau de vie augmenter pendant de nombreuses années et ce à une vitesse impressionnante, au point qu’il accorde une confiance aveugle au modernisme et aux nouvelles technologies. À l’image de son peuple, le gouvernement équipe rapidement la plupart des coréens de la technologie internet : la Corée devient le premier pays du monde entièrement connecté à l’internet ADSL. La vente d’ordinateurs atteint des sommets, et de nombreux cybercafés voient le jour.
Tous les éléments semblent réunis pour faire de la Corée du Sud le paradis du jeu vidéo.

Les bienfaits de la censure

Cependant, la Corée de l’époque voyait les jeux vidéo comme n’importe quel autre pays : un simple moyen de distraction la plupart du temps destiné aux enfants. Le gouvernement va alors, sans le savoir, prendre deux décisions qui auront un impact considérable sur l’avenir du jeu vidéo en Corée.

Extrêmement marqué par les exactions commises par les soldats japonais durant la seconde guerre mondiale, le peuple coréen se refuse très souvent aux marchandises japonaises. Au point que le gouvernement coréen interdit tout simplement la diffusion des consoles de jeu japonaises sur le marché coréen !
À cette mesure s’ajoute la percée des jeux type FPS sur ordinateur, les First Person Shooter (Jeu de tir en vue subjective). Ces derniers considérés comme extrêmement réalistes et beaucoup trop violents par le gouvernement sont à leur tour aussi interdits. Ainsi des jeux tels que Doom 2, Quake ou Counter-Strike qui font fureur dans le reste du monde ne passent pas les frontières coréennes.
Une seule grosse licence non-coréenne parvient à se faufiler entre les mailles du filet : Starcraft. Jeu de stratégie en temps réel, Starcraft propose au joueur de contrôler une civilisation qu’il doit développer militairement afin d’affronter un adversaire direct. Les coréens accrochent vite, le choix de jeu est de toute façon réduit.

La communauté qui se forme autour du jeu est alors énorme et Starcraft prend rapidement une ampleur nationale.

Starcraft, le jeu qui a lancé l'esport en Corée du Sud

Starcraft, le jeu qui a lancé l’esport en Corée du Sud

Très vite la télévision s’empare du phénomène, elle diffuse des matchs entre les meilleurs joueurs du pays et des compétitions commencent à voir le jour.
À cette époque, les joueurs sont très peu mis en avant, et les chaines embauchent des commentateurs qui n’ont qu’une connaissance limitée du jeu : on a droit à des retransmissions molles, et a une mise en scène proche du néant.
De leurs côtés, les joueurs s’organisent et créent en 2000, avec l’approbation des ministères de la culture, du sport et du tourisme leur propre syndicat, le KeSPA (Korean e-Sport Association).
Ce dernier permet de poser les fondations d’une structure plus organisée qu’auparavant.

Les premiers pas du sport électronique coréen

Début 2000, OnGameNet, une chaine jeux vidéo coréenne en mal d’audimat décide de se lancer dans la diffusion de matchs de Starcraft, mais de le faire à sa façon. Exit les commentateurs mous et mal renseignés, ils engagent tout simplement des commentateurs qui jouent à Starcraft et qui connaissent, de fait, leur sujet. Les matchs sont dès lors mis en scène, le téléspectateur a droit à un décor futuriste et est plongé dans un scénario type science-fiction dans lequel les deux joueurs qui s’affrontent sont de véritables super-héros, look compris.

Cette mise en scène, parfois « too much », connaît immédiatement un énorme succès.
Cette réussite encourage la chaîne dans ses innovations, les matchs qui étaient initialement joués dans un studio à huis clos sont alors filmés en présence d’un public. Au fil des mois, le phénomène continue de prendre de l’ampleur, entraînant un changement dans l’organisation des compétitions.
L’année 2002 marque un réel tournant dans l’ascension de l’esport en Corée.
OnGameNet décide que les finales de ses tournois auront toutes lieux en plein air, sur la plage et qu’assister à ces événements sera gratuit. Le public vient très nombreux, mêlant les curieux et les déjà passionnés. D’autres chaines de télévision commencent à voir le jour, et de nouvelles ligues compétitives se forment.

Boxer, l'un des joueurs les plus célèbres de la scène coréene

Boxer, l’une des légendes de la scène coréenne

Mais 2002 marque surtout le début de la starification des joueurs. En effet deux joueurs dominent outrageusement la scène Starcraft : SlayerS_`BoxeR` et YellOw. Ces derniers s’affrontent fréquemment lors des phases finales des différentes compétitions et leur rivalité amplifiée par les médias crée une réelle émulation autour de leurs matchs. S’ils possèdent un niveau de jeu impressionnant, ils sont aussi considérés par la gente féminine coréenne comme ayant un « physique très attractif »,  ces dernières vont alors commencer à s’intéresser de plus près aux matchs, puis se mettre à jouer: la féminisation de l’e-sport commence.


L’e-sport national

Les années passent et le phénomène prend chaque jour de plus en plus d’ampleur, les spots publicitaires envahissent les chaines à l’aube d’une grande compétition et les joueurs y sont présentés comme des super héros.
De son côté, la KeSPA continue son opération séduction auprès du grand public et des politiques. En 2003, Lee Myung Bak, maire de Séoul (qui deviendra par la suite président de la Corée du Sud de 2008 à 2013) participe à un match d’exhibition de Starcraft en ouverture des Championnats du monde du jeu vidéo, créé et organisé en Corée depuis 2000. Lors de cette compétition, des joueurs venus de tous pays s’affrontent sur plusieurs types de jeux vidéo, les FPS ayant depuis été autorisés, bien qu’ils n’aient pas réussis à déraciner Starcraft de la culture coréenne.
Une ligue Starcraft féminine voit le jour en 2005, et les organisateurs vont être vernis. Leur première championne, TossGirl est ravissante et son niveau de jeu est loin d’être ridicule : une aubaine pour communiquer avec la gente féminine.

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Lee Myun Bak, homme politique coréen lors d’un match d’exhibition de Starcraft

Ces dernières années, le spectacle proposé par le sport électronique coréen dépasse celui du sport traditionnel. La mise en scène, les joueurs stars qui entrent sur scène « à l’américaine », les concerts avant et après les matchs : le show est maximal.
Aujourd’hui, seule la licence américaine League of Legends, véritable monstre du jeux vidéo a accompli l’exploit de dépasser le -déjà- vieillissant Starcraft II aux yeux des coréens.
L’e-sport est reconnu par les autorités comme un sport national et fait figure de deuxième sport favori des coréens, derrière l’éternel baseball.

La télé-réalité s’est même mêlée à l’e-sport : dernièrement on pouvait suivre les aventures d’une star de la chanson qui décidait de se lancer dans le pro gaming, un scénario qui montre à quel point le jeu vidéo est ancré dans la culture coréenne, quelque soit le milieu.

La culture du jeu vidéo

Ce qui différencie grandement la Corée du Sud des autres pays c’est sa façon d’appréhender le sport électronique.
Aujourd’hui les équipes e-sport fonctionnent comme de vrais clubs de football. Les joueurs sont sous contrats et prennent le jeu très au sérieux.Des managers encadrent les joueurs. Quand un club de football possède son centre d’entrainement, une structure e-sport coréenne possède systématiquement une Gaming House : une maison dans laquelle les joueurs vivent ensemble 24/24h, s’entrainent et doivent suivre un programme de préparation physique élaboré. Dans la rue il est fréquent de croiser des coréens qui portent des maillots à l’effigie de leurs équipes e-sport favorites, un réel merchandising s’est développé autour des structures.

La structure esport CJ Entus présente ses joueurs

La structure esport CJ Entus présente ses joueurs

Et si ces équipes recrutent, bien entendus, des joueurs stars, elles n’ont pas longtemps hésité avant de créer des écoles où l’on apprend à devenir pro gamer : elles ont leur propre centre de formation.
La culture du sport électronique a grandi en Corée grâce à une démocratisation de l’accès à internet mais aussi de l’accès à l’ordinateur. Lors de la crise économique qu’a traversée l’Asie Orientale en 1997, le nombre de cybercafé a explosé, notamment les salles « PC Bang », de gigantesque cybercafés transformés en salles de jeu en réseau.

Pour un prix dérisoire – en moyenne moins d’un euro l’heure de jeu – les coréens ont accès a des ordinateurs haut de gamme et a une connexion internet très haut débit. Certains PC Bang proposent mêmes de véritables pièces fermées ou certains joueurs s’enferment durant plusieurs jours.
Enfin, la Corée du Sud a réussi là ou beaucoup de pays échouent encore : faire aimer un sport grâce à ses joueurs. Un sport arrive à trouver son public lorsque ce dernier arrive à s’identifier à ses champions.
Ainsi, si tout le monde en France a déjà joué au Badminton et y rejouera volontiers chaque été, les finales entre joueurs chinois lors des Jeux Olympiques n’intéressent pas vraiment les français. Il en est de même pour le jeu vidéo : tout le monde y joue, mais rares sont ceux qui allumeraient leur télé ou se déplaceraient pour regarder du sport électronique.
Le coup de poker réalisé par les coréens est simple : prendre des jeunes souvent en marge de la société –ce qui concevons-le n’est pas très glorieux- et les transformer en élite du peuple. Certains sports ont besoin d’icônes pour se faire leur place au premier rang, souvent car ils sont très technique ou offrent peu de visuel. Où en serait le Judo français en termes d’image et de licenciés sans David Douillet ? Nul doute que le sport électronique réussira à se faire une place à travers le monde – comme il l’a fait en Corée du Sud – lorsque des personnalités seront capables de pousser le spectateur non-initié à s’y intéresser.

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