Non ce n’est pas de l’acharnement, c’est un prétexte tout trouvé pour parler d’un phénomène inquiétant. L’actuel Président de la République qui dans près de deux mois se présente devant le peuple pour renouveler son mandat est particulièrement attaché à cette étiquette de « candidat du peuple ». Pourtant lorsque sa porte parole est interrogée sur le prix d’un ticket de métro, elle répond 4 euros, soit 2,30 euros de plus que requis. Au-delà de l’anecdote, ne serait-ce pas l’expression du malaise qui sépare désormais les élites des préoccupations quotidiennes d’un peuple dont elle se réclame pourtant ?
La réussite apporte son flot de jalousie, d’envieux, et il fait bon de critiquer aujourd’hui la réussite de certains. Nombreux sont ceux qui hurlent et détestent ceux dont ils rêveraient pourtant de prendre la place. Non, gardons nous de ce vilain défaut : il ne s’agit pas ici de critiquer la fortune des uns.
De fait la critique du Fouquet’s, du yacht, de la rolex, et maintenant du prix du billet à 4 euros ne repose pas sur la seule notion de richesse mais sur celle de fracture. La fracture, c’est peut-être, le nom qui va le mieux au Président de la République et par extension à la plupart des politiques en France.
L’évolution des techniques et de la société s’est faite dans un sens de plus grande transparence avec de plus la disparition progressive de la sphère privée au profit de la sphère publique. Ce phénomène a été démultiplié par Nicolas Sarkozy alors ministre de l’intérieur , qui mettait en scène avec brio chaque instant de son existence au profit de sa politique. Désormais les moyens médiatiques permettent à chacun d’entre nous de savoir précisément que fait le président à quel moment.
Pourtant le politique n’est pas une star, un people dont on admire la fortune, le talent et la richesse. Le politique au contraire est admiré pour sa capacité à mener le destin collectif, à agir pour le bien de l’ensemble de ses administrés, pour son exemplarité, pour la compréhension des attentes d’une nation entière.
Ainsi parler de « Président du Peuple » relève d’un euphémisme grave, et la présidence Sarkozy aura contribué à révéler au grand jour la fracture qui sépare la base de ses élites car préciser du « peuple » c’est admettre qu’il a ou qu’il peut exister des présidents qui ne le soient pas… C’est donc évidemment un aveu d’échec affligeant, non pas d’un candidat spécifique, mais d’une classe dirigeante entière qui cherche désespérément à se légitimer.
L’accumulation des petites anecdotes montrent tout simplement que les politiques coupés des préoccupations quotidiennes de nombreux français sont incapables dès lors de répondre à leurs attentes. Pire encore ils les méconnaissent profondément tandis que les propos contestataires de tribuns autoproclamés dénoncent le système et attirent avec des propositions simplistes des électeurs déboussolés.
Concrètement cette fracture entre masse élective et classe dirigeante se traduit dans l’accumulation des privilèges des politiques. Non pas que ceux-ci soient injustifiés, ils sont aujourd’hui incompris, à tel point que le discours des extrêmes s’appuient sur la critique de ce qui semblerait être le gouvernement d’une minorité dans les intérêts de cette minorité. Dès lors lorsque le président passe ses vacances sur un yacht on voit d’un coup ressurgir la haine d’un appareil, d’un petit cercle de privilégiés : En effet il s’identifierait à l’élite par opposition au peuple qu’il est sensé représenter.
Il ne s’agit pas de dénigrer la compétence, ou la connaissance des membres éminents qui administrent le pays, mais plutôt la cohérence entre les principes et les actes. Il est étonnant de voir dans un pays que la population est aussi méfiante envers les politiques que les politiques envers elle. Aussi si beaucoup hurlent au complot ou à l’aristocratie, les autres rejettent d’un revers de la main toute démocratie directe par crainte du populisme.
La Fracture est profonde et grave car elle participe à un climat délétère de méfiance, jalousie et haine. Il n’existe pas non plus de solutions miracles, et il est facile de parier que cela ne changera pas en changeant de président. Non à vrai dire la faillite du système ne requiert pas un changement d’acteurs mais une nouvelle conception :
La déprofessionalisation du politique afin que celle-ci ne soit plus considérée comme un métier mais comme une vocation, cela signifie un principe de progressivité et de diminution des indemnités parlementaires, pour encourager la poursuite d’une activité professionnelle tout en permettant au plus modeste de participer à la vie publique ( on peut penser qu’un chef d’entreprise député par exemple recevrait moins d’indemnité qu’un employé député.). Le limite du cumul des mandats est en cela une piste intéressante aussi bien que la proposition de faire siéger au sénat des citoyens tirés au sort.
Alors oui on peut toujours s’interroger sur les compétences des personnes qui seraient ainsi amenées à exercer un poste politique et contester le fait que la représentativité prenne le dessus sur l’efficacité. Pour autant c’est un faux problème si parallèlement on imagine le renforcement et l’extension des compétences d’instances spécialisées (conseil d’Etat etc.) qui veilleraient à la bonne rédaction des lois et à tous les aspects techniques.
Evidemment il ne s’agit que de propositions, pas de réalité concrète ; cependant le problème de la fracture entre base et élite est un problème grave, le plus important peut être qui malmène notre tradition politique. Peut-être aussi cela éviterait de continuer à chercher le peuple au fond de pathétiques sondages, ce qui pour le coup mène véritablement au populisme le plus affligeant…