Avec l’affaire Méric, la récente montée des groupuscules d’extrême-droite relance le débat sur le racisme en France. Pourtant considéré comme le pays européen le plus métissé après l’Allemagne, les violences physiques et verbales y sont de plus en récurrentes. Depuis les attentats du 11 septembre, ces stigmatisations dues à la religion sont très pesantes. Qui est fautif ?
A ce jour, plus d’un quart de la population (26,6%) est issue de l’immigration. La France accueille environ 180 000 immigrés par an, un chiffre en constante hausse. Près d’un tiers des nouvelles générations aurait un parent ou un grand-parent issu de l’immigration. En soi, notre pays est un véritable phare multiethnique.
Les européens arrivent en tête de liste puisqu’ils représentent 34% des immigrés. Leur histoire est liée à l’industrialisation française. Dès le milieu du XIXème siècle, ils constituent une partie importante de la main d’œuvre industrielle et agricole. Au XXème siècle, avec le fascisme et le communisme, ils sont plus nombreux à trouver refuge en France. Ces premiers immigrés sont alors très mal considérés, le corps « nationaliste » jugeait que ces derniers « volaient le travail aux vrais français ». C’est l’histoire du plombier polonais qui, étant payé une misère, remplace le travailleur.
Du plombier polonais à l’islamiste assoiffé de sang
Les premiers immigrés connaissent d’énormes difficultés à s’intégrer. Ils fuient généralement la misère et l’oppression présentes dans leur pays ; ils ne sont pas riches, ils n’ont donc pas le droit à la culture et à l’éducation, ce qui les vaut d’être recalés au simple rang d’exécutants. Privés d’éducation, il est très difficile pour eux d’apprendre cette nouvelle langue, facteur ultime d’intégration. D’abord cloîtrés dans les mines du nord de la France, ils se regroupent entre eux dans des ghettos. Au fil des années, et surtout avec la naissance d’une nouvelle génération, ils sont de plus en plus tolérés ; les enfants, petits-enfants d’immigrés vont à l’école, apprennent la langue française, les valeurs de la République…
Puis vient la vague d’immigration maghrébine qui constitue 30% de la part des immigrés actuels. Ils ont d’autant plus de mal à s’intégrer que les européens puisqu’ils ne partagent pas cette culture judéo-chrétienne que partagent les italiens, les polonais et les portugais. Leur rejet n’en est que plus violent. Depuis la montée du salafisme, ce courant extrême de l’Islam basé sur une négation de la société occidentale et le retour à la charia, la religion musulmane est de plus en plus déconsidérée. Avec l’affaire Merah, le dernier attentat à Londres et la tentative de meurtre à la Défense, le portrait-robot de l’homme à abattre est musulman.
Pourtant, les radicaux de l’Islam ne sont qu’une poignée, étouffés par l’immensité des croyants (1,6 milliards dans le monde). A long terme, les premières victimes des attentats terroristes ce sont surtout les musulmans. Le rejet de l’autre semble prendre une dimension religieuse, après cette dimension économique.
La faute à qui ?
Les médias, ces champions du politiquement correct, se retrouvent malgré eux en parti responsables de la hausse de la xénophobie et du racisme. Depuis le 11 septembre, l’islamisme est devenu la nouvelle menace. A chaque attentat perpétré par des salafistes, on en fait des tonnes. D’abord parce qu’il y a des victimes, mais aussi parce que l’on n’a rien d’autres à dire. Alors on invite des spécialistes adeptes de la théorie du complot qui vont construire des spéculations toutes plus farfelues les unes que les autres. Par ce biais, celui qu’on appelle le « 4ème pouvoir » (dans sa capacité à modeler l’opinion des gens) crée inconsciemment des émotions négatives telles que la peur ou la haine. Notre cerveau est conditionné. « Puisque je ne suis pas capable de choisir, je prends le choix d’autrui » disait Montaigne, et c’est d’autant plus flagrant à l’ère de la communication.
Crédité de 6,5 millions de voix au premier tour des présidentielles de 2012, le Front National, parti antisystème s’impose naturellement avec entre autres, ses thèses islamophobes. Lorsque nous sommes face à quelque chose que nous ne connaissons pas, que nous ne maîtrisons pas, nous sommes souvent la cible des préjugés. Ne pas connaître nous pousse à récupérer l’opinion publique, à ne pas faire de choix. C’est un peu la méthode de l’Eglise au Moyen-Âge : en se basant sur l’ignorance des « petites gens », elle leur livra la « Vérité » sur un plateau. Face à l’inconnu, à l’Autre – cette espèce particulière, si différente de moi – j’adopte une attitude de méfiance et de récusation. Ainsi, la plupart des sympathisants du FN ne connaissent du programme de ce parti que la tranche réservée à l’immigration.
Mais le plus dangereux pour la société reste la vulgarisation de ces préjugés. Après les pains aux chocolats de Jean-François Copé, c’est au tour du modéré François Fillon, invité dans l’émission « Des Paroles et Des Actes » d’assurer qu’ « il y a trop d’immigrés en France ». L’Islam est devenu un argument électoral ; c’en est presque entré dans les mœurs. Mais il faudra toujours conserver ce caractère politiquement correct, ce « il ne faut pas choquer les masses » ; alors le politicien demandera à ce que l’on ne fasse pas l’amalgame entre islam et islamisme – même s’il n’en pense pas moins. Tant que l’électeur est mal informé, il est très facile de manipuler les foules à coups d’émotions. Vous avez mal au dos, le prix du pétrole a augmenté, Gémeaux entre en collision avec Sagittaire ? Pas de panique ! C’est de la faute de l’immigré, c’est lui le nouveau bouc émissaire, c’est lui le nouveau punching-ball médiatique. Il n’a rien demandé, il veut simplement avoir ce droit naturel de vivre comme tout le monde ; mais il semblerait que ce soit un gain déjà trop inaccessible.