Tuerie de Londres, tornade à Oklahoma, suicide à Notre Dame de Paris, suicide dans une école primaire… Tant de faits-divers qui nous ont mis en émois, ces derniers jours. Mais cette semaine lourde en émotion n’est pas un cas unique dans le temps, puisque ces faits de société ponctuent notre quotidien. De cette surcharge d’émotion, diffusée par les médias, beaucoup instrumentalisent notre capacité à nous émouvoir, pour parvenir à leur fin. C’est là où Noël Mamère et Patrick Farbiaz donnent l’alerte, dans leur essai intitulé « La tyrannie de l’émotion ».
Le 16 mai, à Paris, un sexagénaire entre dans une école primaire, armé d’un fusil de chasse, puis se loge une balle dans la tête, devant des dizaines d’yeux d’enfants apeurés.
Mardi, Dominique Venner, idéologue d’extrême droite se tire une balle dans la cathédrale de Notre Dame, devant des centaines de témoins horrifiés.
Mercredi, deux hommes se revendiquant islamistes, tuent de sang-froid un soldat britannique, sous les yeux de dizaines de témoins terrorisés. Après l’acte, ils s’exposent au nez des caméras, sans chercher à se sauver, attendant tranquillement que la police fasse son office.
Vous êtes choqué ? C’est normal, c’est exactement le but recherché. Ces mises en scène sont spectaculaires, la symbolique du lieu est forte, la violence est présente, le message à double tranchant n’en sort que plus puissant.
Très vite la communauté nationale, puis internationale est en émoi. La réaction du président de la République ne se fait pas attendre quant au suicide du sexagénaire. Il tient à assurer «toute l’émotion de la Nation », tout en promettant que les « écoles doivent être protégées des violences » car « c’est une priorité du gouvernement ». Quant au meurtre du soldat britannique, le contrecoup de David Cameron se fait extrêmement virulent. Il dénonce un acte «barbare » et « terroriste », ajoutant que c’est « une trahison de l’Islam et des musulmans […] Nous devons les combattre comme ils nous combattent ».
Ainsi, pour Noël Mamère et Patrick Farbiaz, les hommes politiques se servent du fait-divers comme idéologie. L’émotion est au service de la politique. D’une part, ils sollicitent votre capacité à prendre en compassion la ou les victimes, d’autre part, il utilise le registre de la peur, qui entraîne inévitablement un sentiment d’insécurité et de haine de « l’autre ». Avec la tuerie de Londres, l’Islam est à nouveau stigmatisée, radicalisée. Le musulman est l’homme à abattre.
L’idée est d’empêcher toute rationalisation de ces évènements, oubliée l’Histoire, oubliée toute compréhension logique des faits, l’émotion se substitue à l’intellect, à la faculté de penser par nous-même. Pris par les sensations fortes de l’immédiateté, que ce soit la colère, la joie ou la tristesse, nous ne pouvons pas nous contrôler. Il nous est impossible de prendre du recul dans l’instantanée. Ainsi il est facile pour l’homme politique de « substituer à la réalité une charge émotionnelle et virtuelle pour nous transformer en pantin désincarné ».
L’émocrature, un danger pour la démocratie
Car qui peut contredire la sincérité d’un bon sentiment? Le politiquement correct a toujours raison, quoi que l’on dise, puisqu’il est entièrement subjectif, il ne répond pas à un effort de logique. Ne pas s’offusquer contre le destin du peuple syrien, la disparition des pandas en Chine ou les dangers du nucléaire, nous fait passer pour des monstres et des insensibles.
Ainsi, l’instrumentalisation de l’émotion est aussi bien utilisée par la droite que par la gauche. A gauche, on privilégiera les faits-divers en rapport avec l’égalité et la fraternité, tandis qu’à droite on touchera davantage ce qui est lié à la liberté et la sécurité. La stigmatisation des jeunes de banlieues par la droite répond à ce besoin de « trouver un coupable », à la suite d’un fait-divers, pour un retirer des bénéfices électoraux. La démocratie devient une « émocrature » (néologisme entre émotion et dictature), où la loi n’est plus « l’’expression de la volonté générale », mais l’esclave de l’émotion que l’on veut bien nous donner. Tout n’est alors que démagogie ou « rien n’existe ».
Pourquoi Manuel Valls est-il le ministre préféré des français ? Tout simplement parce qu’à chaque accident, meurtre, vol, viol, agression, le ministre de l’Intérieur est sur place, endossant le costume du « héros de la République », rassurant le spectateur encore médusé et promettant que l’Etat utilisera tous les moyens qui lui sont attribués pour régler ce problème.
Notre monde imaginaire
« Dieu est mort, et c’est nous qui l’avons tué » disait Nietzsche. Et face au désenchantement du monde, c’est-à-dire à la baisse progressive des croyances religieuses et la montée de l’athéisme, l’Homme n’a plus raison de croire en quoi que ce soit. C’est pourquoi, il essaie de se trouver une échappatoire à la dure réalité, aux souffrances perpétuelles qui meuvent son existence. En quête d’émotions et d’espérance, certains adhèrent au communisme, frère siamois du christianisme dans sa promesse d’un « paradis terrestre ». La Guerre Froide est en soi un affrontement entre différentes idéologies – donc d’émotions diverses.
Avec la victoire des Etats-Unis, s’installe progressivement dans le monde une sorte de « capitalisme émotionnel ». Tout est devenu émotion. On la retrouve dans les médias, au cinéma, sur les réseaux sociaux, dans la publicité, dans la rue… Tous nous dictent quoi penser et, de plus en plus, quoi faire. Si vous vous disputez avec votre copine, vous irez voir les spécialistes, les psychologues… L’opinion est préconçue, préfabriquée dans des Think Thank, diffusée par des Spin doctors, martelé à coup d’emotional branding.
Ceux qu’on appelle les « stars » – ces nouveaux aristocrates du genre, les footballeurs, les chanteurs ou les acteurs sont iconisées, devenues des « enseignes publicitaires » à elles seules. Elles posent un idéal à atteindre, tout le monde souhaite leur ressembler. Lorsque Rihanna s’évanouie en concert, la communauté des fans est en émoi, on tweet, on retweet… Les grands groupes empochent l’argent grâce à ce surplus d’émotion… Le monde est-il devenu fou ?