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Le patrimoine familial en voie de disparition : l’ère du numérique.

Le débat n’a jamais été porté sur la place publique, et les enquêtes sociologiques sur le sujet sont quantativement proches du néant. Mais pourtant, le passage à l’ère du numérique en photographie est l’exemple parfait de l’évolution technologique pouvant générer d’importants dégâts collatéraux, parfois inconscients, souvent insoupçonnés.

Une passation de pouvoir inévitable

Le terme de photographie argentique est apparu au début des années 2000 lorsque le besoin de la distinguer avec la photographe dite numérique, alors en plein essor, s’est fait ressentir. Dès lors, la quasi totalité des ménages possède un appareil photo numérique (91%) et les puristes adeptes de la photographie argentique se font de moins en moins nombreux. (4%)
Julien, vendeur chez Darty, nous éclaire sur cette passation de pouvoir : « les gens sont aujourd’hui beaucoup plus préoccupés par le design du produit, ou par le fait qu’il soit dernier –cri, plutôt que par la qualité des photos même. » L’évolution technologique conjuguée aux besoins crées par la société de consommation auraient ainsi contribué à l’essoufflement de la technique argentique en photographie.
Mais le vrai souci n’est pas tant l’observation de la disparition progressive des appareils argentiques, au profit de la photographie numérique. Le pot aux roses réside plutôt en le danger qui menace les émotions et les affects des générations futures.

Le pouvoir insoupçonné de l’argentique

Aujourd’hui, il est permis à chacun d’entre nous d’ouvrir un album photo, de rire à la vue de son père âgé de 2 ans, souriant sur sa table à langer, d’avoir un petit pincement au cœur à la vue de son grand père, que nous aurions bien aimé connaître plus longtemps, nous tenant dans les bras. C’est dans l’album familial que réside toute la richesse, tout le patrimoine familial. Celui ci a un pouvoir exceptionnel, dans la mesure où il influe sur les émotions et les affects des générations à travers les ages. D’ailleurs, le photographe Lucien Clergue ne disait –il pas de la photographie qu’elle «  fait reculer les frontières de la mort » ?

Mais aujourd’hui, qui va encore chez le photographe pour faire « tirer » ses photos ? Certes, les puristes demeurent, mais il ne faut se voiler la face, ils sont une minorité. La grande majorité des ménages stockent leurs données sur un disque dur et y laissent enfoui leur trésor, amené un jour ou l’autre à disparaître. Et pourtant, cet amour du souvenir demeure en chacun d’entre nous, souvent inconscient. Ivan, informaticien chez Thalès, témoigne : « En 2005, ma maison était menacé par incendie. Sans vraiment réfléchir, je me précipitai devant l’armoire du salon pour récupérer tous les albums photos de la famille. »
Pourquoi un tel geste ? Il avoue : « je n’ai pas réfléchi, c’était plus fort que moi ». La est l’important : il n’a pas « réfléchi ». Après tout il aurait pu aussi bien se diriger en premier lieu vers des objets d’une plus grande valeur financière, mais son réflexe, inconscient par définition, était tout autre, pour la bonne et simple raison que là n’était pas l’essentiel pour lui. Ces albums contenaient un trésor inestimable, un trésor mémorial, un trésor affectif, un trésor humain. Cet amour du souvenir est là, ancré en chacun. Il sera toujours là dans 10, 15, 20 ans, mais ne sera plus satisfait.
Si les ménages n’en sont pas pleinement conscients, les entreprises, elles, le sont. François Many, gérant d’un petit magasin d’appareils photo à Orsay affirme que « Les données informatisées ne sont pas à l’abri d’un virus ou d’une coupure informatique qui peuvent aboutir à leur suppression. Les entreprises qui travaillent sur l’image (de mode, ou de communication) en ont conscience et « tirent », impriment toutes les données picturales de manière à pouvoir y avoir accès en cas de catastrophe informatique ». Il témoigne également des inconvénients techniques liés à la photographie numérique : « Même si l’appareil numérique est devenu un produit standardisé et uniformisé, la photo reste une activité assez élitiste. Nombreux sont ceux qui en possèdent un mais qui ne savent pas s’en servir », et il admet penser en particulier « aux personnes les plus âgées ».
Dans le même registre, Phlippe, photo-journaliste à Nice dans les Alpes Maritimes, dénonce l’incohérence des utilisateurs d’appareil numérique : « On sait que l’impression de photos numérisés sur papier n’offrent pas des visuels de bonne qualité. » Il renchérit :  « Alors si les gens veulent imprimer des photos, autant acheter un appareil argentique ». En effet, par opposition à l’image stockée sur le film argentique, l’étape de reproduction sur papier dégrade sensiblement la qualité de l’image ».

On retiendra donc que l’homme est profondément et inconsciemment attaché à la matérialisation de ses souvenirs. Et que ce besoin ne peut être satisfait par les photographies numérisées puisque celles-ci ont par définition une durée de vie potentiellement très courte. Tandis que les photographies argentiques elles, subsisteront en cas d’accident informatique. Et ne s’effaceront pas d’un simple coup de gomme.

 

 

Tristan Molineri.

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