Juin 2012. Le pays des Pharaons voit arriver à sa tête un Frère musulman, Mohamed Morsi. Celui qui est aujourd’hui considéré comme un futur dictateur vient d’émettre une « déclaration constitutionnelle ». Depuis le jeudi 22 novembre, aucune instance judiciaire ne peut contester les décisions ou lois du président islamiste égyptien. Dans le même temps, le droit de prendre toutes dispositions qu’il juge nécessaire pour la défense de la révolution est accordé. Pour faire simple, ça sent la dictature en Égypte. Et les résultats n’en sont que plus probants : des manifestations des deux camps ont éclaté dans tout le pays. Égypte se dirige-t-telle vers une direction pharaonienne de ses institutions ? La révolution est-elle, encore une fois, confisquée ?
Rien n’est encore joué. L’ensemble des forces laïques socialisantes ou libérales compromises sous l’ancien régime ont su s’unir face aux dangers. Pour la première fois dans le pays, l’opposition a compris que l’union faisait la force. « Toutes les forces civiles sont unies contre le changement constitutionnel décidé par le Président Morsi. Ses déclarations vont tout simplement déclencher une guerre civile», soutient le manifestant Gamal Ibrahim au micro d’Arte Journal. Mohamed Morsi doit aussi compter avec la désapprobation des investisseurs étrangers. Les États-Unis ont fait part de leurs inquiétudes. Mais ces craintes ont été exprimées avec une certaine retenue. Telle est la façon pour la 67ème Secrétaire d’Etat des États-Unis de remercier Morsi d’avoir joué un rôle essentiel dans la trêve de Gaza. Que ce soit l’opposition ou la Communauté internationale, la population égyptienne semble encore une fois être bien seule face à ces nouvelles lois.
Un pouvoir judiciaire aux mains de son dirigeant
En Égypte, les juges sont depuis une dizaine de jours en grève. Pour de nombreux professionnels de la justice, le décret de Morsi est une violation du pouvoir judiciaire. « Ce décret va faire de lui un dictateur. C’est terrifiant, personne n’aura le droit de s’opposer à ses décisions. Il veut en plus que les juges punissent les opposants. C’est inacceptable. Ce décret signifie que ceux qui vont élever la voix contre Morsi seront emprisonnés jusqu’à la fin de leur jour », se révolte l’un des juges du Caire sous la caméra du 28 minutes d’Arte, voulant rester anonyme par peur des représailles.
Pour trouver des Frères musulmans travaillant dans le milieu de la justice, il faut aller au Syndicat des Avocats. Ici, une grande partie de la profession, affiliée à la confession, soutient la position de Mohamed Morsi. « Ce décret est une mesure exceptionnelle, temporaire, qui va durer deux mois au maximum. Son but est de protéger le comité qui rédige en ce moment notre constitution. La Cour constitutionnelle était sur le point de le dissoudre, cela aurait signifié l’échec de la Révolution », justifie un des Frères musulmans et avocat à la capitale. Mais la bataille s’est jouée entre le pouvoir et la Cour administrative qui a examiné le 4 décembre les demandes d’annulation du décret.
Une simple période de transition ?
Malgré tout, le gouvernement rassure. Déjà le 16 octobre, date marquant le sort de la commission chargée de rédiger une nouvelle constitution, posait problème. La rédaction dudit texte a été remise en cause par plusieurs plaintes, plaintes mettant en évidence plusieurs problèmes. Les décisions prises eu égard à la place de la religion, au statut de la femme, mais aussi sur l’étendue des libertés d’expression et de culte ne font pas l’unanimité.
En ce qui concerne la sphère religieuse, les ultras conservateurs musulmans ont notamment réclamé que l’institution sunnite d’Alazard soit mentionnée comme la référence de l’Etat pour l’interprétation et l’application de la Charia. « Ceci est une proposition destinée à ouvrir le débat public, c’est une première étape, nous ne sommes pas en train de dire que ces articles sont définitifs », a déclaré Mohamed El-Beltagui. Le membre de la Commission et des Frères musulmans a tenté tant bien que mal de calmer le jeu, d’apaiser les esprits. Mais la Commission peine à avancer, bloquée par les divergences centre-islamistes et laïques. Une Egypte divisée, à l’image des heurts qui ont actuellement lieu place Tahrir au Caire. Partisans et adversaire du président Mohamed Morsi participent séparément aux manifestations avant de s’affronter. Une certitude, l’Egypte peine à trouver sa voix après 30 ans de pouvoir aux mains d’Hosni Moubarak. La Terre du Nil a-t-elle besoin de son Pharaon afin de revenir au calme ? Entre dictature d’un jour ou de toujours, le pas est infinitésimal. Et le danger est plus que présent.
Le retour du Pharaon
Oublions les égyptiens de l’époque dynastique. Le XVIIIème siècle et son Roi-Soleil signalent le « Pharaon en Égypte » comme étant un terme injurieux. Pour H. Fischer, le terme est encore méprisant pour les égyptiens de notre époque. «Pharaon » serait l’équivalent de « diable ». Le diable. Une perspective envisagée par les libéraux dans leur révolte contre l’actuel président. Sa majesté Morsi est accusé par les manifestants laïcs, démocrates de vouloir s’accaparer le pays pour pouvoir faire passer la nouvelle constitution largement favorable aux islamistes. Des jeunes ont décidé de camper sur la place tant que le décret ne sera pas lever. « Je ne suis pas d’accord que le président viole la loi pour n’importe quelle raison. Le but de notre révolution est le respect de la loi, par tout le monde. On refuse les mesures exceptionnelles même si c’est dans le but de réaliser les objectifs de la révolution », s’insurge un jeune manifestant présent sur la place de la Libération. Un autre révolutionnaire présent lors des heurts rappelle le caractère demiurge du Pharaon Morsi : « le président s’est donné un pouvoir absolu. Il se prend vraiment pour Dieu ».
Le 4 décembre, Mohamed Morsi confirme officiellement ses pleins pouvoirs. « Il n’y a pas de changement dans la déclaration constitutionnelle », a déclaré au journal Le Monde Yasser Ali, porte-parole du président égyptien, à l’issue d’une réunion du chef de l’Etat avec le Conseil suprême de la justice. Mohamed Morsi a de plus précisé aux juges que les décisions concernant les questions liées « à ses pouvoirs souverains » étaient seules irrévocables, bien qu’il ait réaffirmé le caractère temporaire du décret. Le fait est original puisque cette procédure défie les dispositions mêmes du décret présidentiel posé par le successeur de Moubarak, qui interdit tout examen en justice des décisions du chef de l’Etat. Le régime égyptien se perd dans sa propre contradiction, l’exemple des pleins pouvoirs pharaoniens acquis par Morsi en est le prototype.
Pour Human Rights Watch (HRW), le décret ouvre aujourd’hui la voie à de possibles violations des droits de l’homme incontrôlées, et pourrait porter atteinte à l’État de droit. Le Frère musulman porté à la présidence par les urnes a-t-il d’ores et déjà retourné sa veste ? Tourne-t-il le dos à la révolution ? Est-il touché par l’amnésie, amnésie qui lui a déjà fait oublier ses promesses d’un pouvoir modeste et proche du peuple ? Une chose est certaine : les égyptiens n’ont plus leur langue dans leur poche, et là est la seule chose qui ait vraiment changé depuis l’ère Moubarak.
Par Marion Icard