Les mâchoires de la peur est une bande dessinée qui vous plonge dans les coulisses du tournage du film Les dents de la mer. Nous avons eu le plaisir d’échanger autour de ce livre avec l’auteur Jérôme Wybon (dessins de Toni Cittadini).
Été 1974. Sur l’île paisible de Martha’s Vineyard, un tournage chaotique va bouleverser l’histoire du cinéma. Requins défectueux, tempêtes imprévisibles, tensions sur le plateau… et un jeune réalisateur nommé Steven Spielberg qui joue sa carrière sur un film de monstre marin. Avec le trait incisif de Toni Cittadini et un récit documenté par Jérôme Wybon, Les mâchoires de la peur vous invite derrière la caméra, là où la légende prend forme. Découvrez comment un tournage cauchemardesque est devenu un chef-d’œuvre.
Les Dents de la mer n’est pas seulement un film culte : c’est le tournage qui a redéfini Hollywood.
À travers des dialogues reconstitués, des recherches poussées et une mise en scène rythmée, Jérôme Wybon revisite les événements qui ont transformé une production catastrophe en succès mondial. Toni Cittadini y apporte au dessin une recréation visuelle précise et cinématographique, mêlant réalisme, tension et humour.
Quelle était l’idée première de faire ce livre autour du tournage des « Dents de la mer » ? Ramener le « grand public » vers le making-of en étant le plus ludique possible ?
Jérôme Wybon : J’ai fais de nombreux documentaires sur le cinéma, sur des films, raconter la production des films, … J’avais même déjà écrit un livre sur le tournage du film « Le magnifique » de Philippe de Broca (Belmondo, Le Magnifique – 2018). Ce qui m’a intéressé ici c’est une nouvelle approche pour raconter les coulisses d’un film via un nouveau média, avec un axe différent. Pouvoir raconter différemment le tournage de ce film hors normes, par son tournage déjà mais aussi par la réception qu’il a eu par la suite. Il y a eu un avant et un après la sortie de ce film à Hollywood. C’est un film qui n’est pas fait comme les autres, en studios dans des bassins, mais sur un tournage en milieu naturel, et même « pire » en pleine mer. Ce qui ne fait jamais et d’ailleurs Spielberg a bien retenu la leçon, il ne le refera plus ensuite.
Pour revenir à la question, j’ai été intéressé par une manière très visuelle de raconter tout ça, et aussi avec le texte en évoquant de petites infos qui étaient perdues ou n’étaient pas mentionnées dans d’autre supports. Le gros de la littérature sur le film est anglo-saxonne, avec des contradictions d’un projet à l’autre, c’est normal les souvenirs ne sont pas toujours les mêmes et donc chez nous, il y avait tout à faire et donc du temps pour développer des passages passés sous silence dans le passé.

C’est le cas quand vous évoquez sa rencontre avec Hitchcock …
Oui tout à fait ! Il y a deux rencontres avec Hitchcock. Une durant laquelle il est encore un inconnu et travaille au département télé chez Universal. Puis après le succès des Dents de la mer, il repasse sur un tournage de Hitchcock où, d’après Spielberg, il sera conduit hors du plateau de tournage. On retrouve dans Les dents de la mer des éléments de mise en scène que l’on a vu dans Sueurs froides comme le travelling compensé ou « effet Vertigo » (le sujet principal reste cadré de la même manière, tandis que l’arrière-plan subit des déformations de perspective, respectivement un allongement, ou un tassement ndlr) et il n’est pas certains que Hitchcock ait bien pris les choses. Et c’est justement ce que permet la BD : montrer à deux moments différents, à quelques années d’intervalles; cette visite au Maître du suspense.

Plus largement, la BD constitue une entrée plus facile pour le grand public qu’un bouquin de 200 pages traduit en français. Et ça permet d’ouvrir la voie à une littérature française sur ce film qui n’existe pas encore chez nous.
Ce livre va plaire à tout le monde, les jeunes comme les moins jeunes. Est-ce que pour autant, vous pensez que le film est « générationnel » ou qu’il peut plaire aussi aujourd’hui ?
Entre la musique qui est à la fois dingue et mythique, le fait que ça soit tourné en décors naturel et non dans des décors carton-pâte, et qu’il n’y ait rien qui le date véritablement, le fait qu’il provoque un impact fort quand on le voit, il y a pleins d’éléments qui font que ce film est complètement intemporel. Et l’élément principal : Spielberg est un génie, sa réalisation n’est pas vieillotte. De plus, on touche à quelque chose qui est de l’ordre du « quotidien », on va tous à la plage et ça a d’ailleurs été un trauma pour les américains l’été de sa sortie, donc le sujet parle à tout le monde. Le film a même contribué à véhiculer une mauvaise image des requins et l’auteur de Jaws (Peter Benchley) a passé sa vie derrière à faire des conférences pour expliquer que les requins ne sont pas comme dans le livre avec un vrai combat écologique derrière pour tenter d’éviter qu’on les éradique.
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Pourquoi parle-t-on de « premier blockbuster » ?
D’abord parce que c’est le premier film à remporter 100 millions de dollars de bénéfices au box-office (et non pas comme on croit souvent, à passer la barre des 100 millions au box-office) au studio. Ce n’était jamais arrivé jusque là ! L’avant et l’après est évidemment présent.
Il y a aussi le fait que, via le côté très réaliste du film, on ringardise les films d’action qui passaient en salles quelques années auparavant.
Le film marque aussi le retour dans un film hollywoodien de la musique symphonique grâce à John Williams.
Et enfin donner les clés à un jeune réalisateur de 24 ans (dont le film Sugarland Express n’est pas encore sorti quand il reçoit le projet « Jaws« , c’est une première quasiment même s’il y a eu le précédent du Parrain avec De Palma.
Il convient aussi d’ajouter à tout ces éléments l’apport non négligeable des produits dérivés autour du film
Ce qui reste aussi c’est que le film lance la carrière de Spielberg et qu’il aura un impact fort sur sa carrière avec ensuite E.T dès 1982.
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Est-ce que Spielberg a conscience d’avoir un projet particulier entre les mains quand il le tourne ou pas ?
Je pense qu’il est plutôt confiant mais c’est le regard des autres qui va achever de le convaincre. Comme celui de sa monteuse. Ou même de De Palma qui vient sur le tournage, voit quelques rushs et lui dit « Ca va être formidable ! » Et puis il y a les retours et le soutient des patrons d’Universal qui sont très importants dans ce projet, convaincus de tenir quelque chose d’important. Et de repenser à ces deux producteurs qui achètent le projet sur la base des épreuves du livre (il n’est pas encore sorti) et qu’ils n’ont visiblement pas bien lu et ne se rendent pas compte de ce que faire ce film implique. C’est la réalisation de Spielberg et la création des requins qui vont leur sauver la mise. Ils pensaient s’en sortir en tournant dans un bassin avec des remous mais si ils avaient fait ça, je suis convaincu qu’on ne parlerait pas du film aujourd’hui.
La pérennité du film se trouve dans son réalisme mais aussi dans sa fougue, son lyrisme. Il y a une fraîcheur dans ce projet quand il sort et qu’il a gardé avec les années.