Film punchy et rythmé sur le voyage temporel, Looper veut se donner des airs de référence cinématographique. N’est pas philosophe qui veut.
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En période de vacances, Looper est attendu au tournant comme la grosse machine à succès de la Toussaint. Joseph Gordon-Levitt, déjà aperçu dans Inception (Christopher Nolan, 2010), donne la réplique à Bruce Willis, icône de la fin des années 1980 huileuses (la série Die Hard), acteur habitué aux films pop-corn (Armageddon, Michael Bay, 1998) et d’anticipation (Le Cinquième Élément, Luc Besson, 1997). Malgré toute sa bonne volonté esthétique et narrative, la mayonnaise ne prend pas. Ou plutôt, la mayoonnaise.
Joe est un junkie du futur. Pas par choix, mais par nécessité : dans le Kansas City de 2044, mieux vaut être un ‘Looper’ qu’un raté. Un Looper (de l’anglais loop, la boucle), c’est un tueur à gages 2.0. En 2074, le voyage temporel existe, mais a été interdit aussitôt. La pègre l’utilise pour se débarrasser des indésirables, envoyés 30 ans plus tôt et exécutés par les loopers sans distinction de leur identité. Une rumeur de fermeture des boucles s’amplifie : les loopers deviennent-ils les bourreaux d’eux-mêmes ?
Selon Rian Johnson, le futur est sale. Il oscille entre nouveauté technologique et garde-robe poussiéreuse. Le monde est désabusé, sa dépression est semblable à celle des Fils de l’Homme (Alfonson Cuaron, 2006). Les rêves de ces hommes du futur paraissent pourtant contemporains : le héros veut s’installer en France, on lui conseille la Chine.
Comme toute intrigue temporelle, difficile d’expliquer les différentes lignes narratives du film sans révéler le nœud central. Elle gagne cependant en complexité à mesure que le film s’enroule sur lui-même. A-t-il rêvé cette séquence ? Est-ce prémonitoire ? L’arrivé du garçon aux pouvoirs mystérieux, qui serait à l’origine des exécutions par voyage temporel dynamise les enjeux autant qu’elle suscite de nombreuses questions. Le film se veut pourtant ouvert, et laisse les enchevêtrements théoriques aux forums des nerds.
Dans la poursuite de Joe contre lui-même vieilli de trente ans, les références littéraires et cinématographiques s’accumulent. Thomas Sotinel, journaliste au Monde, a évoqué dans sa critique des références esthétiques évidentes au Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939). Par exemple, le jeune garçon et sa mère (Emily Blunt) vit au beau milieu d’un champ de blé au Kansas, le pays de Dorothy. En réalité, toute oeuvre qui a évoqué les complexités morales et éthiques du voyage temporel est citée. Cartographier ces références semble aussi abyssal et obsolète que le dénouement du film. Pas par paresse académique, mais surtout parce que Looper n’arrive pas à s’en démarquer.
Johnson joue d’ailleurs à ce jeu d’inter-référencialité autant avec le spectateur que ses personnages : le Joe vieilli de trente ans est lié à son autre par l’accumulation de souvenirs, qui peuvent changer sa perception et son apparence physique. Il semble se perdre à son propre jeu et lâcher son intrigue comme une machine infernale.
Le seul véritable héros serait donc Bruce Willis, qui revient encore une fois sauver l’humanité. Gordon-Levitt a changé son apparence physique pour ressembler trait pour trait à l’icône des années 1990. Après des années de loyaux services hollywoodiens, l’acteur, aujourd’hui vieux, vient encore hanter les intrigues apocalyptiques. Looper agit comme un passage de relai à la nouvelle génération bankable. Willis est chauve, poilu, barraqué. Gordon-Levitt est chevelu, imberbe et mince. Nouvelle époque, nouvelles références.
En matière de voyage temporel, on conseille plutôt de revoir L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam (1995), ou si on en a soupé de Bruce Willis en ce jour d’Halloween, Donnie Darko de Richard Kelly (2001), qui fait une meilleure utilisation des traits de lumière.
Crédit photo : SND